Le Conseil constitutionnel a rendu, le 8 avril 2011, une décision portant sur la conformité de l’article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales. Ce texte prévoit le transfert automatique des biens, droits et obligations d’une section de commune vers la municipalité dans des hypothèses de carence caractérisée. Le litige trouve son origine dans la contestation d’un arrêté préfectoral ayant prononcé une telle mutation patrimoniale au profit d’une collectivité locale. Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité, la juridiction devait examiner les griefs relatifs à l’atteinte au droit de propriété et à la garantie des droits. Le requérant soutenait que l’absence d’indemnisation des membres de la section méconnaissait les articles 2, 16 et 17 de la Déclaration de 1789. La question posée consistait à déterminer si le transfert gratuit de biens sectionnaux vers une commune portait une atteinte disproportionnée aux prérogatives des usagers. Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions conformes en distinguant la situation des membres de celle de la personne morale de droit public.
I. La négation d’un droit de propriété au profit des membres de la section
A. L’absence de titularité de droits réels sur les biens sectionnaux
Le Conseil constitutionnel précise d’emblée la nature juridique des droits exercés par les habitants sur le patrimoine de la section de commune. Il rappelle que cette dernière constitue une « personne morale de droit public possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits ». Cette qualification juridique exclut une appropriation directe par les administrés qui ne disposent que d’une simple jouissance collective des fruits perçus. Les juges soulignent ainsi que les membres « ne sont pas titulaires d’un droit de propriété sur ces biens ou droits » en dépit de l’usage. Par cette analyse, le grief tiré de la violation des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 devient inopérant pour les individus.
L’article L. 2411-10 du code général des collectivités territoriales limite en effet les prérogatives des membres à une jouissance encadrée par l’autorité municipale. La décision écarte fermement toute assimilation de cet usage local à un droit réel protégé par les dispositions constitutionnelles relatives à la propriété. Cette distinction fondamentale permet de valider le transfert sans qu’une indemnisation préalable des résidents ne soit requise par le texte fondamental. La protection du patrimoine reste ainsi attachée à la structure juridique et non à la collectivité humaine qui en profite temporairement.
B. La validité constitutionnelle des transferts gratuits entre personnes publiques
La juridiction constitutionnelle étend son contrôle à la propriété des personnes publiques tout en rappelant la possibilité de mutations domaniales sans contrepartie financière. Le droit au respect des biens « ne s’oppose pas à ce que le législateur, poursuivant un objectif d’intérêt général, autorise le transfert gratuit ». Cette règle s’applique dès lors que les deux entités concernées relèvent de la sphère publique, comme c’est le cas entre section et commune. L’absence de prix ne constitue pas une spoliation dès lors que la destination des biens demeure au service de la collectivité.
Le Conseil valide ainsi un mécanisme de solidarité administrative destiné à rationaliser la gestion des micro-collectivités rurales dont le fonctionnement s’avère parfois défaillant. La gratuité est justifiée par l’unité de l’administration territoriale et l’absence de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Les principes de 1789 protègent la propriété publique mais n’empêchent pas des réallocations patrimoniales dictées par les nécessités de la gestion locale. Cette solution assure une continuité du service public malgré le changement de l’entité gestionnaire des terres ou des droits concernés.
II. Un encadrement proportionné de la mutation patrimoniale forcée
A. La légitimation par la résolution des blocages administratifs
Le transfert des biens est conditionné par la loi à des situations de carence financière ou de désintérêt manifeste des électeurs locaux. Les dispositions contestées visent à « mettre un terme soit au blocage de ce transfert […] soit au dysfonctionnement administratif ou financier de la section ». Ces critères objectifs garantissent que la mesure ne présente pas un caractère arbitraire ou purement discrétionnaire de la part de l’État. L’intervention du représentant de l’État dans le département sécurise juridiquement la procédure en vérifiant la réalité du délaissement des biens.
L’objectif de bonne administration des collectivités territoriales justifie une atteinte aux structures traditionnelles lorsque celles-ci ne remplissent plus leurs missions de gestion. Le législateur a ainsi prévu des seuils de participation électorale insuffisants pour justifier la reprise en main du patrimoine par la municipalité. Cette approche pragmatique permet de prévenir l’abandon de ressources foncières ou forestières indispensables au développement économique des communes rurales françaises. La conformité constitutionnelle repose ici sur la recherche d’une efficacité publique accrue face à l’inertie de certaines sections de communes.
B. La sauvegarde d’une indemnisation en cas de charge exorbitante
Le Conseil constitutionnel tempère la rigueur du transfert gratuit en invoquant la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789. Il admet que le législateur peut modifier des situations légalement acquises s’il respecte un motif d’intérêt général suffisant et proportionné. La décision souligne que la loi « n’autorise le transfert à titre gratuit des biens ou droits […] que pour des motifs imputables aux membres ». Cette responsabilité collective justifie la perte des avantages de jouissance sans compensation systématique pour les usagers de la section.
Les juges introduisent néanmoins une réserve de constitutionnalité capitale en prévoyant le cas où le transfert entraînerait une « charge spéciale et exorbitante ». Une indemnisation demeure possible si la perte des droits usuels rompt l’équilibre avec l’objectif d’intérêt général poursuivi par la loi. Cette précision protège les membres contre une dépossession qui excèderait le simple cadre d’une réorganisation administrative nécessaire au bien commun. La décision n° 2011-118 QPC assure ainsi une conciliation équilibrée entre la modernisation des structures locales et la protection des droits acquis.