Cour d’appel de Paris, le 19 juin 2025, n°23/05256
L’articulation entre le droit au logement et le droit du créancier au recouvrement de sa créance constitue une problématique récurrente du contentieux locatif. La Cour d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 19 juin 2025, apporte un éclairage sur les conditions dans lesquelles le juge doit tenir compte des mesures imposées par la commission de surendettement pour accorder des délais de paiement au locataire défaillant.
En l’espèce, un bailleur social avait consenti, par acte sous seing privé du 14 juin 2017, la location d’un appartement de deux pièces. Le locataire ayant cessé de régler ses loyers, le bailleur lui a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 5 mai 2021, demeuré infructueux. Par exploit du 5 août 2022, le bailleur a assigné le locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater la résiliation du bail et obtenir son expulsion.
En première instance, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité d’Ivry-sur-Seine a, par jugement du 10 février 2023, constaté la résiliation du bail à compter du 5 juillet 2021, accordé au locataire un délai de six mois pour quitter les lieux, autorisé l’expulsion passé ce délai et condamné le locataire au paiement de la somme de 8 158,57 euros au titre de l’arriéré locatif. Le locataire a interjeté appel de cette décision le 15 mars 2023.
Devant la Cour d’appel de Paris, le locataire sollicitait à titre principal la suspension des effets de la clause résolutoire pendant trois ans et l’octroi de délais de paiement, invoquant l’ouverture d’une procédure de surendettement à son bénéfice. Le bailleur concluait à la confirmation du jugement.
La question posée à la Cour était celle de savoir si le juge, lorsqu’il constate l’acquisition de la clause résolutoire et que le locataire bénéficie de mesures imposées par la commission de surendettement, doit accorder des délais de paiement conformes auxdites mesures avec suspension des effets de la clause.
La Cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement. Elle accorde au locataire un report de 24 mois à compter du 31 octobre 2024, prolongé de 3 mois pour lui permettre de saisir à nouveau la commission de surendettement, et suspend les effets de la clause résolutoire pendant ce délai. Elle confirme en revanche la condamnation au paiement de l’arriéré locatif.
Cet arrêt illustre le mécanisme de coordination entre le droit du bail et le droit du surendettement instauré par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 (I), dont l’application en l’espèce révèle une articulation favorable au maintien dans les lieux du locataire de bonne foi (II).
I. Le mécanisme légal de coordination entre clause résolutoire et surendettement
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 organise un dispositif protecteur au bénéfice du locataire surendetté (A), dont la mise en œuvre suppose la réunion de conditions cumulatives que la Cour vérifie avec rigueur (B).
A. Un dispositif dérogatoire au profit du locataire surendetté
Le droit commun du bail d’habitation permet au bailleur de se prévaloir d’une clause résolutoire « deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux ». Ce mécanisme automatique menace directement le droit au logement du locataire défaillant. Le législateur a toutefois prévu une articulation avec le droit du surendettement aux paragraphes V, VI et VII de l’article 24.
La Cour rappelle ce cadre normatif en reproduisant in extenso les dispositions applicables. Le paragraphe VI de l’article 24 prévoit notamment que « lorsqu’une procédure de traitement du surendettement au sens du livre VII du code de la consommation a été ouverte au bénéfice du locataire et qu’au jour de l’audience, le locataire a repris le paiement du loyer et des charges », le juge statue selon des modalités spécifiques. Cette dérogation au droit commun vise à préserver l’efficacité des mesures décidées par la commission de surendettement tout en maintenant le locataire dans les lieux.
Le texte distingue plusieurs hypothèses selon le stade de la procédure de surendettement. Lorsque la commission a imposé les mesures prévues aux articles L. 733-1, L. 733-4 et L. 733-7 du code de la consommation, « le juge accorde les délais et modalités de paiement de la dette locative contenus dans le plan ou imposés par la commission ». Le juge du bail se trouve ainsi lié par les décisions de la commission, ce qui constitue une exception notable à son pouvoir d’appréciation.
