L’ordonnance du juge des référés du Conseil d’État, rendue le 31 mars 2025, traite du maintien de l’intégrité d’un bien exproprié après l’annulation de l’arrêté de cessibilité. Une société civile immobilière conteste la démolition de ses bâtiments par un établissement public alors qu’une procédure de restitution est pendante devant le juge de l’expropriation. Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, par une ordonnance du 4 février 2025, enjoint l’interruption des travaux de toute nature sur le bâti. L’établissement public d’aménagement saisit le Conseil d’État pour obtenir l’annulation de cette mesure en invoquant l’absence d’urgence et la nécessité de mise en sécurité. Le problème juridique réside dans l’articulation entre la protection du droit au recours effectif et les impératifs immédiats de sécurité publique. La haute juridiction confirme l’atteinte grave au droit de propriété mais autorise néanmoins les interventions provisoires indispensables à la sauvegarde des tiers. La préservation de la possibilité de restitution constitue le premier axe de cette décision, avant que ne soit envisagée la prise en compte des risques matériels.
I. La préservation du droit à restitution par le juge des référés
A. La reconnaissance d’une menace grave sur le recours effectif
L’annulation d’un arrêté de cessibilité par la cour administrative d’appel de Marseille le 5 juin 2023 prive l’expropriation de sa base légale nécessaire. Le Conseil d’État souligne que « le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction (…) constitue une liberté fondamentale » au sens de la Convention européenne. Cette protection implique que le recours puisse empêcher l’exécution de mesures aux conséquences potentiellement irréversibles, telles que l’atteinte définitive aux biens immobiliers en cause. La poursuite des démolitions rendrait vaine l’instance introduite devant le juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Marseille en vue d’obtenir la restitution physique. Le juge administratif rappelle ainsi que l’effectivité de la justice commande de geler l’état des lieux pour permettre une éventuelle remise en possession.
B. Une urgence justifiée par le risque d’appropriation irréversible
L’urgence est caractérisée car la démolition porterait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit (…) à un recours effectif » devant la juridiction judiciaire compétente. Le Conseil d’État considère que la disparition matérielle du bâtiment s’oppose radicalement à toute mesure de restitution prévue par le code de l’expropriation. Si les immeubles disparaissent, l’action de l’exproprié se résoudrait obligatoirement en dommages et intérêts, privant ainsi l’intéressé de son droit de retrouver son bien. Le juge des référés rejette l’argument de l’expropriant selon lequel les travaux seraient effectués dans l’intérêt futur du propriétaire initial des parcelles. Il appartient uniquement à l’exproprié de déterminer l’usage de ses immeubles dans l’hypothèse probable où ils lui seraient officiellement restitués par le juge.
II. La conciliation nécessaire avec les impératifs de sécurité publique
A. L’émergence fortuite d’un péril immédiat pour le voisinage
Le Conseil d’État relève que des débris de vitrage provenant de la toiture ont été projetés dans la rue par des rafales de vent violentes. Ces circonstances factuelles, survenues après la décision du premier juge, créent une menace directe pour la sécurité des passants et du voisinage immédiat. L’ordonnance mentionne explicitement qu’il n’est pas exclu que de tels débris aient occasionné des blessures graves à deux personnes le 9 mars 2025. Cette situation nouvelle impose au juge des référés de moduler son injonction initiale pour prévenir tout accident corporel sans pour autant valider la démolition. La protection d’une liberté fondamentale ne saurait en effet faire abstraction des risques manifestes pour l’ordre public et l’intégrité physique des tiers.
B. La stricte limitation des travaux à la mise en sécurité
La haute juridiction réforme l’ordonnance de Marseille en autorisant « les travaux provisoires et urgents strictement nécessaires à la mise en sécurité des vitrages ». Cette formulation restrictive exclut tout acte de démolition massive ou toute transformation définitive qui compromettrait l’état futur de l’ensemble immobilier litigieux. Le juge veille à ce que l’intervention de l’établissement public soit limitée à ce qui est indispensable pour écarter le péril identifié par les constats. Cette solution préserve l’équilibre entre la sauvegarde du droit au respect des biens et l’obligation de prévenir les dommages aux personnes dans l’espace public. L’établissement public peut ainsi intervenir sur les éléments dangereux tout en respectant l’interdiction de poursuivre l’opération d’aménagement globale prévue initialement.