Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 16 mai 2019, a examiné la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises. Saisi par plusieurs groupes de députés et de sénateurs, le juge devait apprécier la conformité de réformes économiques aux exigences de la Constitution. Les requérants contestaient notamment les modalités de décompte des effectifs salariés ainsi que les conditions de privatisation de grandes entreprises nationales stratégiques. Ils dénonçaient également l’introduction tardive de nombreuses dispositions étrangères au projet de loi initial, qualifiées traditionnellement de cavaliers législatifs par la jurisprudence. La question centrale portait sur la conciliation entre la liberté du législateur d’organiser l’économie et le respect des principes d’égalité et de continuité. Le juge valide l’essentiel des réformes structurelles, tout en censurant rigoureusement les dispositions adoptées selon une procédure irrégulière ou dépourvues de lien suffisant.

I. La validation d’une restructuration économique encadrée

A. Le lissage des seuils d’effectifs et le principe d’égalité

L’article 11 de la loi modifie les règles de décompte des salariés pour l’application de diverses obligations sociales au sein des entreprises. Le législateur prévoit que le franchissement d’un seuil à la hausse n’est effectif qu’après cinq années civiles consécutives de dépassement constaté. Pour les juges, « l’entreprise dont l’effectif salarié dépasse cinq années consécutives un certain seuil est placée dans une situation différente » de celle dont l’accroissement est éphémère. Cette différence de traitement est jugée conforme au principe d’égalité car elle favorise la croissance économique en atténuant les effets brutaux de seuils. Le Conseil écarte également le grief relatif au principe de participation, estimant que ces règles n’affectent pas les garanties collectives des travailleurs.

B. La constitutionnalité du transfert des actifs stratégiques au secteur privé

Le texte autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de sociétés gérant des infrastructures aéroportuaires et des jeux. Les requérants invoquaient le Préambule de 1946 interdisant la privatisation des services publics nationaux ou des monopoles de fait au bénéfice de l’intérêt général. Le juge considère toutefois que l’entité aéroportuaire « se trouve ainsi, sur certains trajets, en concurrence avec le transport par la route et le transport ferroviaire ». Il en conclut que ces activités ne présentent pas les caractéristiques d’un monopole de fait au sens des exigences constitutionnelles actuelles. La privatisation est donc validée, dès lors que le législateur garantit le bon usage des deniers publics et la continuité des missions.

II. La sanction d’une procédure législative déviante

A. Le contrôle strict des cavaliers législatifs

Le Conseil constitutionnel se montre particulièrement sévère envers les articles introduits par voie d’amendement sans lien direct ou indirect avec le texte initial. Il rappelle qu’en vertu de l’article 45 de la Constitution, tout amendement doit présenter un lien minimal avec le projet déposé ou transmis. Plusieurs dispositions relatives à la construction navale, aux tarifs de l’énergie ou à la normalisation sont déclarées contraires à la loi fondamentale. Le juge affirme que ces articles « ont été adoptés selon une procédure contraire à la Constitution » en raison de leur caractère manifestement hétérogène. Cette jurisprudence protectrice assure la clarté des débats parlementaires et prévient l’insertion de mesures de circonstance sans rapport avec l’objet principal.

B. Les limites du contrôle juridictionnel sur l’opportunité économique

La décision réaffirme la retenue du juge constitutionnel face aux choix politiques et économiques opérés par le Parlement dans son domaine de compétence. Il précise qu’il « ne dispose pas du même pouvoir d’appréciation que le Parlement » pour déterminer si les objectifs financiers sont atteignables. Le contrôle se limite à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans les méthodes d’évaluation des actifs et le respect des garanties légales. Concernant l’indemnisation des actionnaires, les sages estiment que le législateur a retenu des « critères permettant une évaluation objective et impartiale » des biens. La décision consacre ainsi une large marge de manœuvre au pouvoir législatif pour conduire les réformes nécessaires à la transformation des structures économiques.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture