Par une décision rendue le 18 février 2025, le Conseil d’État se prononce sur la légalité du refus de proroger un permis de construire. Le litige porte sur l’articulation entre la protection de l’intérêt général et le respect des droits acquis par un bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme.
Une commune conclut initialement une promesse de vente avec une société commerciale pour la réalisation d’un ensemble immobilier comprenant cinquante-neuf logements. Le maire accorde ensuite un permis de construire, mais un changement de majorité municipale modifie radicalement les orientations politiques et l’usage des terrains.
L’autorité municipale refuse alors de régulariser l’acte de vente, entraînant une condamnation par la cour d’appel de Versailles le 22 juin 2023. Parallèlement, le plan local d’urbanisme subit une révision classant désormais les parcelles litigieuses en zone naturelle non constructible.
Le maire fonde son refus de seconde prorogation du permis sur ce nouveau document d’urbanisme protecteur des abords d’un cours d’eau. Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise suspend cette décision le 19 avril 2024 en retenant l’existence d’un détournement de pouvoir.
La haute juridiction doit déterminer si le classement d’un terrain en zone naturelle peut constituer un détournement de pouvoir malgré un intérêt général reconnu. Le Conseil d’État annule l’ordonnance en jugeant que l’objectif d’intérêt général exclut, par principe, la qualification de détournement de pouvoir dans cette espèce. L’analyse portera d’abord sur la remise en cause de la qualification de détournement de pouvoir avant d’étudier la protection de la légalité des actes d’urbanisme.
**I. La remise en cause de la qualification de détournement de pouvoir**
**A. L’incompatibilité entre intérêt général et détournement de pouvoir**
Le juge des référés avait estimé que le nouveau classement des parcelles en zone naturelle portait une atteinte excessive au droit de propriété de la société. Il considérait que la modification du plan local d’urbanisme visait principalement à faire échec au projet immobilier autorisé par la précédente équipe municipale.
Le Conseil d’État censure ce raisonnement en soulignant que l’intérêt public lié à la création d’une zone naturelle « répondait à un objectif d’intérêt général ». Dès lors qu’un motif légitime justifie la mesure, le juge ne peut plus retenir l’existence d’un détournement de pouvoir manifeste dans sa décision.
**B. La primauté du pouvoir de réglementation de l’usage des sols**
L’autorité municipale dispose d’une large liberté pour adapter ses règles d’urbanisme aux nouvelles exigences environnementales ou politiques de la collectivité territoriale. La haute assemblée confirme que le changement de classement des terrains n’est pas illégal s’il s’appuie sur des considérations d’aménagement réellement cohérentes.
En jugeant que le détournement de pouvoir était caractérisé, le premier juge a « commis une erreur de droit » selon les termes de l’arrêt. Cette solution protège la capacité des communes à réviser leurs documents d’urbanisme pour préserver les espaces naturels sensibles face à l’urbanisation croissante.
**II. La protection de la légalité des décisions d’urbanisme**
**A. L’absence de doute sérieux quant à la légalité du refus**
Statuant au fond, le Conseil d’État écarte les moyens tirés de l’incompétence de l’auteur de l’acte et de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée. Il considère que les griefs relatifs à l’erreur manifeste d’appréciation du nouveau plan local d’urbanisme ne sont pas fondés en l’état de l’instruction.
Les arguments de la société requérante « ne paraissent pas, en l’état de l’instruction, propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision ». La légalité du refus de prorogation découle directement de l’application immédiate de la nouvelle règle d’urbanisme en vigueur au moment de la décision.
**B. La fragilité des autorisations d’urbanisme face au changement de norme**
Le bénéficiaire d’un permis de construire ne dispose pas d’un droit acquis au maintien d’une réglementation qui lui serait systématiquement favorable à l’avenir. La prorogation d’une autorisation reste soumise à la condition que les prescriptions d’urbanisme « n’ont pas évolué de façon défavorable à son égard ».
La décision du 18 février 2025 illustre la prévalence des objectifs environnementaux sur les intérêts économiques privés des promoteurs immobiliers dans le contentieux administratif. Le Conseil d’État valide ainsi la stratégie municipale de protection des zones naturelles, même si elle contrarie une promesse de vente signée antérieurement.