Cour d’appel de Paris, le 1 juillet 2025, n°23/07746

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 1er juillet 2025, confirme la nullité d’un bail d’habitation conclu sous une fausse identité et ordonne l’expulsion des locataires.

Les faits de l’espèce remontent à 2012, date à laquelle deux personnes ont obtenu un logement social en usurpant l’identité d’un tiers. Un nouveau contrat de bail a été signé le 2 octobre 2020 avec un bailleur social, toujours sous ce nom d’emprunt. L’un des locataires a été condamné pénalement pour usage de faux nom par ordonnance d’homologation du 3 décembre 2020. Le bailleur, informé de la situation par un signalement du département le 22 septembre 2021, a déposé plainte le 1er octobre 2021 puis assigné les occupants le 29 juillet 2022.

Par jugement du 7 mars 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Melun a prononcé la nullité du bail pour dol, ordonné l’expulsion des locataires et les a condamnés au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle. Les locataires ont interjeté appel le 24 avril 2023, contestant l’existence d’un dol ayant vicié le consentement du bailleur. Ils soutenaient que ce dernier connaissait leur véritable identité avant la signature du bail litigieux. Le bailleur demandait la confirmation du jugement et, subsidiairement, la résiliation judiciaire du bail pour manquement à l’obligation de paiement.

La question posée à la Cour d’appel de Paris était de déterminer si la conclusion d’un bail d’habitation sous une fausse identité constitue un dol justifiant l’annulation du contrat. La cour répond par l’affirmative et confirme le jugement en toutes ses dispositions, retenant que « cette usurpation d’identité qui ne peut résulter que d’un acte volontaire visant à tromper le bailleur sur la personne de son co-contractant, est constitutive de manoeuvres caractéristiques du dol ».

Cet arrêt invite à examiner les conditions de caractérisation du dol dans le contrat de bail (I), avant d’en apprécier les conséquences sur la situation des parties (II).

I. La caractérisation du dol par usurpation d’identité

L’usurpation d’identité lors de la conclusion d’un bail constitue une manoeuvre dolosive au sens de l’article 1137 du code civil (A). Cette qualification repose sur le caractère intuitu personae du contrat de bail d’habitation (B).

A. L’usurpation d’identité comme manoeuvre dolosive

La cour rappelle le cadre juridique applicable en citant l’article 1137 du code civil selon lequel « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manoeuvres ou des mensonges ». Elle précise que « peut ainsi être annulé pour dol le contrat conclu sur la foi de documents inexacts, trompeurs ou falsifiés ». L’arrêt souligne en outre que « la personne ayant commis un dol a ainsi commis une faute intentionnelle, dans l’intention de tromper son cocontractant ».

En l’espèce, les locataires avaient signé le bail sous un nom d’emprunt et avaient continué à utiliser cette fausse identité dans leurs rapports avec le bailleur, même après leur condamnation pénale. Les enquêtes de supplément de loyer de solidarité transmises au bailleur mentionnaient encore le faux nom. La cour relève que les intéressés avaient également établi leurs déclarations d’impôt sous cette identité usurpée. Ces éléments caractérisent sans ambiguïté l’intention de tromper.

Les appelants soutenaient que le bailleur connaissait leur véritable identité avant la signature du contrat. La cour écarte cet argument en constatant qu’une simple télécopie adressée en 2017 à un numéro non identifié ne saurait établir cette connaissance. Elle relève au contraire que le bailleur a immédiatement déposé plainte dès qu’il a été informé de la situation par le département.

B. Le fondement tiré du caractère intuitu personae du bail

La cour énonce que « le bail d’habitation est un contrat conclu intuitu personae, ce qui est justifié surtout en l’espèce de la part d’un bailleur social, par le souci de choisir un locataire répondant aux critères sociaux exigés par la loi en la matière ». Cette affirmation constitue le pivot du raisonnement.

Le contrat de location sociale suppose la vérification de la situation administrative, de la composition du foyer et des ressources du candidat locataire. Ces éléments sont « attachés à leur personne » et « conditionnent le consentement du bailleur ». Lorsque ces informations sont fausses parce qu’attribuées à un tiers, elles « font obstacle à un consentement valablement éclairé ».

La cour rattache ainsi la nullité à l’article 1130 du code civil qui dispose que le dol vicie le consentement « lorsqu’il est de telle nature que, sans lui, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ». Elle précise que « son caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Le bailleur social n’aurait assurément pas contracté s’il avait connu la véritable identité des locataires et leur absence de titre à occuper un logement social.

II. Les effets de l’annulation du bail pour dol

L’annulation du bail entraîne l’obligation de libérer les lieux (A). Elle emporte également des conséquences financières pour les occupants sans titre (B).

A. L’expulsion comme conséquence de la nullité

La nullité du bail prive les occupants de tout titre juridique à demeurer dans les lieux. La cour confirme la décision du premier juge ordonnant leur expulsion. Elle rappelle que cette mesure peut être exécutée « deux mois après la signification d’un commandement de quitter les lieux », y compris « avec le concours d’un serrurier et de la force publique ».

Cette solution découle logiquement de l’anéantissement rétroactif du contrat. Les parties doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient avant sa conclusion. Les occupants ne peuvent se prévaloir d’aucun droit au maintien dans les lieux puisque le bail est réputé n’avoir jamais existé.

La cour adopte les motifs du premier juge qui avait fait « une exacte appréciation des faits » et développé « une motivation rigoureuse faisant référence aux différentes pièces produites ». Cette adoption des motifs témoigne de la solidité du raisonnement retenu en première instance.

B. Les conséquences financières de l’occupation sans droit ni titre

Le jugement avait débouté le bailleur de sa demande en paiement de l’arriéré locatif. Cette solution procède de la nullité du bail : aucun loyer n’est dû en exécution d’un contrat annulé. La cour confirme ce chef du dispositif.

En revanche, les occupants sans titre sont condamnés au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle de 891,01 euros. Cette indemnité compense l’occupation indue des lieux à compter de janvier 2023 jusqu’à la libération effective caractérisée par la restitution des clés. Elle représente la contrepartie de l’avantage procuré par le maintien dans les lieux sans droit.

Les appelants sont en outre condamnés à verser 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, outre les dépens. La cour écarte leur demande de frais irrépétibles au motif qu’ils succombent. Cette répartition des frais sanctionne le comportement fautif des locataires qui ont persisté dans leur contestation malgré l’évidence du dol.

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante sanctionnant les manoeuvres destinées à tromper le cocontractant sur l’identité du locataire. Il rappelle que le caractère intuitu personae du bail d’habitation justifie une protection renforcée du consentement du bailleur. La solution retenue présente une portée particulière en matière de logement social où les conditions d’attribution sont strictement réglementées. Elle dissuade les fraudes à l’identité qui portent atteinte au droit au logement des personnes légitimement éligibles.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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