Cour d’appel de Montpellier, le 1 juillet 2025, n°24/02639
La location de matériel de chantier soulève des difficultés particulières lorsque l’engin loué est restitué endommagé. La Cour d’appel de Montpellier, dans son arrêt du 1er juillet 2025, apporte des précisions utiles sur le régime probatoire applicable et sur l’articulation entre obligations contractuelles et assurance obligatoire.
Une société avait conclu le 27 mai 2022 un contrat de location portant sur une mini-pelle. Quelques jours plus tard, le 2 juin 2022, ce matériel fut repris par le loueur et un nouvel engin mis à disposition. Le loueur constata des dégradations importantes sur la première mini-pelle et mit en demeure le locataire, le 4 octobre 2022, de régler la somme de 23 343,24 euros correspondant aux réparations effectuées. Faute de paiement, il assigna le locataire devant le tribunal de commerce de Montpellier.
Par jugement du 22 avril 2024, le tribunal de commerce de Montpellier condamna le locataire au paiement de cette somme, retenant qu’il échouait à prouver que les dégradations ne résultaient pas de sa faute. Le locataire interjeta appel le 21 mai 2024, soulevant l’irrecevabilité des demandes du loueur au motif que celui-ci, soumis à une obligation d’assurance des véhicules terrestres à moteur, aurait dû être indemnisé par son assureur. À titre subsidiaire, il contestait l’existence et le quantum de la créance et demandait la limitation de sa responsabilité au montant de la franchise contractuelle de 1 500 euros.
La question posée à la Cour d’appel de Montpellier était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si le loueur d’un engin de chantier dispose d’un intérêt à agir contre le locataire nonobstant l’existence d’une assurance obligatoire au titre de l’article L. 211-1 du code des assurances. Il convenait ensuite de préciser sur qui pèse la charge de la preuve concernant l’origine des dégradations survenues pendant la jouissance du locataire.
La Cour confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle écarte la fin de non-recevoir en relevant que l’assurance obligatoire prévue par l’article L. 211-1 du code des assurances couvre la responsabilité envers les tiers pour les accidents de circulation, non les dommages causés par le locataire lui-même qui n’est pas un tiers au contrat. Elle juge ensuite que conformément à l’article 1732 du code civil, « le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute », de sorte que les premiers juges n’ont pas inversé la charge de la preuve.
Cette décision mérite examen tant au regard du régime de responsabilité du locataire pour les dégradations survenues pendant la jouissance (I) qu’au regard de l’articulation entre ce régime et les mécanismes assurantiels (II).
I. La confirmation du régime légal de responsabilité du locataire
La Cour applique avec rigueur le mécanisme probatoire prévu par le code civil (A) tout en validant les modalités contractuelles de constatation des dommages (B).
A. L’application stricte de la présomption de responsabilité de l’article 1732
La Cour rappelle les termes de l’article 1732 du code civil selon lequel le locataire « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ». Ce texte instaure une présomption de responsabilité pesant sur le locataire. Il ne lui suffit pas de contester les allégations du bailleur ; il doit démontrer positivement que les dégradations sont survenues sans faute de sa part.
L’appelant soutenait que le tribunal avait inversé la charge de la preuve en exigeant de lui qu’il démontre l’absence de faute. La Cour rejette fermement cet argument. Le mécanisme de l’article 1732 impose précisément au locataire cette démonstration négative. La présomption légale trouve son fondement dans la logique même du contrat de louage : le locataire a la garde de la chose et en maîtrise l’usage. Il est le mieux placé pour expliquer les circonstances des dégradations.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. La Cour de cassation a régulièrement confirmé que le locataire supporte le risque de la preuve lorsqu’il ne peut établir une cause étrangère exonératoire. En l’espèce, le locataire se bornait à affirmer que la mini-pelle était défectueuse lors de sa prise en charge, sans produire d’élément probant. Or les conditions générales de location stipulaient que « le matériel est réputé en bon état de marche et d’entretien au moment de la prise en charge par le locataire ». Cette clause établissait une présomption conventionnelle de conformité au départ que le locataire n’a pas renversée.
B. La validation des modalités contractuelles de constatation des dommages
L’arrêt approuve également la procédure suivie par le loueur pour constater et notifier les dommages. L’article IV des conditions générales prévoyait qu’en l’absence de constat contradictoire, un devis détaillé serait adressé au locataire qui disposerait de la faculté de le contester en désignant un expert.
La Cour relève que le loueur a respecté cette procédure. Dès le 7 juin 2022, la facture de location mentionnait « Matériel restitué endommagé, devis en cours ». Le 10 juin 2022, une lettre recommandée détaillait les dégradations et invitait le locataire à faire désigner un expert. Ce dernier choisit de ne pas retirer le courrier recommandé et ne contesta pas utilement le devis.
L’appelant objectait que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. La Cour écarte ce moyen en rappelant que « la preuve d’un fait étant libre et pouvant être rapportée par tous moyens », le loueur pouvait produire les devis et factures établis après réparation. Cette solution est conforme à la jurisprudence qui admet la valeur probante des documents unilatéraux lorsqu’ils sont corroborés par d’autres éléments et que la partie adverse a eu la possibilité de les contester.
En définitive, le locataire qui refuse de participer au constat contradictoire et néglige de faire valoir ses observations se trouve dans une position probatoire délicate. La passivité du locataire joue contre lui dans l’appréciation de sa responsabilité.
II. L’absence d’incidence de l’assurance obligatoire sur l’action du loueur
L’analyse de la Cour démontre que l’assurance des véhicules terrestres à moteur ne prive pas le loueur de son intérêt à agir (A) et que les limitations contractuelles de garantie ne s’appliquent qu’aux véhicules légers (B).
A. Le champ limité de l’assurance obligatoire aux dommages causés aux tiers
L’appelant soutenait que le loueur, soumis à l’obligation d’assurance prévue par l’article L. 211-1 du code des assurances, aurait dû être indemnisé par son assureur et serait dès lors irrecevable à agir. La Cour rejette cette analyse en distinguant soigneusement l’objet de l’assurance obligatoire.
L’article L. 211-1 impose une couverture de la responsabilité civile « en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué ». Cette assurance protège les victimes d’accidents de circulation causés par le véhicule assuré. Elle n’a pas vocation à garantir les dommages subis par le véhicule lui-même, ni à couvrir les dégradations causées par l’utilisateur au propriétaire.
La Cour souligne que le locataire « n’est pas un tiers au contrat, mais bien le locataire de la mini-pelle ». Cette qualification est déterminante. Le locataire se trouve dans une relation contractuelle avec le loueur. Les dommages qu’il cause à la chose louée relèvent de sa responsabilité contractuelle, non de la garantie due aux tiers victimes d’accidents de circulation.
Cette distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle couverte par l’assurance obligatoire préserve la cohérence du système juridique. Le locataire ne saurait échapper à ses obligations contractuelles en invoquant une assurance destinée à protéger des personnes extérieures au contrat.
B. L’inapplicabilité de la limitation de garantie aux engins lourds
L’appelant invoquait subsidiairement le plafonnement de sa responsabilité à 1 500 euros prévu par l’article V des conditions générales. Ce texte limitait effectivement la charge du locataire au montant de la franchise pour les dommages subis par les véhicules légers.
La Cour écarte ce moyen en relevant que la mini-pelle louée pesait 8,350 tonnes. Or l’article R. 323-6 du code de la route réserve la qualification de véhicule léger aux engins dont le poids total autorisé en charge n’excède pas 3,5 tonnes. La clause de limitation ne pouvait donc s’appliquer à un engin de chantier de cette importance.
Cette interprétation littérale des stipulations contractuelles s’impose. Les clauses limitatives de responsabilité, qui dérogent au principe de la réparation intégrale, doivent être interprétées strictement. Le locataire professionnel ne pouvait ignorer les caractéristiques de l’engin qu’il louait. En choisissant une mini-pelle de 8,5 tonnes, il acceptait implicitement que la limitation aux véhicules légers ne lui serait pas applicable.
La solution retenue par la Cour d’appel de Montpellier présente une portée pratique significative pour les acteurs du secteur de la location de matériel de chantier. Elle rappelle que le locataire professionnel assume une responsabilité étendue pour les dégradations survenues pendant la jouissance, sans pouvoir se retrancher derrière l’assurance obligatoire du loueur ni invoquer des limitations de garantie inapplicables aux engins lourds.
La location de matériel de chantier soulève des difficultés particulières lorsque l’engin loué est restitué endommagé. La Cour d’appel de Montpellier, dans son arrêt du 1er juillet 2025, apporte des précisions utiles sur le régime probatoire applicable et sur l’articulation entre obligations contractuelles et assurance obligatoire.
Une société avait conclu le 27 mai 2022 un contrat de location portant sur une mini-pelle. Quelques jours plus tard, le 2 juin 2022, ce matériel fut repris par le loueur et un nouvel engin mis à disposition. Le loueur constata des dégradations importantes sur la première mini-pelle et mit en demeure le locataire, le 4 octobre 2022, de régler la somme de 23 343,24 euros correspondant aux réparations effectuées. Faute de paiement, il assigna le locataire devant le tribunal de commerce de Montpellier.
Par jugement du 22 avril 2024, le tribunal de commerce de Montpellier condamna le locataire au paiement de cette somme, retenant qu’il échouait à prouver que les dégradations ne résultaient pas de sa faute. Le locataire interjeta appel le 21 mai 2024, soulevant l’irrecevabilité des demandes du loueur au motif que celui-ci, soumis à une obligation d’assurance des véhicules terrestres à moteur, aurait dû être indemnisé par son assureur. À titre subsidiaire, il contestait l’existence et le quantum de la créance et demandait la limitation de sa responsabilité au montant de la franchise contractuelle de 1 500 euros.
La question posée à la Cour d’appel de Montpellier était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si le loueur d’un engin de chantier dispose d’un intérêt à agir contre le locataire nonobstant l’existence d’une assurance obligatoire au titre de l’article L. 211-1 du code des assurances. Il convenait ensuite de préciser sur qui pèse la charge de la preuve concernant l’origine des dégradations survenues pendant la jouissance du locataire.
La Cour confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle écarte la fin de non-recevoir en relevant que l’assurance obligatoire prévue par l’article L. 211-1 du code des assurances couvre la responsabilité envers les tiers pour les accidents de circulation, non les dommages causés par le locataire lui-même qui n’est pas un tiers au contrat. Elle juge ensuite que conformément à l’article 1732 du code civil, « le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute », de sorte que les premiers juges n’ont pas inversé la charge de la preuve.
Cette décision mérite examen tant au regard du régime de responsabilité du locataire pour les dégradations survenues pendant la jouissance (I) qu’au regard de l’articulation entre ce régime et les mécanismes assurantiels (II).
I. La confirmation du régime légal de responsabilité du locataire
La Cour applique avec rigueur le mécanisme probatoire prévu par le code civil (A) tout en validant les modalités contractuelles de constatation des dommages (B).
A. L’application stricte de la présomption de responsabilité de l’article 1732
La Cour rappelle les termes de l’article 1732 du code civil selon lequel le locataire « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ». Ce texte instaure une présomption de responsabilité pesant sur le locataire. Il ne lui suffit pas de contester les allégations du bailleur ; il doit démontrer positivement que les dégradations sont survenues sans faute de sa part.
L’appelant soutenait que le tribunal avait inversé la charge de la preuve en exigeant de lui qu’il démontre l’absence de faute. La Cour rejette fermement cet argument. Le mécanisme de l’article 1732 impose précisément au locataire cette démonstration négative. La présomption légale trouve son fondement dans la logique même du contrat de louage : le locataire a la garde de la chose et en maîtrise l’usage. Il est le mieux placé pour expliquer les circonstances des dégradations.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. La Cour de cassation a régulièrement confirmé que le locataire supporte le risque de la preuve lorsqu’il ne peut établir une cause étrangère exonératoire. En l’espèce, le locataire se bornait à affirmer que la mini-pelle était défectueuse lors de sa prise en charge, sans produire d’élément probant. Or les conditions générales de location stipulaient que « le matériel est réputé en bon état de marche et d’entretien au moment de la prise en charge par le locataire ». Cette clause établissait une présomption conventionnelle de conformité au départ que le locataire n’a pas renversée.
B. La validation des modalités contractuelles de constatation des dommages
L’arrêt approuve également la procédure suivie par le loueur pour constater et notifier les dommages. L’article IV des conditions générales prévoyait qu’en l’absence de constat contradictoire, un devis détaillé serait adressé au locataire qui disposerait de la faculté de le contester en désignant un expert.
La Cour relève que le loueur a respecté cette procédure. Dès le 7 juin 2022, la facture de location mentionnait « Matériel restitué endommagé, devis en cours ». Le 10 juin 2022, une lettre recommandée détaillait les dégradations et invitait le locataire à faire désigner un expert. Ce dernier choisit de ne pas retirer le courrier recommandé et ne contesta pas utilement le devis.
L’appelant objectait que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. La Cour écarte ce moyen en rappelant que « la preuve d’un fait étant libre et pouvant être rapportée par tous moyens », le loueur pouvait produire les devis et factures établis après réparation. Cette solution est conforme à la jurisprudence qui admet la valeur probante des documents unilatéraux lorsqu’ils sont corroborés par d’autres éléments et que la partie adverse a eu la possibilité de les contester.
En définitive, le locataire qui refuse de participer au constat contradictoire et néglige de faire valoir ses observations se trouve dans une position probatoire délicate. La passivité du locataire joue contre lui dans l’appréciation de sa responsabilité.
II. L’absence d’incidence de l’assurance obligatoire sur l’action du loueur
L’analyse de la Cour démontre que l’assurance des véhicules terrestres à moteur ne prive pas le loueur de son intérêt à agir (A) et que les limitations contractuelles de garantie ne s’appliquent qu’aux véhicules légers (B).
A. Le champ limité de l’assurance obligatoire aux dommages causés aux tiers
L’appelant soutenait que le loueur, soumis à l’obligation d’assurance prévue par l’article L. 211-1 du code des assurances, aurait dû être indemnisé par son assureur et serait dès lors irrecevable à agir. La Cour rejette cette analyse en distinguant soigneusement l’objet de l’assurance obligatoire.
L’article L. 211-1 impose une couverture de la responsabilité civile « en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué ». Cette assurance protège les victimes d’accidents de circulation causés par le véhicule assuré. Elle n’a pas vocation à garantir les dommages subis par le véhicule lui-même, ni à couvrir les dégradations causées par l’utilisateur au propriétaire.
La Cour souligne que le locataire « n’est pas un tiers au contrat, mais bien le locataire de la mini-pelle ». Cette qualification est déterminante. Le locataire se trouve dans une relation contractuelle avec le loueur. Les dommages qu’il cause à la chose louée relèvent de sa responsabilité contractuelle, non de la garantie due aux tiers victimes d’accidents de circulation.
Cette distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle couverte par l’assurance obligatoire préserve la cohérence du système juridique. Le locataire ne saurait échapper à ses obligations contractuelles en invoquant une assurance destinée à protéger des personnes extérieures au contrat.
B. L’inapplicabilité de la limitation de garantie aux engins lourds
L’appelant invoquait subsidiairement le plafonnement de sa responsabilité à 1 500 euros prévu par l’article V des conditions générales. Ce texte limitait effectivement la charge du locataire au montant de la franchise pour les dommages subis par les véhicules légers.
La Cour écarte ce moyen en relevant que la mini-pelle louée pesait 8,350 tonnes. Or l’article R. 323-6 du code de la route réserve la qualification de véhicule léger aux engins dont le poids total autorisé en charge n’excède pas 3,5 tonnes. La clause de limitation ne pouvait donc s’appliquer à un engin de chantier de cette importance.
Cette interprétation littérale des stipulations contractuelles s’impose. Les clauses limitatives de responsabilité, qui dérogent au principe de la réparation intégrale, doivent être interprétées strictement. Le locataire professionnel ne pouvait ignorer les caractéristiques de l’engin qu’il louait. En choisissant une mini-pelle de 8,5 tonnes, il acceptait implicitement que la limitation aux véhicules légers ne lui serait pas applicable.
La solution retenue par la Cour d’appel de Montpellier présente une portée pratique significative pour les acteurs du secteur de la location de matériel de chantier. Elle rappelle que le locataire professionnel assume une responsabilité étendue pour les dégradations survenues pendant la jouissance, sans pouvoir se retrancher derrière l’assurance obligatoire du loueur ni invoquer des limitations de garantie inapplicables aux engins lourds.