Cour d’appel de Versailles, le 24 juin 2025, n°24/01283
Je procède directement à la rédaction du commentaire d’arrêt.
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La fixation du prix d’un bien soumis au droit de préemption urbain constitue un contentieux récurrent devant les juridictions de l’expropriation. La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 24 juin 2025, apporte une contribution significative au débat relatif aux méthodes d’évaluation applicables en cette matière.
Un propriétaire souhaitait vendre un bien immobilier situé à Trappes, comprenant un local commercial de 450 m² à usage de garage automobile et de bureaux, implanté sur une parcelle de 1 366 m². Une déclaration d’intention d’aliéner fut reçue par la commune le 30 août 2022. L’Établissement public foncier d’Île-de-France exerça son droit de préemption et proposa un prix de 700 000 euros. Le propriétaire refusa cette offre par courrier réceptionné le 16 janvier 2023.
L’établissement public saisit le juge de l’expropriation de Versailles. Par jugement du 23 novembre 2023, ce magistrat fixa le prix du bien à 908 225 euros en utilisant la méthode analytique, distinguant la valeur du local (666 225 euros) de celle du terrain nu (242 000 euros). L’autorité préemptrice releva appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelant contestait le recours à la méthode analytique, qu’il qualifiait d’artificielle, et préconisait l’utilisation de la méthode dite du terrain intégré. Il sollicitait la fixation du prix à 700 000 euros. Le propriétaire intimé demandait pour sa part l’infirmation du jugement et la fixation du prix à 1 450 000 euros, estimant que son bien bénéficiait d’un emplacement exceptionnel.
La question posée à la cour était la suivante : quelle méthode d’évaluation convient-il de retenir pour déterminer le prix d’un bien commercial composite faisant l’objet d’une préemption ?
La Cour d’appel de Versailles infirme le jugement. Elle écarte la méthode analytique au profit de la méthode par comparaison dite du bâti intégré et fixe le prix de vente à 703 350 euros.
L’arrêt mérite examen tant au regard du choix de la méthode d’évaluation opéré par la cour (I) que de la mise en œuvre de cette méthode par la sélection des termes de comparaison (II).
I. Le rejet motivé de la méthode analytique au profit de la méthode globale
La cour procède à une analyse critique de la méthode analytique (A) avant de justifier le recours à la méthode du bâti intégré (B).
A. Le caractère artificiel de la méthode analytique
La Cour d’appel de Versailles expose avec clarté la distinction entre les deux méthodes concurrentes. La méthode analytique « consiste à déterminer une valeur unitaire propre à chacune des différentes parties d’un bien, selon leur surface et en fonction de leur spécificité ». La méthode globale « consiste à valoriser globalement la surface totale de l’ensemble au regard de sa destination générale en déterminant une valeur unitaire unique appliquée à l’intégrité de la surface ».
La cour qualifie ensuite le principe de la valorisation distincte. Elle retient que ce principe « présente un caractère artificiel, dans la mesure où il n’est pas ici question de vendre séparément d’une part un local, d’autre part un terrain, mais bien un ensemble ». Cette motivation traduit une approche pragmatique de l’évaluation immobilière. Le juge doit apprécier le bien tel qu’il se présente sur le marché, non tel qu’il pourrait théoriquement être décomposé.
La cour relève en outre une difficulté pratique rencontrée par le premier juge. Ce dernier n’avait pu trouver « aucune cession de local à usage commercial d’entretien d’automobile d’enseigne Speedy ou similaire » sur la commune concernée. Cette observation renforce le constat du caractère inadapté de la méthode analytique lorsque les références spécifiques à chaque composante font défaut.
B. La pertinence de la méthode du bâti intégré
Le choix de la méthode du bâti intégré repose sur une analyse de la nature du bien. La cour décrit précisément sa consistance : un local commercial de 450 m² exploité par deux enseignes distinctes, un terrain bétonné de 1 366 m² incluant un parking d’environ 680 m², le tout situé en bordure d’une route nationale.
La méthode retenue permet d’appréhender le bien comme une unité fonctionnelle. La cour précise qu’elle entend procéder « au regard de mutations portant sur des biens présentant des caractéristiques physiques et juridiques proches ». Cette formulation rappelle l’exigence de comparabilité qui gouverne toute évaluation par référence au marché.
Le propriétaire avait fait valoir que la méthode analytique s’imposait lorsque le bien « est composé de plusieurs lots aux destinations distinctes ». La cour ne reprend pas cet argument. Elle privilégie une vision unitaire du bien, considérant que la pluralité des preneurs n’emporte pas nécessairement pluralité des valeurs.
II. La sélection rigoureuse des termes de comparaison
La cour procède à un examen méthodique des références proposées (A) et en tire les conséquences sur la fixation du prix (B).
A. L’appréciation souveraine de la pertinence des références
La Cour d’appel de Versailles examine sept termes de comparaison produits par l’autorité préemptrice, tous situés sur le territoire de la commune de Trappes. Elle les retient intégralement, tout en motivant sa décision pour chacun d’entre eux.
