Cour d’appel administrative de Toulouse, le 10 avril 2025, n°24TL02959

Le 10 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Toulouse a statué sur une demande de sursis à l’exécution d’un jugement annulant des décisions de préemption. Une commune a exercé son droit de préemption en 2022 sur deux lots immobiliers pour un montant global de cent dix mille euros. L’acquéreur évincé a contesté cette éviction devant le tribunal administratif de Montpellier pour obtenir l’annulation des délibérations municipales.

Par un jugement du 10 octobre 2024, les premiers juges ont annulé l’acquisition et ordonné la rétrocession du bien immobilier aux anciens propriétaires. La collectivité a alors interjeté appel devant la cour et sollicité la suspension de l’exécution provisoire de cette condamnation juridictionnelle. Le litige porte sur la capacité de l’appelante à démontrer le caractère sérieux de ses moyens de défense au stade des référés. La question de droit réside dans la preuve de la réalité d’un projet d’aménagement justifiant légalement l’éviction d’un acquéreur privé.

La juridiction rejette la requête en considérant que l’existence d’une opération réelle d’intérêt général n’est pas suffisamment établie dans le dossier de préemption. L’examen portera d’abord sur l’appréciation du caractère sérieux des moyens invoqués avant d’analyser la portée juridique du maintien de l’annulation des délibérations.

**I. L’appréciation rigoureuse du caractère sérieux du moyen**

La cour rappelle que le sursis est ordonné si les moyens paraissent « sérieux et de nature à justifier » l’annulation du jugement attaqué.

**A. L’exigence de la réalité du projet d’aménagement**

Le droit de préemption doit impérativement s’exercer en vue d’actions ou d’opérations d’aménagement répondant aux objets précis définis par la loi. Les collectivités doivent ainsi « justifier, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement ». Cette preuve est indispensable même si les caractéristiques précises de l’opération projetée ne sont pas encore totalement arrêtées au moment de la décision. La matérialité du dessein municipal constitue la condition substantielle de légalité de toute éviction d’un acquéreur par la puissance publique.

**B. L’insuffisance des justifications générales de la collectivité**

L’appelante invoquait le plan local d’urbanisme et l’objectif d’affirmer son rôle de ville thermale par le renforcement des commerces de proximité. Le juge considère toutefois que le moyen tiré de la réalité du projet « ne paraît pas sérieux au sens et pour l’application » du code. La simple référence à une politique globale de revitalisation du centre-ville ne suffit pas à caractériser l’existence d’un projet concret pour le bien. Cette exigence de matérialité protège les administrés contre un usage abusif des prérogatives de puissance publique en matière de gestion foncière.

**II. Les conséquences du refus de sursis à l’exécution**

Le rejet de la demande de sursis confirme l’application immédiate des mesures de remise en état ordonnées par les premiers juges en instance.

**A. Le maintien de l’obligation de rétrocession**

La collectivité doit mettre en œuvre l’injonction de proposer le bien aux anciens vendeurs puis à l’acquéreur évincé selon les conditions initiales. Le juge écarte l’argument relatif aux conséquences difficilement réparables car la commune ne démontre pas l’impossibilité d’un futur rachat ou d’une revente. L’exécution du jugement d’annulation prime donc sur les incertitudes liées au devenir commercial du local déjà occupé par un nouvel exploitant privé. Cette décision force les parties à rétablir l’état du droit antérieur à l’exercice illégal de la préemption par l’autorité publique.

**B. La protection du droit de propriété face à la préemption**

Cette décision illustre la volonté du juge administratif de contrôler strictement les atteintes portées au libre exercice du droit de propriété immobilière. La préemption ne peut constituer un outil de gestion foncière opportuniste sans être adossée à une opération d’intérêt général suffisamment caractérisée. Le juge privilégie la protection des intérêts de l’acquéreur évincé tant que la légalité de l’action publique n’est pas fermement établie. Cette rigueur jurisprudentielle assure la sécurité juridique des transactions privées face aux interventions imprécises des différents acteurs publics locaux.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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