B. Des conditions d’application strictement vérifiées
La mise en œuvre de ce dispositif protecteur suppose la réunion de deux conditions cumulatives. Le locataire doit d’abord bénéficier d’une procédure de surendettement ouverte. Il doit ensuite avoir repris le paiement du loyer courant au jour de l’audience.
La Cour procède à une vérification méthodique de ces conditions. Elle constate que « M. [D] justifie avoir repris le paiement des loyers et des charges en produisant ses avis d’échéance de janvier 2024 à janvier 2025 inclus, ainsi que les justificatifs de paiement correspondant ». La preuve de la reprise des paiements courants résulte ainsi d’éléments concrets et vérifiables.
S’agissant de la procédure de surendettement, la Cour relève que le locataire « verse aux débats le courrier que lui a adressé la commission de surendettement des particuliers du Val-De-Marne le 23 septembre 2024 ». Ce courrier l’informait que les mesures imposées « entrent en vigueur le 31 octobre 2024 au plus tard » et « s’imposent à lui et à ses créanciers ». La créance du bailleur, arrêtée à 10 564,89 euros, faisait l’objet d’une suspension d’exigibilité pendant 24 mois au taux de 0 %.
II. Une articulation favorable au maintien dans les lieux
L’infirmation partielle du jugement traduit la primauté accordée aux mesures de surendettement (A), tout en préservant les droits du créancier par un dispositif conditionnel (B).
A. La primauté des mesures imposées par la commission
Le premier juge avait constaté la résiliation du bail et accordé un simple délai de six mois pour quitter les lieux, rejetant la demande de délais de paiement. La Cour d’appel infirme cette décision sur un point essentiel puisqu’elle suspend les effets de la clause résolutoire et accorde des délais conformes aux mesures de surendettement.
La Cour tire les conséquences de l’évolution de la situation du locataire entre les deux instances. Celui-ci a repris le paiement des loyers courants et bénéficie désormais de mesures définitivement adoptées par la commission de surendettement. « Dès lors, compte tenu des mesures imposées par la commission de surendettement et infirmant le jugement sur ce point, il convient d’accorder à M. [D] des délais de paiement de la dette locative imposés par la commission ».
La solution retenue illustre la force contraignante des mesures de surendettement à l’égard du juge du bail. Ce dernier ne dispose pas d’une faculté mais d’une obligation d’accorder les délais correspondant aux mesures imposées, dès lors que les conditions légales sont réunies. Le maintien dans les lieux devient alors la règle, l’expulsion l’exception.
B. La préservation conditionnelle des droits du créancier
L’infirmation demeure partielle. La Cour confirme la condamnation au paiement de l’arriéré locatif de 8 158,57 euros, dette dont l’existence n’était pas contestée. Elle confirme également les condamnations aux dépens et maintient le locataire comme partie perdante à titre principal.
Le dispositif de l’arrêt organise un mécanisme conditionnel protégeant les intérêts du bailleur. La Cour « rappelle qu’à défaut de respect de ces modalités, ou dès lors que la nouvelle procédure de traitement du surendettement est clôturée sans que de nouveaux délais de paiement de la dette locative aient été accordés, la clause de résiliation de plein droit reprend son plein effet ». Elle précise les conséquences de cette reprise d’effet : exigibilité immédiate de la dette, expulsion possible et versement d’une indemnité d’occupation.
Cette rédaction anticipative du dispositif présente un intérêt pratique certain. Elle évite au bailleur de devoir saisir à nouveau le juge en cas de défaillance du locataire. La clause résolutoire, dont les effets sont seulement suspendus, demeure une épée de Damoclès incitant le locataire à respecter ses engagements. L’équilibre entre protection du débiteur et droits du créancier se trouve ainsi préservé par ce mécanisme de reprise automatique des effets de la clause.