Pour une vente portant sur une boutique de 160 m², la cour écarte l’objection tirée de la différence de surface. Elle énonce que « si sa surface est plus faible que celle du bien à évaluer, cette circonstance ne suffit pas pour exclure ce terme de comparaison ». Cette solution confirme que la comparabilité n’exige pas l’identité des biens.
S’agissant d’un entrepôt situé dans un secteur différent, la cour relève que « même s’il ne s’agit pas d’un secteur commerçant cette référence peut être retenue ». Elle ajoute que « la présence majoritaire de bureaux n’entraîne pas, à elle seule, la diminution de la valeur des terrains ». La cour fait preuve de souplesse dans l’appréciation de la localisation des références.
Pour un centre de tri postal, la cour note qu’« il importe peu que son usage actuel soit différent de celui du bien » à évaluer. Cette affirmation illustre le primat de la méthode du bâti intégré sur les considérations liées à l’affectation particulière des locaux.
En revanche, la cour écarte les références proposées par le commissaire du gouvernement car elles « portaient sur des terrains nus », incompatibles avec la méthode retenue. Elle rejette également celles du rapport d’expertise produit par le propriétaire, au motif que « les références des actes de vente ne sont pas données ». Cette exigence de traçabilité des références traduit un souci de rigueur probatoire.
B. La détermination du prix par application de la valeur unitaire
La moyenne des termes de comparaison retenus aboutit à une valeur de 1 172 euros par mètre carré. La cour relève que « l’autorité préemptrice offre d’augmenter cette somme à 1 563 euros/m² compte tenu du terrain d’assiette ». Elle retient cette proposition majorée.
Le prix est ainsi calculé par application de la valeur unitaire à la surface du local : 450 multiplié par 1 563, soit 703 350 euros. Cette somme représente une réduction de plus de 200 000 euros par rapport au prix fixé par le premier juge.
La solution retenue par la cour présente une certaine sévérité pour le propriétaire. Le prix définitif excède de peu l’offre initiale de l’autorité préemptrice. Elle illustre les conséquences pratiques du choix de la méthode d’évaluation. La méthode analytique, en additionnant des valeurs distinctes, avait conduit le premier juge à un résultat sensiblement plus élevé.
L’arrêt confirme le pouvoir souverain des juges du fond dans le choix de la méthode d’évaluation et dans la sélection des termes de comparaison. Il rappelle que l’évaluation d’un bien préempté doit refléter sa valeur vénale réelle, appréciée au regard des transactions comparables intervenues sur le marché local.
Je procède directement à la rédaction du commentaire d’arrêt.
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La fixation du prix d’un bien soumis au droit de préemption urbain constitue un contentieux récurrent devant les juridictions de l’expropriation. La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 24 juin 2025, apporte une contribution significative au débat relatif aux méthodes d’évaluation applicables en cette matière.
Un propriétaire souhaitait vendre un bien immobilier situé à Trappes, comprenant un local commercial de 450 m² à usage de garage automobile et de bureaux, implanté sur une parcelle de 1 366 m². Une déclaration d’intention d’aliéner fut reçue par la commune le 30 août 2022. L’Établissement public foncier d’Île-de-France exerça son droit de préemption et proposa un prix de 700 000 euros. Le propriétaire refusa cette offre par courrier réceptionné le 16 janvier 2023.
L’établissement public saisit le juge de l’expropriation de Versailles. Par jugement du 23 novembre 2023, ce magistrat fixa le prix du bien à 908 225 euros en utilisant la méthode analytique, distinguant la valeur du local (666 225 euros) de celle du terrain nu (242 000 euros). L’autorité préemptrice releva appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelant contestait le recours à la méthode analytique, qu’il qualifiait d’artificielle, et préconisait l’utilisation de la méthode dite du terrain intégré. Il sollicitait la fixation du prix à 700 000 euros. Le propriétaire intimé demandait pour sa part l’infirmation du jugement et la fixation du prix à 1 450 000 euros, estimant que son bien bénéficiait d’un emplacement exceptionnel.
La question posée à la cour était la suivante : quelle méthode d’évaluation convient-il de retenir pour déterminer le prix d’un bien commercial composite faisant l’objet d’une préemption ?
La Cour d’appel de Versailles infirme le jugement. Elle écarte la méthode analytique au profit de la méthode par comparaison dite du bâti intégré et fixe le prix de vente à 703 350 euros.
L’arrêt mérite examen tant au regard du choix de la méthode d’évaluation opéré par la cour (I) que de la mise en œuvre de cette méthode par la sélection des termes de comparaison (II).
I. Le rejet motivé de la méthode analytique au profit de la méthode globale
La cour procède à une analyse critique de la méthode analytique (A) avant de justifier le recours à la méthode du bâti intégré (B).
