Cour d’appel de Montpellier, le 1 juillet 2025, n°24/03179

La cour d’appel de Montpellier, par un arrêt du 1er juillet 2025, a confirmé un jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 27 mai 2024 dans un litige opposant deux sociétés commerciales au sujet de travaux de reprise sur une centrale photoélectrique.

Une société spécialisée dans la construction de réseaux électriques et de télécommunications avait confié à une entreprise la réalisation de travaux de reprise totale d’un local technique après incendie, pour un montant de 13 392 euros TTC selon devis du 23 juin 2022. Deux factures de 6 696 euros chacune ont été émises en décembre 2022 et janvier 2023. L’attestation de conformité de l’installation a été délivrée le 21 avril 2023. Le 5 mai 2023, le maître de l’ouvrage a fait dresser un procès-verbal de constat par commissaire de justice pour constater d’éventuels désordres, avant de refuser le paiement du solde en invoquant des manquements contractuels et en réclamant des dommages et intérêts.

En première instance, le tribunal de commerce a débouté le maître de l’ouvrage de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné reconventionnellement à payer le solde de 5 196 euros. Le maître de l’ouvrage a interjeté appel, sollicitant l’infirmation du jugement, la résolution du contrat aux torts de l’entrepreneur et le paiement de dommages et intérêts. L’entrepreneur a demandé la confirmation du jugement.

La question posée à la cour était de déterminer si l’entrepreneur avait commis des manquements contractuels justifiant la résolution du contrat et, à défaut, si le solde des travaux lui était dû.

La cour a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, retenant l’absence de faute imputable à l’entrepreneur et le caractère probant insuffisant du procès-verbal de constat produit par l’appelant.

I. L’appréciation des manquements contractuels allégués dans l’exécution des travaux

La cour se prononce sur la durée d’exécution des travaux en l’absence de délai contractuel (A) puis sur l’imputabilité des retards invoqués par le maître de l’ouvrage (B).

A. L’absence de délai contractuel d’exécution et ses conséquences

La cour relève à titre liminaire une confusion opérée par l’appelant entre les motifs du jugement et la partie consacrée aux « moyens des parties ». Le tribunal n’avait jamais retenu dans ses motifs que la durée des travaux était anormale ou ne correspondait pas à une durée « raisonnable ». Cette précision méthodologique rappelle l’exigence de lecture rigoureuse des décisions judiciaires.

L’arrêt souligne qu’« aucun engagement de délai maximal d’exécution des travaux n’était prévu au devis ». Cette constatation factuelle emporte des conséquences juridiques importantes. En l’absence de stipulation contractuelle expresse sur le délai, l’obligation de l’entrepreneur s’apprécie au regard du délai raisonnable. La charge de la preuve d’un dépassement fautif incombe alors au maître de l’ouvrage qui invoque un manquement.

Le silence du contrat sur ce point essentiel fragilise la position de l’appelant. Le devis, instrument contractuel par excellence dans les marchés de travaux, ne comportait aucune contrainte temporelle. L’entrepreneur ne pouvait donc être tenu d’une obligation qu’il n’avait pas souscrite. Cette solution s’inscrit dans le respect du principe de force obligatoire du contrat énoncé à l’article 1103 du code civil, lequel suppose que les obligations des parties soient déterminées ou déterminables.

B. L’exonération de l’entrepreneur du fait des difficultés d’approvisionnement

La cour approuve l’analyse du tribunal selon laquelle « les retards dans l’avancement des travaux n’étaient pas imputables » à l’entrepreneur. Elle retient que celui-ci « avait d’ailleurs, constamment tenu son cocontractant informé des difficultés d’approvisionnement des matériels nécessaires à l’installation ».

Cette motivation met en lumière le rôle du devoir d’information dans l’exécution contractuelle. L’entrepreneur qui se trouve confronté à des circonstances extérieures affectant sa prestation doit en aviser le maître de l’ouvrage. Cette obligation, expression du principe de bonne foi consacré à l’article 1104 du code civil, a été respectée en l’espèce. L’information régulière sur les difficultés d’approvisionnement constitue un élément d’appréciation favorable à l’entrepreneur.

Les difficultés d’approvisionnement, sans constituer un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil, peuvent néanmoins justifier des retards d’exécution. Lorsqu’elles sont extérieures à l’entrepreneur et que celui-ci en informe son cocontractant, elles excluent la faute contractuelle. La cour valide cette analyse en confirmant l’absence de manquement imputable à l’intimée.

II. Le rejet de la demande de résolution et ses conséquences indemnitaires

La cour examine la valeur probante du constat d’huissier produit (A) avant de statuer sur les demandes pécuniaires réciproques (B).

A. L’insuffisance probatoire du procès-verbal de constat

Le maître de l’ouvrage avait fait établir un procès-verbal de constat le 5 mai 2023, soit après l’obtention du consuel le 21 avril 2023, en faisant intervenir un technicien d’une société tierce sans en informer l’entrepreneur. La cour retient que ce document « ne pouvait servir de preuve formelle des désordres allégués ».

Cette appréciation sévère du procès-verbal de constat mérite attention. Le commissaire de justice avait été accompagné d’un technicien spécialisé de la société Allosun. Toutefois, l’absence de contradictoire avec l’entrepreneur affaiblit considérablement la force probante de ce document. La cour relève expressément que le dirigeant du maître de l’ouvrage « n’avait pas informé la SARL Jean et Barthes de la mise en service de l’installation » et « avait préféré faire intervenir un prestataire extérieur, ceci, sans prévenir l’intimée ».

Ce comportement unilatéral prive le constat de sa valeur démonstrative. En matière de travaux, la constatation des désordres doit, pour être pleinement probante, permettre à l’entrepreneur mis en cause de présenter ses observations. L’absence de convocation de ce dernier lors des opérations de constat constitue une carence procédurale que la cour sanctionne sur le terrain probatoire.

B. La condamnation au paiement du solde et le rejet des demandes indemnitaires

La cour confirme la condamnation du maître de l’ouvrage à payer « la somme de 5 196 euros TTC, correspondant au solde des travaux réalisés ». Ce solde correspond à la facture du 26 janvier 2023 partiellement acquittée. L’entrepreneur ayant exécuté sa prestation conformément au devis, il était fondé à en réclamer le règlement intégral.

L’appelant sollicitait la résolution du contrat aux torts de l’entrepreneur et le paiement de 22 250,17 euros de dommages et intérêts. La cour rejette ces prétentions. En l’absence de manquement contractuel établi, les conditions de la résolution judiciaire prévue à l’article 1227 du code civil ne sont pas réunies. La demande de dommages et intérêts, qui supposait la démonstration d’une faute et d’un préjudice en lien causal, se trouve également privée de fondement.

La demande de 2 000 euros pour résistance abusive subit le même sort. Le refus de paiement opposé par le maître de l’ouvrage constituait, au contraire, la manifestation d’une résistance injustifiée. La cour tire les conséquences de cette appréciation en condamnant l’appelant aux dépens d’appel et au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ajoutant ainsi aux condamnations de première instance.

Cet arrêt illustre les difficultés rencontrées par le maître de l’ouvrage qui entend contester l’exécution de travaux sans avoir formalisé ses exigences contractuelles ni respecté le contradictoire dans l’établissement de la preuve des désordres allégués. Il rappelle que la résolution judiciaire du contrat suppose la démonstration de manquements suffisamment graves, démonstration qui ne saurait résulter d’un constat unilatéral dressé après achèvement des travaux sans convocation de l’entrepreneur.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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