Cour d’appel administrative de Nantes, le 14 février 2025, n°23NT00946

Par un arrêt en date du 14 février 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a précisé les modalités d’application des règles de destination prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur lors de l’examen d’un projet immobilier complexe.

En l’espèce, une société avait déposé une déclaration préalable en vue de transformer un immeuble, anciennement à usage de commerce, pour y installer un centre de soins dentaires aux étages et un magasin de vente de produits d’hygiène bucco-dentaire au rez-de-chaussée. Se fondant sur un avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France, la commune s’est opposée à cette déclaration, considérant que le projet entraînait un changement de destination prohibé pour le rez-de-chaussée, situé dans un linéaire commercial protégé. La société a contesté ce refus, d’abord par un recours gracieux auprès de la commune puis par un recours administratif auprès du préfet de région, tous deux implicitement rejetés. Saisi par la société, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision d’opposition et a enjoint à la commune de délivrer une décision de non-opposition. La commune a interjeté appel de ce jugement.

Il revenait ainsi aux juges du fond de déterminer si un projet associant un centre de soins dentaires aux étages et un commerce de produits spécialisés au rez-de-chaussée entraînait un changement de destination prohibé par le plan de sauvegarde et de mise en valeur applicable. En d’autres termes, la destination d’un local commercial situé au rez-de-chaussée doit-elle s’apprécier isolément ou comme l’accessoire d’une activité principale exercée aux étages supérieurs ?

La cour administrative d’appel a répondu par la négative à la question du changement de destination illégal, estimant que l’ensemble des locaux formait une unité fonctionnelle dont la destination principale relevait du commerce. Elle a donc confirmé l’annulation de la décision de la commune.

Le raisonnement de la cour s’articule en deux temps, reposant d’abord sur l’identification d’une unité fonctionnelle pour l’ensemble du projet (I), pour ensuite qualifier son activité principale au regard des catégories du plan de sauvegarde et de mise en valeur (II).

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I. L’appréciation unitaire du projet au regard des règles de destination

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse globale de l’immeuble, dépassant une simple vision étage par étage. Elle consacre ainsi l’existence d’une unité de fonctionnement entre les différents niveaux (A), ce qui lui permet d’appliquer un critère de destination principale pour l’ensemble du projet (B).

A. La reconnaissance d’une unité de fonctionnement

Le plan de sauvegarde et de mise en valeur prévoyait que « Pour déterminer la destination d’un ensemble de locaux présentant par leurs caractéristiques une unité de fonctionnement et relevant d’un même gestionnaire, il est tenu compte exclusivement de la destination principale de ces locaux ». La cour s’attache à vérifier si ces conditions sont remplies. Elle relève que les étages où doit être installé le centre dentaire « seront desservis par un escalier et un ascenseur exclusivement accessibles depuis l’intérieur du magasin situé au rez-de-chaussée ». De plus, l’accès à la zone de gestion des déchets et le fait que l’ensemble relèvera « d’un même gestionnaire » sont des éléments déterminants pour les juges.

Par cette approche factuelle, la cour établit un lien indissociable entre les différents espaces. Le rez-de-chaussée n’est pas un simple local commercial autonome mais bien le point d’entrée et de desserte nécessaire à l’activité exercée aux étages. En affirmant qu’ils « doivent former un ensemble de locaux caractérisés par une unité de fonctionnement », le juge écarte l’argument d’une appréciation séparée des destinations et impose une lecture d’ensemble du projet architectural et commercial. Cette première étape du raisonnement est essentielle, car elle conditionne l’application du critère de l’activité principale.

B. L’application du critère de la destination principale

Une fois l’unité fonctionnelle établie, la cour en tire les conséquences logiques en recherchant la destination principale de cet ensemble. Le centre de soins dentaires occupant la majorité de la surface, soit plus des deux tiers du projet, son activité est logiquement considérée comme prépondérante. Le débat se déplace alors sur la nature même de cette activité : relève-t-elle de la catégorie « bureaux », comme le soutenait la commune, ou d’une autre catégorie autorisée ?

La cour tranche nettement en faveur de la qualification commerciale. Elle juge que les locaux de ce centre, « destinés à accueillir, en centre-ville, une patientèle pour lui fournir des soins dentaires, sont affectés à la vente de services et sont directement accessibles à la clientèle ». Cette définition correspond précisément à celle de la destination « commerce » au sens du plan de sauvegarde et de mise en valeur. En conséquence, la cour conclut que le projet « ne relève donc pas de la destination « bureaux » ». Puisque l’activité principale est commerciale, l’ensemble de l’unité fonctionnelle, y compris le rez-de-chaussée, est considéré comme relevant de cette destination. Il n’y a donc pas de changement de destination prohibé.

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II. La portée d’une solution pragmatique en matière de planification urbaine

Cette décision, au-delà de sa solution d’espèce, témoigne d’une approche pragmatique des règles d’urbanisme. Elle favorise une analyse fonctionnelle des projets plutôt qu’une application formaliste des catégories de destinations (A), tout en clarifiant la méthode d’appréciation pour les opérations immobilières complexes (B).

A. La primauté de l’analyse fonctionnelle sur une application formaliste

En s’attachant aux conditions concrètes d’exploitation du bâtiment, la cour adopte une vision réaliste de l’activité économique. Plutôt que de dissocier artificiellement le rez-de-chaussée des étages, elle reconnaît que des activités de nature différente peuvent former un tout cohérent. Cette approche évite de paralyser des projets innovants ou hybrides qui ne trouveraient pas leur place dans une lecture rigide et cloisonnée des règlements d’urbanisme. Elle permet ainsi de concilier la protection du patrimoine et des linéaires commerciaux avec les réalités économiques et la nécessité de ne pas figer les centres-villes.

La valeur de cet arrêt réside dans son interprétation téléologique des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur. L’interdiction de transformer des commerces en bureaux visait à préserver l’animation et l’attractivité des rez-de-chaussée. Or, un centre de soins qui accueille une patientèle génère des flux et une activité conformes à cet objectif. La solution de la cour est donc non seulement juridiquement fondée, mais également cohérente avec l’esprit de la réglementation qu’elle applique, en évitant une sanctuarisation excessive qui pourrait se révéler contre-productive pour la vitalité urbaine.

B. La clarification de la méthode d’appréciation

En termes de portée, cet arrêt offre un mode d’emploi clair tant pour les porteurs de projet que pour les services instructeurs. La méthode en deux temps — recherche de l’unité fonctionnelle puis qualification de l’activité principale — apporte une sécurité juridique appréciable. Les critères retenus par la cour, tels que l’unicité de gestion et l’exclusivité des accès, sont des indices matériels facilement objectivables.

De plus, le rejet de la demande de substitution de motifs formulée par la commune renforce la solidité du raisonnement principal. La cour examine l’argument subsidiaire tiré d’une gestion des déchets prétendument inadaptée et le rejette, constatant l’existence d’un local dédié. Cette analyse montre que la légalité du projet a été examinée sous plusieurs angles, ne laissant pas de place à un autre motif qui aurait pu justifier le refus. La décision impose donc à l’administration de revoir sa position sur le fondement de l’analyse validée par le juge, comme en témoigne le caractère sans objet des conclusions à fin d’injonction, déjà prononcées en première instance.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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