Cour d’appel de Paris, le 10 septembre 2025, n°22/06146

La contestation des résolutions adoptées en assemblée générale de copropriété constitue un contentieux récurrent qui met en tension deux impératifs : la stabilité des décisions collectives et la protection des droits individuels des copropriétaires. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 10 septembre 2025 illustre cette dialectique à travers une affaire opposant des copropriétaires au syndicat des copropriétaires d’un immeuble parisien.

Deux copropriétaires d’un ensemble immobilier situé dans le quatorzième arrondissement de Paris ont contesté plusieurs assemblées générales tenues entre 2010 et 2019. Les assemblées des 5 avril et 16 juillet 2019 avaient successivement créé deux lots privatifs à partir de parties communes, cédé ces lots au syndic bénévole moyennant un prix de 7 200 euros, imposé une restriction d’usage à ces lots, puis levé cette restriction. Par acte du 18 septembre 2019, les copropriétaires ont assigné le syndicat aux fins d’annulation des assemblées générales des 23 mars 2010, 5 avril 2019 et 16 juillet 2019, invoquant des irrégularités formelles et un abus de majorité.

Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 28 janvier 2022, a déclaré irrecevables les demandes d’annulation des assemblées générales et rejeté la demande d’annulation de la résolution contestée. Les copropriétaires ont interjeté appel. L’une des appelantes étant décédée en cours de procédure, ses héritiers sont intervenus volontairement à l’instance.

La question posée à la Cour d’appel de Paris était double. D’une part, un copropriétaire ayant voté favorablement à certaines résolutions d’une assemblée générale peut-il en solliciter l’annulation intégrale pour vice de forme ? D’autre part, la levée d’une restriction d’usage portant sur des lots privatifs constitue-t-elle un abus de majorité lorsqu’elle profite au syndic bénévole acquéreur desdits lots ?

La Cour d’appel de Paris confirme intégralement le jugement entrepris. Elle retient que les copropriétaires qui ont voté favorablement à certaines résolutions sont irrecevables à demander l’annulation des assemblées générales en leur intégralité. Elle juge également que la résolution supprimant la restriction d’usage ne caractérise aucun abus de majorité, dès lors que les appelants n’établissent pas en quoi ce vote serait contraire à l’intérêt collectif ou pris dans l’intention de nuire.

La solution retenue par la Cour illustre une application rigoureuse du régime de contestation des décisions d’assemblée générale. Elle consacre l’irrecevabilité du copropriétaire approbateur à contester l’assemblée dans son ensemble (I), tout en réaffirmant les conditions restrictives de caractérisation de l’abus de majorité (II).

I. L’irrecevabilité du copropriétaire approbateur à contester l’intégralité de l’assemblée générale

La Cour d’appel de Paris applique un principe classique du droit de la copropriété qui subordonne la recevabilité de l’action en nullité à la cohérence du comportement procédural du copropriétaire (A), ce qui emporte des conséquences sur l’examen des moyens de nullité invoqués (B).

A. Le vote favorable comme obstacle à la demande d’annulation globale

Les appelants sollicitaient l’annulation intégrale des assemblées générales des 23 mars 2010, 5 avril 2019 et 16 juillet 2019 au motif d’irrégularités formelles affectant leur tenue. Ils invoquaient l’absence de nomination régulière d’un président de séance, le cumul des fonctions de président et de secrétaire par le syndic bénévole, l’absence de signature des procès-verbaux ou encore le défaut de convocation de certains copropriétaires.

La Cour confirme l’irrecevabilité prononcée en première instance en relevant que les copropriétaires « étaient présentes ou représentées et avaient voté en faveur de plusieurs résolutions lors de ces assemblées ». Cette solution procède d’une logique d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui. Le copropriétaire qui participe activement à l’assemblée et approuve certaines décisions reconnaît implicitement la régularité de la réunion. Il ne peut ensuite remettre en cause cette régularité pour obtenir l’anéantissement de décisions qui lui sont défavorables.

Cette irrecevabilité se distingue de la forclusion prévue par l’article 42 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965, qui impose un délai de deux mois pour contester les décisions d’assemblée générale. Elle repose sur l’attitude contradictoire du copropriétaire et non sur l’écoulement du temps. Le vote favorable constitue une acceptation des conditions de tenue de l’assemblée qui prive le copropriétaire de son intérêt à agir en nullité globale.

B. L’inopérance des moyens de nullité soulevés

La conséquence de l’irrecevabilité prononcée est radicale. La Cour énonce qu’il « n’y a lieu pour la cour à examiner les moyens soulevés au soutien de leur demande en nullité, lesquels sont nécessairement inopérants ». Les irrégularités formelles alléguées, quand bien même seraient-elles établies, ne peuvent plus prospérer dès lors que la demande elle-même est irrecevable.

