10ème chambre du Conseil d’État, le 10 avril 2025, n°482531

Le Conseil d’État a rendu, le 10 avril 2025, une décision précisant les critères de communication des documents administratifs relatifs à l’aménagement sanitaire du territoire. Une administration communale a informé les services de l’État de l’identification de sites adaptés à la prise en charge de certains usagers de substances stupéfiantes. Un groupement de propriétaires voisins a demandé la communication des expertises et de la cartographie ayant permis de déterminer les emplacements retenus par la collectivité. L’autorité municipale a refusé cette transmission en invoquant le caractère préparatoire des documents, conformément aux dispositions du code des relations entre le public et l’administration. Après un avis favorable de la commission d’accès aux documents administratifs, le tribunal administratif de Paris a annulé ce refus par un jugement du 15 juin 2023. L’administration a alors saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de cette injonction de communiquer les pièces relatives aux sites pressentis pour ces installations. La haute juridiction doit déterminer si l’achèvement d’une phase d’expertise rend les documents communicables et préciser la date à laquelle le juge apprécie cette légalité. L’étude de cette décision s’articulera autour de l’identification du caractère communicable des documents d’expertise avant d’analyser l’encadrement temporel et procédural du recours.

I. L’identification du caractère communicable des documents d’expertise

A. L’achèvement du processus décisionnel par la publicité des résultats

Le tribunal administratif a estimé que les documents sollicités ne présentaient plus un caractère préparatoire en raison de la communication publique faite par l’autorité municipale. Le Conseil d’État valide cette approche car la maire avait annoncé que le processus de localisation était achevé et qu’un site devait être rapidement opérationnel. La décision souligne que les documents ne présentaient pas « un caractère préparatoire » dès lors que l’expertise des sites identifiés au cours de l’été était terminée. Cette solution évite que l’administration n’occulte indéfiniment des données techniques sous le prétexte d’une décision finale qui n’interviendrait qu’au stade de l’ouverture effective. Le juge s’appuie ici sur la teneur des correspondances administratives pour déduire que les documents constituaient des actes achevés et donc immédiatement accessibles aux citoyens. Le passage d’une phase de réflexion à une phase opérationnelle marque ainsi la fin de la protection temporaire dont bénéficient les documents de travail internes.

B. L’étendue souveraine de l’office du juge du fond

La collectivité critiquait le fait que les premiers juges n’avaient pas ordonné la production des documents litigieux avant de se prononcer sur leur caractère communicable. La haute juridiction rappelle toutefois que le juge « ne commet d’irrégularité en s’abstenant de le faire » que si l’état de l’instruction est insuffisant. L’appréciation souveraine des pièces du dossier permet donc au tribunal de trancher le litige sans nécessairement prendre connaissance directe des documents dont l’accès est requis. Cette faculté laissée au magistrat repose sur le principe du caractère contradictoire de l’instruction et sur l’analyse des arguments échangés par les parties au procès. Dès lors que les éléments fournis permettent de caractériser la nature des pièces, le juge n’est pas tenu de procéder à une mesure d’instruction supplémentaire.

II. L’encadrement temporel et procédural du recours en annulation

A. L’appréciation de la légalité au jour du prononcé du jugement

Le Conseil d’État apporte une précision fondamentale en indiquant que le juge doit se placer « à la date à laquelle il statue » pour juger. Le tribunal administratif avait commis une erreur de droit en se référant à la date de la décision de refus initiale pour apprécier sa légalité. Cette méconnaissance de la règle demeure toutefois sans incidence sur la solution finale car les documents ne pouvaient pas redevenir préparatoires au fil du temps. L’administration se voit ainsi imposer une obligation de transparence qui s’actualise lors du jugement, tenant compte de l’évolution du processus administratif en cours d’instance. Ce mécanisme garantit une efficacité concrète au droit d’accès aux documents en évitant que des refus deviennent illégaux uniquement par le simple passage du temps.

B. La restriction du droit de contester la capacité à agir du syndicat

La collectivité requérante tentait également de soulever l’irrégularité de l’action engagée par le syndic sans autorisation préalable de l’assemblée générale de la copropriété concernée. Le Conseil d’État écarte ce moyen en rappelant que « seuls les copropriétaires peuvent se prévaloir de l’absence d’autorisation du syndic à agir en justice ». L’administration ne peut donc pas utilement invoquer des règles internes à la copropriété pour faire échec à une demande de communication de documents administratifs. Cette solution protège la stabilité des relations juridiques en limitant le cercle des personnes admises à contester la régularité formelle d’une action en justice. La décision du 10 avril 2025 confirme ainsi la primauté du droit à l’information sur les considérations de pure forme liées à la gestion des immeubles.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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