Cour d’appel administrative de Lyon, le 13 février 2025, n°24LY00265

La Cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt rendu le 13 février 2025, précise le régime de responsabilité sans faute du concessionnaire d’autoroute. Les requérants, propriétaires d’une maison située à proximité d’un chantier de liaison autoroutière, ont constaté l’apparition de fissures consécutives aux travaux de compactage. Ils invoquaient également des nuisances sonores permanentes nées de la mise en service de l’ouvrage public. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Lyon a partiellement fait droit à leur demande indemnitaire le 5 décembre 2023. Les propriétaires ont relevé appel de ce jugement, tandis que la société concessionnaire présentait des conclusions incidentes aux fins de décharge. La juridiction d’appel devait déterminer si les désordres matériels et les bruits de circulation constituaient des dommages de travaux publics indemnisables. L’arrêt retient l’existence d’un lien de causalité pour les fissures et caractérise un préjudice sonore anormal et spécial malgré le respect des seuils réglementaires.

**I. L’identification de dommages de travaux publics imputables au concessionnaire**

**A. L’établissement de la causalité dans les dommages de chantier**

La responsabilité de la société concessionnaire est engagée au titre des dommages accidentels causés par l’exécution même des travaux de construction de l’ouvrage. La juridiction souligne que « le lien de causalité entre les désordres et les travaux publics de réalisation de la liaison autoroutière est établi ». Les rapports d’expertise confirment que les vibrations générées par les engins de compactage ont provoqué une « densification différentielle » du sol d’assiette. Ces trépidations ont directement causé des fissures importantes sur la maison et la piscine, dépassant les simples effets d’un phénomène naturel de dessiccation. La fragilité éventuelle de l’immeuble ne saurait atténuer cette responsabilité, dès lors qu’aucune faute ne peut être reprochée aux victimes.

**B. La caractérisation d’un préjudice permanent lié au fonctionnement de l’ouvrage**

Au-delà des dommages liés au chantier, les nuisances sonores résultant de l’exploitation de l’autoroute ouvrent droit à une réparation pour les tiers riverains. La cour rappelle que le juge doit porter une « appréciation globale sur l’ensemble des chefs de préjudice » pour caractériser un dommage anormal et spécial. Bien que les mesures sonométriques restent inférieures aux seuils de l’arrêté du 5 mai 1995, des « émergences au-delà de ces seuils » ont été relevées. Ces nuisances sonores certaines rompent l’égalité devant les charges publiques, car elles excèdent les sujétions normalement imposées aux voisins d’une infrastructure. Cette solution confirme que la conformité réglementaire n’exclut pas nécessairement le caractère anormal du trouble de jouissance subi par les administrés.

**II. L’évaluation et la qualification juridique des réparations accordées**

**A. Une appréciation restrictive des préjudices matériels et moraux**

La détermination de l’indemnité réparatrice obéit à une analyse stricte de la nécessité des travaux et de la réalité des pertes invoquées. La juridiction rejette la demande de majoration des devis liée à la hausse du coût de la construction, faute pour les victimes de justifier un retard indépendant de leur volonté. Elle limite également le périmètre des réfections aux seules zones directement touchées, excluant la peinture de l’intégralité des façades pour des motifs de simple harmonie esthétique. Le préjudice moral est cependant reconnu, car il résulte de « l’anxiété face aux désordres de leur habitation » et des difficultés de reconnaissance des droits. En revanche, l’allégation d’une dépréciation vénale du bien est écartée en l’absence de pièces probantes produites par les demandeurs.

**B. Le statut juridique des frais d’expertise judiciaire en matière administrative**

L’arrêt apporte une précision procédurale essentielle concernant les frais de l’expertise ordonnée initialement par le juge des référés de l’ordre judiciaire. La cour censure le jugement de première instance qui avait traité ces frais comme des dépens au sens du code de justice administrative. Elle affirme que ces dépenses ne relèvent pas de l’article R. 761-1 mais constituent un élément du « montant du préjudice » dont la réparation est demandée. Dès lors, il appartenait aux requérants de justifier précisément cette dépense pour en obtenir le remboursement au titre du principal de l’indemnité. Cette distinction souligne la rigueur nécessaire dans la présentation des conclusions indemnitaires pour les frais engagés hors de l’instance administrative proprement dite.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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