Le Conseil constitutionnel, par une décision du 16 décembre 2011, s’est prononcé sur la conformité de l’article 2206 du code civil aux droits et libertés constitutionnels. Cette disposition prévoit que le créancier fixe le montant de la mise à prix et devient adjudicataire d’office en l’absence d’enchère lors de la vente. Le requérant soutenait que ce mécanisme méconnaissait la protection constitutionnelle du droit de propriété ainsi que les droits de la défense garantis par la Déclaration de 1789. La Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité afin de vérifier si les limites apportées à l’exercice du droit de propriété étaient justifiées. Les juges constitutionnels devaient déterminer si l’adjudication forcée au profit du créancier poursuivant constituait une atteinte disproportionnée aux prérogatives patrimoniales du débiteur saisi. Le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition contestée conforme à la Constitution en relevant l’existence d’un motif d’intérêt général et de garanties procédurales suffisantes. L’analyse de cette décision impose d’étudier l’encadrement du droit de propriété du débiteur avant d’apprécier la proportionnalité du mécanisme de l’adjudication d’office.
I. La protection encadrée du droit de propriété du débiteur
A. L’exclusion d’une privation de propriété au sens strict
Le Conseil constitutionnel précise que la saisie immobilière constitue une modalité de paiement d’une créance exécutoire visant la distribution du prix de l’immeuble. Bien que l’adjudication entraîne le transfert du bien, les juges affirment que « cette procédure n’entre pas dans le champ d’application de l’article 17 » de la Déclaration. Cette exclusion signifie que le débiteur ne peut pas exiger le versement d’une juste et préalable indemnité comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. La Haute juridiction considère que la perte de la propriété résulte ici de l’exécution forcée d’une obligation civile et non d’une nécessité publique unilatérale. Dès lors, le grief tiré de la violation de l’article 17 est écarté au profit d’un examen fondé sur les limites apportées à l’exercice du droit de propriété.
B. La conciliation législative des droits patrimoniaux concurrents
Le législateur dispose d’une compétence étendue pour déterminer les principes fondamentaux des obligations civiles et du régime de la propriété en vertu de l’article 34. Il lui appartient de définir les modalités selon lesquelles « les droits patrimoniaux des créanciers et des débiteurs doivent être conciliés » pour permettre l’exécution des contrats. Le Conseil constitutionnel reconnaît que l’exécution forcée sur les biens du débiteur participe de cette conciliation nécessaire entre les intérêts économiques opposés des parties. Cette approche pragmatique permet de valider des dispositifs contraignants dès lors qu’ils tendent à assurer l’effectivité du droit de créance sans écraser le débiteur. La décision souligne ainsi que la propriété ne saurait faire obstacle au respect des engagements civils lorsque la loi organise une procédure de recouvrement encadrée.
II. La proportionnalité du mécanisme de l’adjudication d’office
A. Un objectif d’intérêt général lié à l’efficacité des procédures
Les dispositions contestées ont pour finalité d’« éviter que la procédure de saisie immobilière demeure suspendue faute d’enchérisseur » lors de la vente publique de l’immeuble. En déclarant le créancier adjudicataire d’office, la loi garantit l’aboutissement de la saisie et empêche une paralysie durable du recouvrement de la créance impayée. Le Conseil constitutionnel estime que l’objectif de garantir l’issue de la procédure de distribution du prix constitue un motif d’intérêt général suffisant pour justifier l’atteinte. Le mécanisme protège également le créancier en faisant obstacle à ce qu’il se voie « imposer un transfert de propriété moyennant un prix auquel il n’aurait pas consenti ». L’efficacité des voies d’exécution est donc ici érigée en rempart contre l’inertie potentielle du marché immobilier lors des enchères publiques forcées.
B. La sauvegarde des intérêts du débiteur par des garanties judiciaires
La constitutionnalité de la mesure repose sur l’existence de contreparties procédurales permettant au débiteur de contester le montant de la mise à prix initiale. Le texte prévoit que l’intéressé peut saisir le juge afin de voir fixer une mise à prix « en rapport avec la valeur vénale de l’immeuble ». Cette faculté de recours judiciaire prévient les risques de sous-évaluation manifeste du bien par le créancier poursuivant et assure un contrôle de l’équité de l’opération. Par ailleurs, le Conseil relève que l’adjudication d’office au créancier n’intervient qu’en dernier recours, après l’échec de la vente amiable et l’absence de toute enchère publique. Les juges concluent que « l’atteinte portée aux droits du débiteur saisi ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi » par le législateur.