L’articulation entre le droit au logement et le droit du créancier au recouvrement de sa créance constitue une problématique récurrente du contentieux locatif. La Cour d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 19 juin 2025, apporte un éclairage sur les conditions dans lesquelles le juge doit tenir compte des mesures imposées par la commission de surendettement pour accorder des délais de paiement au locataire défaillant.
En l’espèce, un bailleur social avait consenti, par acte sous seing privé du 14 juin 2017, la location d’un appartement de deux pièces. Le locataire ayant cessé de régler ses loyers, le bailleur lui a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 5 mai 2021, demeuré infructueux. Par exploit du 5 août 2022, le bailleur a assigné le locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater la résiliation du bail et obtenir son expulsion.
En première instance, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité d’Ivry-sur-Seine a, par jugement du 10 février 2023, constaté la résiliation du bail à compter du 5 juillet 2021, accordé au locataire un délai de six mois pour quitter les lieux, autorisé l’expulsion passé ce délai et condamné le locataire au paiement de la somme de 8 158,57 euros au titre de l’arriéré locatif. Le locataire a interjeté appel de cette décision le 15 mars 2023.
Devant la Cour d’appel de Paris, le locataire sollicitait à titre principal la suspension des effets de la clause résolutoire pendant trois ans et l’octroi de délais de paiement, invoquant l’ouverture d’une procédure de surendettement à son bénéfice. Le bailleur concluait à la confirmation du jugement.
La question posée à la Cour était celle de savoir si le juge, lorsqu’il constate l’acquisition de la clause résolutoire et que le locataire bénéficie de mesures imposées par la commission de surendettement, doit accorder des délais de paiement conformes auxdites mesures avec suspension des effets de la clause.
La Cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement. Elle accorde au locataire un report de 24 mois à compter du 31 octobre 2024, prolongé de 3 mois pour lui permettre de saisir à nouveau la commission de surendettement, et suspend les effets de la clause résolutoire pendant ce délai. Elle confirme en revanche la condamnation au paiement de l’arriéré locatif.
Cet arrêt illustre le mécanisme de coordination entre le droit du bail et le droit du surendettement instauré par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 (I), dont l’application en l’espèce révèle une articulation favorable au maintien dans les lieux du locataire de bonne foi (II).
I. Le mécanisme légal de coordination entre clause résolutoire et surendettement
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 organise un dispositif protecteur au bénéfice du locataire surendetté (A), dont la mise en œuvre suppose la réunion de conditions cumulatives que la Cour vérifie avec rigueur (B).
A. Un dispositif dérogatoire au profit du locataire surendetté
Le droit commun du bail d’habitation permet au bailleur de se prévaloir d’une clause résolutoire « deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux ». Ce mécanisme automatique menace directement le droit au logement du locataire défaillant. Le législateur a toutefois prévu une articulation avec le droit du surendettement aux paragraphes V, VI et VII de l’article 24.
La Cour rappelle ce cadre normatif en reproduisant in extenso les dispositions applicables. Le paragraphe VI de l’article 24 prévoit notamment que « lorsqu’une procédure de traitement du surendettement au sens du livre VII du code de la consommation a été ouverte au bénéfice du locataire et qu’au jour de l’audience, le locataire a repris le paiement du loyer et des charges », le juge statue selon des modalités spécifiques. Cette dérogation au droit commun vise à préserver l’efficacité des mesures décidées par la commission de surendettement tout en maintenant le locataire dans les lieux.
Le texte distingue plusieurs hypothèses selon le stade de la procédure de surendettement. Lorsque la commission a imposé les mesures prévues aux articles L. 733-1, L. 733-4 et L. 733-7 du code de la consommation, « le juge accorde les délais et modalités de paiement de la dette locative contenus dans le plan ou imposés par la commission ». Le juge du bail se trouve ainsi lié par les décisions de la commission, ce qui constitue une exception notable à son pouvoir d’appréciation.