Cette solution présente l’avantage de la cohérence procédurale. Elle évite que des copropriétaires utilisent des vices de forme comme instruments tactiques pour remettre en cause des décisions auxquelles ils ont pourtant contribué. Elle protège la sécurité juridique des décisions adoptées en assemblée générale, dont l’annulation rétroactive créerait une incertitude préjudiciable à la gestion de l’immeuble.

Toutefois, cette rigueur pourrait être discutée lorsque les irrégularités invoquées sont particulièrement graves, telles que le défaut de convocation de certains copropriétaires. Un copropriétaire présent ne peut certes se prévaloir d’un défaut de convocation le concernant, mais la question de son intérêt à invoquer l’absence de convocation d’autres copropriétaires demeure plus délicate. La Cour tranche implicitement cette question en refusant tout examen des moyens, privilégiant une approche stricte de la recevabilité.

II. Le rejet de l’abus de majorité en l’absence de preuve d’atteinte à l’intérêt collectif

L’examen au fond de la résolution contestée conduit la Cour à rappeler les conditions strictes de l’abus de majorité (A) et à relever l’insuffisance des éléments probatoires avancés par les appelants (B).

A. La définition exigeante de l’abus de majorité

La résolution litigieuse, adoptée lors de l’assemblée générale du 16 juillet 2019, supprimait une restriction d’usage imposée aux lots nouvellement créés. Ces lots, issus de parties communes, avaient été cédés au syndic bénévole avec la condition que leur affectation reste « en cave ou archives et non reliés aux lots du rez-de-chaussée ». La levée de cette restriction était présentée par les appelants comme un abus de majorité caractérisé.

La Cour reprend à son compte la définition doctrinale et jurisprudentielle de l’abus de majorité. Celui-ci « consiste à utiliser la majorité dans un intérêt autre que l’intérêt collectif ou dans un intérêt qui lui est contraire, soit, le plus souvent, dans un intérêt personnel, soit dans l’intérêt exclusif du groupe majoritaire au détriment du groupe minoritaire, soit en rompant l’équilibre entre les copropriétaires, soit avec l’intention de nuire ».

Cette définition cumulative impose au demandeur une charge probatoire lourde. Il doit établir non seulement que la décision profite à certains copropriétaires, mais également qu’elle porte atteinte à l’intérêt collectif ou procède d’une intention malveillante. La Cour souligne que « les copropriétaires demandeurs » doivent « rapporter la preuve de l’abus de majorité invoqué ». La seule circonstance que le syndic bénévole acquéreur des lots tire avantage de la levée de la restriction ne suffit pas à caractériser l’abus.

B. L’insuffisance de la démonstration des appelants

Les appelants soutenaient que la restriction initiale avait pour objet de préserver la destination de l’immeuble et les intérêts des copropriétaires, de sorte que sa suppression constituait nécessairement un abus. La Cour écarte cette argumentation en constatant que les éléments avancés « ne consistent qu’en une succession d’informations sur l’historique des discussions qui a conduit au vote de la délibération critiquée, sans caractériser en quoi ce vote serait constitutif d’un abus de majorité ».

La Cour ajoute un argument déterminant tenant au régime juridique applicable. Elle relève que « la modification de l’affectation d’une cave à usage d’habitation nécessiterait en tout état de cause l’autorisation préalable des copropriétaires réunis en assemblée générale ». La suppression de la restriction d’usage ne confère donc pas au bénéficiaire une liberté totale d’aménagement de ses lots. Toute transformation substantielle demeurerait soumise au contrôle de l’assemblée générale, ce qui préserve les intérêts collectifs que les appelants prétendaient menacés.

Les « craintes exprimées par les appelants quant aux atteintes potentielles à la solidité de l’immeuble, à la tranquillité et à une rupture d’égalité entre les copropriétaires » sont qualifiées de « non justifiées ». La Cour refuse de sanctionner une décision sur le fondement de préjudices hypothétiques. L’abus de majorité requiert la démonstration d’une atteinte effective ou d’une intention de nuire caractérisée, et non la simple éventualité d’inconvénients futurs.

La confirmation du jugement sur ce point illustre la réticence des juridictions à censurer les décisions majoritaires en l’absence de preuves tangibles d’un détournement de pouvoir. Cette prudence se justifie par le respect du principe démocratique qui gouverne la copropriété, où les décisions sont prises à la majorité des voix exprimées. L’intervention du juge pour annuler une résolution ne saurait se substituer à l’appréciation souveraine de l’assemblée générale que dans des hypothèses exceptionnelles dûment établies.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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