Cour d’appel administrative de Lyon, le 30 avril 2025, n°24LY03260

La cour administrative d’appel de Lyon a rendu, le 30 avril 2025, une décision précisant les pouvoirs du juge statuant par voie d’ordonnance. Une société immobilière sollicitait le remboursement de sommes liées à la dépollution d’une station d’épuration après une condamnation par le juge judiciaire. Le magistrat désigné du tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait rejeté ses demandes par deux ordonnances du 23 septembre 2024 pour irrecevabilité manifeste. La requérante a alors saisi la juridiction d’appel pour obtenir l’annulation de ces décisions et l’indemnisation de son préjudice financier. Le litige porte sur la possibilité pour le juge de rejeter une demande non chiffrée sans invitation préalable à régulariser l’acte de saisine. La cour administrative d’appel de Lyon annule les ordonnances en rappelant l’obligation d’informer le justiciable avant tout rejet fondé sur une telle irrecevabilité. L’examen de cette solution conduit à étudier l’encadrement strict du pouvoir de rejet par ordonnance avant d’analyser la protection des droits du requérant indemnitaire.

I. L’encadrement procédural rigoureux du recours aux ordonnances de tri

A. L’exigence impérative d’une invitation préalable à la régularisation

Le magistrat de première instance s’était fondé sur l’article R. 222-1 du code de justice administrative pour écarter les demandes de la société. La cour administrative d’appel rappelle que « les requêtes manifestement irrecevables qui peuvent être rejetées par ordonnance (…) sont celles dont l’irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte ». Cette définition exclut les vices de forme ou les omissions susceptibles de correction tant que le juge n’a pas sollicité de régularisation. En l’espèce, le défaut de chiffrage exact des conclusions indemnitaires constitue une irrégularité que le requérant peut corriger durant l’instruction.

Le juge ne peut donc pas se dispenser d’un dialogue procédural minimal avant de clore l’instance de manière prématurée par une ordonnance. L’arrêt précise que « le juge de première instance doit, en l’absence de toute fin de non-recevoir opposée sur ce point par le défendeur, inviter le requérant à chiffrer ses conclusions ». Cette obligation garantit que le justiciable ne soit pas privé d’un examen au fond pour une simple omission technique. La juridiction d’appel censure ici une utilisation trop extensive des pouvoirs de tri dévolus aux présidents de juridiction et à leurs délégués.

B. L’inapplicabilité du rejet manifeste aux conclusions susceptibles d’être précisées

L’ordonnance attaquée reposait également sur l’absence de précisions suffisantes pour apprécier le bien-fondé des allégations de la société requérante dans ses écritures. Le magistrat de première instance avait estimé que les moyens n’étaient pas assortis des faits nécessaires pour permettre au tribunal d’exercer son contrôle. Toutefois, l’analyse des pièces du dossier révèle que la société s’était expressément référée aux demandes préalables adressées à la commune et au syndicat. Ces documents annexés contenaient les fondements de la responsabilité recherchée ainsi que le détail des fautes de gestion invoquées par la requérante.

Par suite, la requête ne pouvait pas entrer dans le champ d’application du 7° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. La cour administrative d’appel souligne que les montants réclamés étaient « reportés dans le corps de ses requêtes » par référence à une ordonnance de référé. Le juge d’appel refuse ainsi de valider un rejet pour imprécision lorsque les éléments factuels sont accessibles par simple lecture des pièces jointes. Cette position protège la substance du droit au recours contre un formalisme excessif qui ferait primer la forme sur les éléments du débat.

II. La garantie de l’accès au juge dans le contentieux de pleine juridiction

A. La distinction nécessaire entre l’absence de chiffrage et le défaut de précision

Le contentieux indemnitaire impose au requérant d’énoncer une créance chiffrée afin de lier le contentieux et de permettre au juge de statuer. La cour distingue ici l’omission formelle du montant total de la demande et l’absence structurelle d’arguments juridiques ou factuels au soutien du recours. Si le premier vice est régularisable sur invitation du tribunal, le second peut justifier un rejet immédiat si les lacunes sont manifestes et insurmontables. En l’occurrence, la référence à une décision de la cour d’appel de Riom du 10 janvier 2024 permettait d’identifier clairement l’objet du litige.

Le juge de première instance ne pouvait donc pas valablement soutenir que la demande manquait des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé juridique. L’arrêt d’appel rappelle que les conclusions indemnitaires, bien que non chiffrées dans le dispositif, possédaient « le caractère de conclusions de plein contentieux » identifiables. La cour administrative d’appel de Lyon impose une lecture globale de la requête introductive d’instance afin de préserver l’utilité du recours juridictionnel. Cette approche pragmatique limite la tentation d’une évacuation trop rapide des dossiers complexes par les juridictions de premier ressort.

B. La portée de l’obligation de diligence du juge administratif de première instance

L’annulation des ordonnances entraîne le renvoi de l’affaire devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand pour un nouvel examen des demandes d’indemnisation. Cette solution souligne que le magistrat statuant par ordonnance doit exercer une vigilance particulière avant de prononcer un rejet sans débat contradictoire. L’obligation d’inviter à régulariser est le corollaire nécessaire des pouvoirs de simplification de la procédure administrative conférés par le code de justice administrative. Le respect de ce formalisme protecteur assure la légitimité des décisions de justice et la confiance des citoyens dans l’institution juridictionnelle.

La décision de la cour administrative d’appel de Lyon s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante protégeant le droit à un procès équitable. Le renvoi vers les premiers juges permettra enfin une discussion sur le fond de la responsabilité liée à la pollution par les polychlorobiphényles. Cet arrêt rappelle fermement que l’efficacité de la justice ne doit jamais se réaliser au détriment des garanties fondamentales offertes aux plaideurs. La procédure d’ordonnance reste un outil de gestion des flux qui ne saurait se substituer indument au jugement de droit commun.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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