Le Conseil constitutionnel a rendu, le 7 mai 2025, une décision relative à la conformité de l’article 1518 A sexies du code général des impôts. Cette disposition organise un mécanisme de lissage pluriannuel des variations de la valeur locative des locaux industriels en cas de changement d’affectation. Le Conseil d’État, par une décision n° 497683 du 18 février 2025, a renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité aux juges de la rue de Montpensier. La société requérante soutenait que le maintien partiel d’une base d’imposition élevée après une baisse de valeur locative méconnaissait le principe d’égalité. Elle arguait notamment que l’impôt reposait alors sur une assiette fictive, décorrélée des facultés contributives réelles du propriétaire au moment du changement d’usage.
Le litige porte sur l’équilibre entre la protection des ressources des collectivités territoriales et le respect des capacités financières des redevables de la taxe. Le Conseil constitutionnel devait déterminer si le lissage d’une baisse de valeur locative entraînait une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Les juges ont considéré que le législateur s’était fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objectif de rendement budgétaire poursuivi. Ils ont ainsi jugé que ces mesures « n’ont pas pour effet d’assujettir le contribuable à une imposition dont l’assiette inclurait une capacité contributive dont il ne disposerait pas ». Cette décision affirme la conformité du texte tout en précisant les conditions de sa validité au regard de la Constitution. L’examen de cette décision commande d’étudier la légitimité du tempérament apporté aux variations de valeur locative avant d’analyser la sauvegarde du principe constitutionnel d’égalité.
I. La légitimité du mécanisme de lissage des variations de la valeur locative
Le juge constitutionnel valide l’objectif de rendement budgétaire avant de vérifier la précision des critères de mise en œuvre du lissage.
A. Un objectif d’intérêt général de rendement budgétaire Le Conseil constitutionnel souligne que le législateur a entendu « atténuer la perte immédiate de ressources » résultant pour les collectivités d’une baisse de valeur locative. Cette volonté de préserver les recettes locales constitue un but d’intérêt général justifiant l’étalement dans le temps de la réduction de l’assiette fiscale. Le juge constitutionnel rappelle son refus de substituer son appréciation à celle du Parlement concernant les modalités techniques choisies pour atteindre cet objectif. Les dispositions ne sont pas jugées « manifestement inappropriées » dès lors qu’elles encadrent une transition financière nécessaire pour les budgets des administrations décentralisées.
B. Des critères de mise en œuvre objectifs et rationnels La validité du dispositif repose sur des seuils précis et une dégressivité organisée sur une période de six années de manière strictement définie. Le lissage s’active seulement si la variation excède 30 % de la valeur antérieure pour garantir son application aux seules évolutions les plus significatives. La loi prévoit que la réduction s’estompe progressivement, passant de 85 % la première année à 10 % au cours du dernier exercice de lissage. L’extinction du mécanisme en cas de changement d’exploitant ou de consistance du bâtiment assure une corrélation minimale avec la réalité matérielle des biens. La rationalité de ces critères techniques justifie la mesure au regard des buts budgétaires sans pourtant épuiser l’examen de sa constitutionnalité substantielle.
II. La préservation du principe d’égalité devant les charges publiques
Le contrôle de l’égalité devant les charges publiques suppose l’absence d’assiette fictive et le respect d’une proportionnalité encadrée par le juge.
A. L’absence d’imposition sur une assiette fictive La validation du mécanisme repose également sur l’assurance que le contribuable ne supporte pas une charge fiscale sans aucun lien avec la réalité. Le Conseil constitutionnel écarte ce grief en affirmant que « l’imposition reste assise sur la valeur locative du local concerné » durant toute la phase de transition. Le mécanisme de lissage ne fait que ralentir la prise en compte intégrale d’une nouvelle valeur sans introduire d’éléments totalement étrangers à la propriété. Cette approche prévient l’assujettissement du contribuable à une charge dont l’assiette inclurait une capacité contributive « dont il ne disposerait pas » selon les juges.
B. Une proportionnalité encadrée par le juge constitutionnel La décision confirme la liberté du législateur pour définir les règles d’appréciation des facultés contributives sous réserve de ne pas provoquer de rupture caractérisée d’égalité. En validant le caractère transitoire et dégressif de la mesure, le juge admet une distorsion temporaire entre la valeur réelle et la valeur taxée. Cette tolérance jurisprudentielle s’inscrit dans une lecture souple de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen face aux impératifs budgétaires. La solution renforce la stabilité des bases fiscales tout en protégeant les redevables contre des mécanismes qui seraient dépourvus de terme ou de rationalité.