B. Des conditions d’application strictement vérifiées
La mise en œuvre de ce dispositif protecteur suppose la réunion de deux conditions cumulatives. Le locataire doit d’abord bénéficier d’une procédure de surendettement ouverte. Il doit ensuite avoir repris le paiement du loyer courant au jour de l’audience.
La Cour procède à une vérification méthodique de ces conditions. Elle constate que « M. [D] justifie avoir repris le paiement des loyers et des charges en produisant ses avis d’échéance de janvier 2024 à janvier 2025 inclus, ainsi que les justificatifs de paiement correspondant ». La preuve de la reprise des paiements courants résulte ainsi d’éléments concrets et vérifiables.
S’agissant de la procédure de surendettement, la Cour relève que le locataire « verse aux débats le courrier que lui a adressé la commission de surendettement des particuliers du Val-De-Marne le 23 septembre 2024 ». Ce courrier l’informait que les mesures imposées « entrent en vigueur le 31 octobre 2024 au plus tard » et « s’imposent à lui et à ses créanciers ». La créance du bailleur, arrêtée à 10 564,89 euros, faisait l’objet d’une suspension d’exigibilité pendant 24 mois au taux de 0 %.
II. Une articulation favorable au maintien dans les lieux
L’infirmation partielle du jugement traduit la primauté accordée aux mesures de surendettement (A), tout en préservant les droits du créancier par un dispositif conditionnel (B).
A. La primauté des mesures imposées par la commission
Le premier juge avait constaté la résiliation du bail et accordé un simple délai de six mois pour quitter les lieux, rejetant la demande de délais de paiement. La Cour d’appel infirme cette décision sur un point essentiel puisqu’elle suspend les effets de la clause résolutoire et accorde des délais conformes aux mesures de surendettement.
La Cour tire les conséquences de l’évolution de la situation du locataire entre les deux instances. Celui-ci a repris le paiement des loyers courants et bénéficie désormais de mesures définitivement adoptées par la commission de surendettement. « Dès lors, compte tenu des mesures imposées par la commission de surendettement et infirmant le jugement sur ce point, il convient d’accorder à M. [D] des délais de paiement de la dette locative imposés par la commission ».
La solution retenue illustre la force contraignante des mesures de surendettement à l’égard du juge du bail. Ce dernier ne dispose pas d’une faculté mais d’une obligation d’accorder les délais correspondant aux mesures imposées, dès lors que les conditions légales sont réunies. Le maintien dans les lieux devient alors la règle, l’expulsion l’exception.
B. La préservation conditionnelle des droits du créancier
L’infirmation demeure partielle. La Cour confirme la condamnation au paiement de l’arriéré locatif de 8 158,57 euros, dette dont l’existence n’était pas contestée. Elle confirme également les condamnations aux dépens et maintient le locataire comme partie perdante à titre principal.
Le dispositif de l’arrêt organise un mécanisme conditionnel protégeant les intérêts du bailleur. La Cour « rappelle qu’à défaut de respect de ces modalités, ou dès lors que la nouvelle procédure de traitement du surendettement est clôturée sans que de nouveaux délais de paiement de la dette locative aient été accordés, la clause de résiliation de plein droit reprend son plein effet ». Elle précise les conséquences de cette reprise d’effet : exigibilité immédiate de la dette, expulsion possible et versement d’une indemnité d’occupation.
Cette rédaction anticipative du dispositif présente un intérêt pratique certain. Elle évite au bailleur de devoir saisir à nouveau le juge en cas de défaillance du locataire. La clause résolutoire, dont les effets sont seulement suspendus, demeure une épée de Damoclès incitant le locataire à respecter ses engagements. L’équilibre entre protection du débiteur et droits du créancier se trouve ainsi préservé par ce mécanisme de reprise automatique des effets de la clause.