La Cour de justice de l’Union européenne rend, le 6 mars 2025, une décision importante concernant l’évaluation des incidences des projets publics et privés sur l’environnement. Un litige oppose une association de résidents à une agence nationale d’urbanisme au sujet de l’autorisation d’un projet de construction d’un complexe résidentiel de grande ampleur. Le maître d’ouvrage soutient que son projet ne nécessite aucune évaluation environnementale approfondie en raison de son impact prétendument limité sur le site forestier. Une association produit toutefois des observations soulignant la présence de chauves-souris protégées à proximité immédiate du futur chantier de construction urbaine et de voirie. L’autorité compétente accorde l’autorisation sans solliciter d’informations complémentaires, estimant que les documents initiaux décrivent suffisamment les effets potentiels du projet de développement immobilier. La Haute Cour d’Irlande, saisie par décision du 1er décembre 2023, sursoit à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’étendue des obligations d’instruction. La question posée porte sur le niveau d’information requis pour exclure la nécessité d’une évaluation environnementale complète lors de la procédure de vérification préliminaire. La Cour affirme que l’autorité doit demander des données supplémentaires si des éléments objectifs font naître un doute raisonnable quant aux incidences environnementales notables. L’examen des obligations d’instruction pesant sur l’administration précède l’analyse du standard de preuve imposé par le principe de précaution au stade de l’autorisation initiale.
I. La systématisation de la collecte d’informations face aux doutes environnementaux
A. La valeur juridique des observations spontanées émanant de tiers
Les directives environnementales ne prévoient pas d’obligation systématique de consultation publique durant la phase de vérification préliminaire des projets relevant des travaux d’aménagement urbain. La Cour rappelle néanmoins qu’il est de « bonne pratique administrative de tenir compte des observations spontanées susceptibles de parvenir d’autres sources » pour éclairer la décision. Ces apports extérieurs constituent des vecteurs d’information essentiels pour identifier des risques potentiels que le maître d’ouvrage aurait pu ignorer ou délibérément omettre. L’autorité compétente doit accorder une attention particulière aux signalements relatifs à la biodiversité, conformément aux exigences de protection de la faune sauvage européenne. Les informations tierces acquièrent une force contraignante dès lors qu’elles reposent sur des éléments objectifs contredisant les conclusions de l’étude d’impact simplifiée. Le juge européen impose ainsi une vigilance accrue pour garantir l’effet utile des mécanismes de contrôle environnemental prévus par le droit de l’Union.
B. L’impératif d’un complément d’instruction par le maître d’ouvrage
L’existence d’informations contradictoires oblige l’autorité administrative à réclamer des précisions techniques avant de statuer définitivement sur la dispense d’évaluation des incidences sur l’environnement. La Cour souligne que le maître d’ouvrage joue un rôle prépondérant dans la fourniture des éléments nécessaires à la détermination de l’autorité compétente. Si les observations d’une partie tierce révèlent des lacunes objectives, l’administration ne peut valablement conclure à l’absence de risque sans solliciter de nouvelles données. Cette obligation d’instruction complémentaire évite que des projets potentiellement dommageables n’échappent à un examen rigoureux sous prétexte d’un dossier initialement incomplet ou partial. L’autorité doit « demander au maître d’ouvrage de lui fournir des informations supplémentaires » pour assurer une prise de décision fondée sur des bases solides. La procédure de vérification préliminaire devient alors un dialogue dynamique visant à dissiper toute incertitude majeure concernant les facteurs de biodiversité menacés.
II. L’encadrement strict du pouvoir d’appréciation des autorités de contrôle
A. L’application rigoureuse du critère de l’absence de doute scientifique
La décision commentée consacre l’application du principe de précaution au stade même de la détermination de la nécessité d’une évaluation approfondie des incidences. Les juges affirment qu’une évaluation complète doit être réalisée « dès qu’il existe une probabilité ou un risque que le projet concerné ait des incidences notables ». Le standard de preuve retenu par la juridiction n’est pas celui de la simple décision raisonnable mais celui de l’exclusion de tout doute. L’autorité doit acquérir la certitude que les incidences notables sont impossibles avant de dispenser définitivement le projet d’une procédure d’évaluation publique complexe. Ce niveau d’exigence aligne le régime général de la directive évaluation sur celui plus strict de la protection des habitats naturels et des sites. La protection de l’environnement prime ainsi sur la célérité administrative lorsque des éléments tangibles suggèrent une menace réelle pour l’équilibre des écosystèmes.
B. L’influence déterminante du statut de protection des espèces animales
La présence d’espèces bénéficiant d’une protection stricte, telles que les chauves-souris, renforce considérablement les obligations de vérification de l’autorité nationale compétente lors de l’instruction. La Cour précise que les incidences sur ces espèces doivent faire l’objet d’une attention particulière lors de l’application des critères de sélection environnementaux. Le système de protection stricte interdit toute perturbation intentionnelle et impose de préserver les sites de reproduction ainsi que les aires de repos naturels. Dès lors que des indices sérieux signalent l’utilisation du site par ces animaux, l’absence d’étude spécifique constitue une erreur manifeste d’appréciation juridique. Le juge national doit donc sanctionner l’autorisation si l’administration n’a pas levé « tout doute scientifique raisonnable quant à la possibilité que ce projet affectât ce site ». Cette solution assure une cohérence globale entre les différents instruments législatifs européens dédiés à la conservation durable de la diversité biologique.