Première chambre civile de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-10.620

La décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 juin 2025 illustre le mécanisme de filtrage des pourvois manifestement infondés. Elle s’inscrit dans le contentieux opposant deux particuliers et se solde par un rejet non spécialement motivé assorti d’une amende civile.

Un demandeur domicilié à Monaco a formé un pourvoi contre un arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 28 novembre 2023. Le défendeur était domicilié en France. La nature exacte du litige au fond n’apparaît pas dans la décision, seule la procédure de cassation étant exposée.

Le demandeur au pourvoi a développé des moyens de cassation à l’encontre de l’arrêt d’appel. Le défendeur a conclu au rejet du pourvoi et sollicité une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le dossier a été communiqué au procureur général qui a rendu un avis par l’intermédiaire de l’avocat général référendaire. Après débats en audience publique le 13 mai 2025, la Cour a délibéré.

La question posée à la Cour de cassation était de déterminer si les moyens soulevés par le demandeur étaient de nature à entraîner la cassation de l’arrêt attaqué. Plus précisément, il s’agissait d’apprécier si le pourvoi présentait un caractère suffisamment sérieux pour justifier une décision spécialement motivée.

La Cour rejette le pourvoi au motif que « les moyens de cassation, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Elle applique l’article 1014 alinéa premier du code de procédure civile et condamne le demandeur aux dépens, à verser 3 000 euros au titre de l’article 700 et à payer une amende civile de 1 000 euros.

Cette décision met en lumière le pouvoir de filtrage de la Cour de cassation face aux pourvois dépourvus de sérieux (I), tout en révélant la dimension dissuasive du mécanisme par le prononcé d’une amende civile (II).

I. Le filtrage des pourvois par le rejet non spécialement motivé

Le rejet non spécialement motivé constitue un instrument procédural au service de l’efficacité de la Cour de cassation (A), dont les conditions d’application supposent un examen préalable du caractère manifestement infondé des moyens (B).

A. Un instrument procédural au service de l’efficacité juridictionnelle

L’article 1014 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, autorise la Cour de cassation à rejeter un pourvoi par une décision non spécialement motivée lorsque les moyens invoqués ne sont « manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Ce mécanisme répond à un objectif d’efficacité. La Haute juridiction, confrontée à un contentieux de masse, ne saurait consacrer le même temps à tous les pourvois. Certains ne présentent aucune chance de succès et mobilisent inutilement les ressources de l’institution.

La formule employée par la Cour est standardisée. Elle se borne à constater que les moyens ne sont manifestement pas de nature à prospérer, sans expliciter les raisons de cette appréciation. Le demandeur au pourvoi ne connaît donc pas précisément les motifs pour lesquels son recours échoue. Cette absence de motivation détaillée peut sembler porter atteinte au droit à un procès équitable. La Cour européenne des droits de l’homme a toutefois admis que les juridictions suprêmes peuvent limiter leur motivation lorsqu’elles rejettent un recours manifestement infondé.

En l’espèce, la décision du 25 juin 2025 applique strictement ce dispositif. La Cour indique en deux paragraphes que les moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée.

B. L’appréciation du caractère manifestement infondé des moyens

Le rejet non spécialement motivé suppose que la Cour ait préalablement examiné les moyens soulevés. L’adverbe « manifestement » implique une évidence. Les moyens doivent être à ce point dépourvus de fondement que leur rejet s’impose sans nécessiter de démonstration approfondie. Cette appréciation relève du pouvoir souverain de la Cour de cassation.

La procédure suivie en l’espèce témoigne d’un examen réel du pourvoi. Le dossier a été communiqué au procureur général. Un conseiller rapporteur a établi un rapport. Des observations écrites ont été échangées entre les parties par l’intermédiaire de leurs avocats aux Conseils. Un avis a été rendu par l’avocat général référendaire. Des débats ont eu lieu en audience publique. La formation de jugement comprenait le président de chambre, le conseiller rapporteur et le conseiller doyen.

Le caractère non motivé de la décision ne signifie donc pas que le pourvoi n’a pas été étudié. Il signifie que les moyens présentaient une faiblesse telle qu’aucune explication n’était requise pour justifier leur rejet. Le demandeur a bénéficié d’un examen complet de son recours avant que la Cour ne conclue à son caractère manifestement infondé.

II. La sanction du pourvoi abusif par l’amende civile

Le prononcé d’une amende civile révèle l’appréciation par la Cour du caractère dilatoire ou abusif du pourvoi (A), sanction qui s’inscrit dans une politique de régulation de l’accès au juge de cassation (B).

A. La qualification implicite d’un pourvoi abusif

L’article 628 du code de procédure civile permet à la Cour de cassation de condamner le demandeur au pourvoi à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros lorsque le recours est jugé abusif. Cette sanction ne se confond pas avec la simple condamnation aux dépens ou au titre de l’article 700, qui sanctionnent la perte du procès. L’amende civile suppose un comportement fautif du plaideur qui a exercé un recours de mauvaise foi ou dans une intention dilatoire.

En l’espèce, la Cour condamne le demandeur à une amende de 1 000 euros envers le Trésor public. Cette condamnation, qui s’ajoute aux 3 000 euros alloués au défendeur sur le fondement de l’article 700, traduit une appréciation sévère du comportement du demandeur au pourvoi. La Cour considère implicitement que celui-ci a formé un recours dont il ne pouvait ignorer le caractère voué à l’échec.

Le montant de 1 000 euros, soit un dixième du plafond légal, témoigne d’une sanction mesurée. La Cour entend marquer sa réprobation sans pour autant prononcer une condamnation d’une sévérité exceptionnelle. Le demandeur supporte ainsi le coût total de son initiative procédurale malheureuse : dépens, indemnité à la partie adverse et amende civile.

B. Un instrument de régulation de l’accès à la Cour de cassation

Le prononcé d’une amende civile s’inscrit dans une politique plus large de régulation des pourvois. La Cour de cassation, juridiction suprême de l’ordre judiciaire, ne constitue pas un troisième degré de juridiction. Son rôle est de contrôler la correcte application du droit par les juges du fond et d’unifier l’interprétation des règles juridiques. Les pourvois qui ne soulèvent aucune question juridique sérieuse encombrent son rôle et retardent le traitement des affaires présentant un véritable intérêt.

L’amende civile remplit une fonction dissuasive. Le plaideur qui envisage de former un pourvoi doit intégrer le risque d’une sanction pécuniaire s’ajoutant aux frais habituels de la procédure. Cette perspective incite à un examen attentif des chances de succès du recours avant de le former. Les avocats aux Conseils, qui disposent d’un monopole de représentation devant la Cour de cassation, exercent à cet égard un rôle de filtre en refusant de soutenir des pourvois manifestement infondés.

La décision du 25 juin 2025 participe de cette régulation. Elle signifie aux justiciables que la Cour de cassation n’hésite pas à sanctionner les recours dépourvus de tout fondement sérieux. La combinaison du rejet non motivé et de l’amende civile adresse un message clair : l’accès à la juridiction suprême ne saurait être détourné à des fins dilatoires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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