Cour de justice de l’Union européenne, le 16 février 2023, n°C-343/21

La Cour de justice de l’Union européenne, huitième chambre, s’est prononcée par un arrêt rendu le trente septembre deux mille vingt-et-un sur le soutien au développement rural. Un exploitant agricole avait souscrit un engagement de cinq ans mais a perdu la jouissance de ses terres lors de la dernière année d’exécution du programme. Des propriétaires privés ont refusé de renouveler les accords annuels nécessaires à la poursuite de l’activité sur les surfaces initialement déclarées par le bénéficiaire des aides. L’autorité administrative a alors exigé le remboursement partiel des sommes versées au motif que le seuil de recoupement géographique des parcelles était devenu insuffisant pour l’exploitant. La Cour administrative suprême de Bulgarie a saisi la juridiction européenne pour déterminer si cette situation constituait un remembrement ou un cas de force majeure. La Cour examine ainsi la portée de l’article quarante-cinq du règlement numéro mille neuf cent soixante-quatorze deux mille six relatif au financement de la politique agricole. Elle doit décider si l’impossibilité de respecter un engagement pluriannuel par suite de la perte d’un droit d’usage dispense l’agriculteur de toute restitution financière. Le juge européen répond que le remembrement suppose une décision publique tandis que la force majeure dépend du caractère imprévisible et extérieur des faits d’espèce.

**I. L’identification rigoureuse des mesures de gestion foncière publique**

**A. Une interprétation autonome et structurelle du remembrement**

Le droit de l’Union ne définit pas explicitement les notions de remembrement ou de mesures d’aménagement foncier décidées par les autorités publiques compétentes nationales. La juridiction européenne retient une définition autonome afin d’assurer une application uniforme des règles de financement agricole au sein de l’espace de l’Union. Selon la Cour, ces termes renvoient à des « opérations visant à la reconfiguration et au réarrangement de parcelles agricoles afin de constituer des exploitations plus rationnelles ». Cette vision privilégie une approche technique liée à la structure même des sols plutôt qu’à la situation juridique individuelle des exploitants agricoles concernés. L’exigence d’une intervention étatique souligne la volonté du législateur de protéger l’agriculteur contre des décisions administratives s’imposant impérativement à sa propre volonté individuelle.

**B. L’exclusion des aléas contractuels privés du champ de l’aménagement foncier**

La disposition protectrice ne trouve pas à s’appliquer lorsque l’impossibilité d’honorer les engagements résulte seulement de l’absence d’accords conclus entre des propriétaires privés. La Cour précise que l’impossibilité pour un agriculteur d’honorer ses obligations ne découle pas directement d’une mesure décidée par une autorité publique compétente. La disparition du droit d’utiliser une superficie pendant l’exécution d’un contrat annuel relève de la seule sphère des relations privées contractuelles. Un exploitant ne peut donc invoquer les dispositions relatives au remembrement pour justifier la rupture de ses engagements environnementaux suite à un litige locatif. Cette distinction préserve l’équilibre financier du fonds européen en limitant les cas de dispense de remboursement aux seules interventions souveraines de l’État membre.

**II. La protection subsidiaire du bénéficiaire face aux événements imprévisibles**

**A. Le devoir d’adaptation de l’engagement par l’État membre concerné**

Si un remembrement effectif est constaté, les États membres doivent impérativement prendre les mesures nécessaires pour permettre d’adapter l’engagement à la nouvelle situation. La Cour affirme que ce devoir d’adaptation constitue le corollaire nécessaire de l’intervention publique affectant la structure de l’exploitation agricole du bénéficiaire des aides. Le défaut d’adoption de ces mesures correctrices par l’autorité nationale s’oppose alors à toute demande de remboursement des fonds perçus par l’exploitant agricole. L’engagement prend fin de plein droit sans pénalité financière si l’ajustement technique des parcelles se révèle impossible pour la période restant à courir effectivement. Cette solution protège la sécurité juridique des agriculteurs ayant souscrit des obligations environnementales dont l’exécution dépend directement de la stabilité foncière des parcelles.

**B. La reconnaissance résiduelle de la force majeure comme garantie d’équité**

L’impossibilité de respecter ses obligations du fait de la perte d’un droit d’usage peut néanmoins constituer un cas de force majeure sous certaines conditions. La Cour rappelle que cette qualification exige la preuve de circonstances étrangères à l’opérateur, anormales et imprévisibles, dont les conséquences étaient inévitables malgré sa diligence. Le juge national doit vérifier si le refus de renouvellement des baux par les propriétaires présentait un caractère irrésistible pour l’exploitant au moment des faits. Une telle interprétation permet de tempérer la rigueur des contrôles budgétaires lorsque la défaillance de l’agriculteur procède d’un événement échappant totalement à son contrôle personnel. La protection des intérêts financiers de l’Union se concilie ainsi avec le respect des principes fondamentaux de justice et de proportionnalité juridique pour l’exploitant.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture