La Cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée le 30 janvier 2025 sur le bénéfice du crédit d’impôt pour investissement en Corse. Une société exerçant une activité de marchand de biens a acquis la majorité des parts d’une villa située en Corse-du-Sud. Cette acquisition a été réalisée en indivision avec des personnes physiques occupant le bâtiment à titre privé durant une partie de l’année. La société a sollicité le remboursement d’un crédit d’impôt au titre des dispositions de l’article 244 quater E du code général des impôts. L’administration fiscale a rejeté cette demande, estimant que le bien n’était pas exclusivement affecté à une activité commerciale éligible. Le Tribunal administratif de Versailles a confirmé ce refus par deux jugements rendus les 1er février 2022 et 31 janvier 2023. La requérante soutient devant la Cour que la loi ne prévoit aucune condition d’affectation exclusive du bien investi par l’entreprise. La question posée est de savoir si l’usage mixte d’un bien acquis en indivision fait obstacle à l’obtention de cet avantage fiscal spécifique. La juridiction d’appel juge que l’investissement doit être intégralement et exclusivement affecté à l’activité commerciale pour ouvrir droit au crédit d’impôt. L’analyse de cette solution conduit à étudier l’exigence d’une affectation exclusive du bien (I) avant d’apprécier la rigueur du régime d’éligibilité (II).
**I. L’exigence d’une affectation exclusive du bien investi**
**A. L’interprétation stricte de la condition d’exploitation commerciale**
La Cour administrative d’appel de Versailles précise les conditions d’application de l’article 244 quater E du code général des impôts relatif aux investissements corses. Elle rappelle que les biens doivent être « exploités en Corse pour les besoins d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole ». La juridiction souligne que cette exploitation commerciale « implique nécessairement que le bien acquis soit intégralement et exclusivement affecté à une telle activité ». Cette lecture stricte de la loi fiscale écarte toute possibilité de bénéficier du crédit d’impôt pour des investissements dont l’usage serait partagé. L’avantage fiscal est ainsi réservé aux actifs dont l’utilisation est totalement dédiée aux besoins de l’entreprise durant toute la période d’exploitation. Le juge de l’impôt refuse de diviser l’investissement pour n’en retenir que la part correspondant temporellement ou matériellement à l’activité professionnelle.
**B. La caractérisation souveraine d’un usage mixte rédhibitoire**
L’instruction a révélé que la villa était affectée à une activité para-hôtelière uniquement lorsque la société en conservait la jouissance effective. En revanche, le bien servait de logement privé aux co-indivisaires prioritaires dans le choix de leurs semaines d’occupation selon la convention d’indivision. La Cour observe que la villa n’était proposée à la location qu’au cours de la période estivale conformément aux déclarations de meublé de tourisme. Dans ces conditions, « l’investissement en litige ne saurait être regardé comme exploité pour les besoins d’une activité commerciale » au sens de la loi. L’existence d’une jouissance privée par les associés ou des tiers durant une partie de l’année caractérise un usage mixte du bien. Cette constatation factuelle suffit à justifier le rejet de la demande de remboursement sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres conditions. Cette interprétation rigoureuse des conditions d’exploitation du bien commande d’analyser désormais la validité du refus opposé par l’administration au regard de la doctrine.
**II. La rigueur de l’éligibilité au crédit d’impôt corse**
**A. L’autonomie de la loi fiscale face aux contestations doctrinales**
La société requérante critiquait le refus administratif en prétendant qu’il se fondait sur une doctrine ajoutant une condition d’exclusivité non prévue. La Cour écarte ce moyen en précisant que l’administration fiscale a fait une exacte application de la loi elle-même dans son arrêt. Elle rappelle que les énonciations de la doctrine administrative précisant que « les investissements à usage mixte n’ouvrent pas droit au crédit d’impôt » sont conformes. La juridiction d’appel confirme ainsi que la position de l’administration ne constitue pas un ajout illégal mais une interprétation fidèle du texte législatif. Le juge souligne également que l’obtention de remboursements de taxe sur la valeur ajoutée demeure sans incidence sur l’éligibilité au crédit d’impôt. Les deux dispositifs fiscaux obéissent à des conditions spécifiques et indépendantes dont le respect doit être apprécié de manière totalement autonome.
**B. La portée du contrôle juridictionnel sur les investissements dérogatoires**
Cette décision renforce le caractère exceptionnel et strictement encadré des dispositifs d’incitation fiscale destinés au développement économique de la Corse. Le juge administratif exerce un contrôle plein sur la réalité de l’affectation professionnelle des investissements lourds présentés par les sociétés commerciales. La solution retenue dissuade les montages patrimoniaux où l’investissement immobilier professionnel se confond avec une résidence secondaire à usage partiellement privé. En exigeant une affectation intégrale, la Cour protège l’objectif d’intérêt général attaché à la création d’actifs réellement productifs sur le territoire corse. Cette jurisprudence assure une application cohérente de la loi fiscale en évitant le détournement de l’avantage au profit d’une consommation personnelle déguisée. La rigueur de cette solution confirme que le bénéfice d’une aide publique fiscale suppose une transparence totale dans l’utilisation économique du bien.