A. Le caractère artificiel de la méthode analytique
La Cour d’appel de Versailles expose avec clarté la distinction entre les deux méthodes concurrentes. La méthode analytique « consiste à déterminer une valeur unitaire propre à chacune des différentes parties d’un bien, selon leur surface et en fonction de leur spécificité ». La méthode globale « consiste à valoriser globalement la surface totale de l’ensemble au regard de sa destination générale en déterminant une valeur unitaire unique appliquée à l’intégrité de la surface ».
La cour qualifie ensuite le principe de la valorisation distincte. Elle retient que ce principe « présente un caractère artificiel, dans la mesure où il n’est pas ici question de vendre séparément d’une part un local, d’autre part un terrain, mais bien un ensemble ». Cette motivation traduit une approche pragmatique de l’évaluation immobilière. Le juge doit apprécier le bien tel qu’il se présente sur le marché, non tel qu’il pourrait théoriquement être décomposé.
La cour relève en outre une difficulté pratique rencontrée par le premier juge. Ce dernier n’avait pu trouver « aucune cession de local à usage commercial d’entretien d’automobile d’enseigne Speedy ou similaire » sur la commune concernée. Cette observation renforce le constat du caractère inadapté de la méthode analytique lorsque les références spécifiques à chaque composante font défaut.
B. La pertinence de la méthode du bâti intégré
Le choix de la méthode du bâti intégré repose sur une analyse de la nature du bien. La cour décrit précisément sa consistance : un local commercial de 450 m² exploité par deux enseignes distinctes, un terrain bétonné de 1 366 m² incluant un parking d’environ 680 m², le tout situé en bordure d’une route nationale.
La méthode retenue permet d’appréhender le bien comme une unité fonctionnelle. La cour précise qu’elle entend procéder « au regard de mutations portant sur des biens présentant des caractéristiques physiques et juridiques proches ». Cette formulation rappelle l’exigence de comparabilité qui gouverne toute évaluation par référence au marché.
Le propriétaire avait fait valoir que la méthode analytique s’imposait lorsque le bien « est composé de plusieurs lots aux destinations distinctes ». La cour ne reprend pas cet argument. Elle privilégie une vision unitaire du bien, considérant que la pluralité des preneurs n’emporte pas nécessairement pluralité des valeurs.
II. La sélection rigoureuse des termes de comparaison
La cour procède à un examen méthodique des références proposées (A) et en tire les conséquences sur la fixation du prix (B).
A. L’appréciation souveraine de la pertinence des références
La Cour d’appel de Versailles examine sept termes de comparaison produits par l’autorité préemptrice, tous situés sur le territoire de la commune de Trappes. Elle les retient intégralement, tout en motivant sa décision pour chacun d’entre eux.
Pour une vente portant sur une boutique de 160 m², la cour écarte l’objection tirée de la différence de surface. Elle énonce que « si sa surface est plus faible que celle du bien à évaluer, cette circonstance ne suffit pas pour exclure ce terme de comparaison ». Cette solution confirme que la comparabilité n’exige pas l’identité des biens.
S’agissant d’un entrepôt situé dans un secteur différent, la cour relève que « même s’il ne s’agit pas d’un secteur commerçant cette référence peut être retenue ». Elle ajoute que « la présence majoritaire de bureaux n’entraîne pas, à elle seule, la diminution de la valeur des terrains ». La cour fait preuve de souplesse dans l’appréciation de la localisation des références.
Pour un centre de tri postal, la cour note qu’« il importe peu que son usage actuel soit différent de celui du bien » à évaluer. Cette affirmation illustre le primat de la méthode du bâti intégré sur les considérations liées à l’affectation particulière des locaux.
En revanche, la cour écarte les références proposées par le commissaire du gouvernement car elles « portaient sur des terrains nus », incompatibles avec la méthode retenue. Elle rejette également celles du rapport d’expertise produit par le propriétaire, au motif que « les références des actes de vente ne sont pas données ». Cette exigence de traçabilité des références traduit un souci de rigueur probatoire.
B. La détermination du prix par application de la valeur unitaire
La moyenne des termes de comparaison retenus aboutit à une valeur de 1 172 euros par mètre carré. La cour relève que « l’autorité préemptrice offre d’augmenter cette somme à 1 563 euros/m² compte tenu du terrain d’assiette ». Elle retient cette proposition majorée.
Le prix est ainsi calculé par application de la valeur unitaire à la surface du local : 450 multiplié par 1 563, soit 703 350 euros. Cette somme représente une réduction de plus de 200 000 euros par rapport au prix fixé par le premier juge.
La solution retenue par la cour présente une certaine sévérité pour le propriétaire. Le prix définitif excède de peu l’offre initiale de l’autorité préemptrice. Elle illustre les conséquences pratiques du choix de la méthode d’évaluation. La méthode analytique, en additionnant des valeurs distinctes, avait conduit le premier juge à un résultat sensiblement plus élevé.
L’arrêt confirme le pouvoir souverain des juges du fond dans le choix de la méthode d’évaluation et dans la sélection des termes de comparaison. Il rappelle que l’évaluation d’un bien préempté doit refléter sa valeur vénale réelle, appréciée au regard des transactions comparables intervenues sur le marché local.