La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 19 juin 2025, l’arrêt n° 23MA02822 relatif à la compensation fiscale entre deux entités juridiquement distinctes. Une société civile immobilière, détenue quasi intégralement par une autre société, a fait l’objet d’un redressement suite à une vérification de comptabilité. L’administration fiscale a estimé que cette société ne pouvait bénéficier de l’exonération prévue à l’article 239 ter du code général des impôts. Le tribunal administratif de Nice ayant rejeté sa demande initiale en 2023, la requérante a sollicité en appel la décharge des pénalités correspondantes. Elle invoquait le bénéfice d’une compensation avec l’impôt déjà acquitté par son associée majoritaire au titre des mêmes exercices clos en litige. La juridiction d’appel devait alors déterminer si l’interdépendance économique de deux sociétés permet de déroger au principe de l’autonomie fiscale pour l’octroi de compensations. La Cour rejette la requête en rappelant la séparation stricte des personnalités morales, confirmant ainsi l’exigibilité des intérêts de retard malgré le paiement global. L’analyse portera d’abord sur l’application du principe d’autonomie des sujets fiscaux avant d’examiner le maintien des intérêts de retard pour défaut de paiement.
I. L’affirmation rigoureuse du principe d’autonomie des sujets fiscaux
A. L’inapplicabilité de la compensation entre contribuables distincts
L’article L. 205 du livre des procédures fiscales prévoit que les compensations s’opèrent au profit du contribuable invoquant une surtaxe commise à son propre préjudice. La société requérante prétendait ici compenser ses propres pénalités avec l’impôt sur les sociétés versé par une autre entité juridique à responsabilité limitée. La Cour souligne que la requérante constitue « un contribuable distinct » de son associée, rendant impossible tout transfert de crédit d’impôt entre leurs situations respectives. Cette interprétation littérale de la loi fiscale interdit de prendre en compte la réalité économique du groupe au détriment de la forme juridique choisie. L’erreur commise par la société, s’étant considérée à tort comme fiscalement transparente, demeure ainsi sans incidence sur la mise en œuvre de ce mécanisme compensatoire.
B. Le rejet de la compensation étendue aux pénalités
La demande de la société portait spécifiquement sur la décharge des pénalités assortissant les suppléments d’imposition mis à sa charge pour les exercices clos. Les juges administratifs considèrent que la compensation ne peut s’appliquer lorsque les droits et les pénalités concernent des entités ne partageant pas la même personnalité. L’administration peut effectuer des rectifications dès qu’une insuffisance est constatée dans l’assiette, sans que le paiement effectué par un tiers n’éteigne la dette. La Cour confirme ainsi que la notion de double imposition, au sens de l’article L. 205, s’apprécie uniquement au regard d’un seul et même redevable. Cette solution renforce la sécurité juridique de l’administration fiscale tout en imposant aux contribuables une vigilance accrue sur leur régime d’assujettissement réel et effectif.
II. Le maintien des intérêts de retard malgré la neutralité fiscale globale
A. Le caractère objectif de l’intérêt de retard
L’article 1727 du code général des impôts dispose que toute créance fiscale non acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d’un intérêt. La juridiction d’appel rappelle que la société n’a pas acquitté personnellement l’impôt dont elle était redevable à raison de ses propres résultats annuels. Le dégrèvement d’office accordé ultérieurement à l’associée pour les sommes payées à tort ne saurait régulariser rétroactivement la situation de la société civile immobilière. L’intérêt de retard n’ayant pas le caractère d’une sanction, il vise simplement à réparer le préjudice financier subi par le Trésor public à cette occasion. La Cour valide ce raisonnement en jugeant que l’administration a agi « à bon droit » en maintenant ces accessoires indispensables de la dette fiscale principale.
B. L’inefficacité des garanties contre les changements de doctrine
La requérante invoquait également les articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales pour faire échec aux redressements opérés en l’espèce. La Cour juge que la doctrine administrative référencée ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application. De même, un simple courriel d’un inspecteur confirmant un engagement de dégrèvement pour une autre société ne constitue pas une prise de position formelle invocable. La garantie contre les changements de doctrine exige une réponse précise concernant la situation de fait du contribuable qui s’en prévaut directement et personnellement. Le rejet de ces moyens souligne la difficulté pour les sociétés de se prévaloir de documents dépourvus de portée normative ou de portée individuelle suffisante.