Cour de justice de l’Union européenne, le 8 juin 2016, n°C-479/14

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 8 juin 2016, une décision fondamentale relative à la fiscalité des donations entre non-résidents. Le litige opposait une donatrice et ses enfants, résidant à l’étranger, à l’administration fiscale allemande au sujet du montant d’un abattement. La donatrice avait transmis à ses filles des parts d’un terrain situé en Allemagne, alors que toutes les parties résidaient au Royaume-Uni. Le centre des impôts de Krefeld a appliqué un abattement réduit de deux mille euros, refusant le bénéfice de l’abattement majoré de quatre cent mille euros. La donatrice a contesté ce calcul devant le Finanzgericht de Düsseldorf, lequel a décidé de saisir la juridiction européenne d’une question préjudicielle. Le juge national s’interrogeait sur la compatibilité de ce régime fiscal avec la libre circulation des capitaux garantie par le traité. La Cour devait déterminer si un abattement minoré pour les non-résidents constitue une entrave, même lorsqu’une option d’alignement est proposée au contribuable. Elle conclut que la réglementation nationale méconnaît les articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’étude de la restriction constatée précèdera l’analyse des justifications rejetées par les juges européens.

I. La caractérisation d’une entrave injustifiée à la libre circulation des capitaux

A. L’identification d’une discrimination fondée sur la résidence des parties

La législation nationale établit une distinction nette selon le lieu de résidence des protagonistes d’une libéralité portant sur un immeuble situé en Allemagne. Le bénéficiaire ne résidant pas dans cet État membre subit un traitement fiscal moins favorable que celui réservé aux résidents du territoire national. L’application d’un abattement forfaitaire de deux mille euros seulement, au lieu de quatre cent mille euros, entraîne une augmentation substantielle de la charge fiscale. Selon la Cour, de telles dispositions nationales « sont susceptibles d’avoir pour effet de diminuer la valeur de la donation d’un résident d’un État membre autre ». Cette différence de charge fiscale constitue donc une restriction aux mouvements de capitaux puisqu’elle dissuade l’acquisition ou la conservation de biens immobiliers. Le droit de l’Union interdit effectivement toute mesure nationale produisant un effet restrictif sur les transactions transfrontalières sans motif légitime lié à l’intérêt général.

B. L’inefficacité du caractère facultatif du régime fiscal litigieux

Le législateur national avait tenté de remédier à l’incompatibilité de son système en introduisant une option permettant au contribuable de solliciter l’abattement majoré. L’exercice de ce choix par le donataire implique toutefois la totalisation des dévolutions reçues sur une période de vingt ans au lieu de dix. La juridiction européenne souligne avec fermeté qu’un régime restrictif demeure incompatible avec le droit de l’Union, quand bien même son application serait purement facultative. L’existence d’une option n’a pas pour effet de remédier, à elle seule, au caractère illégal d’un mécanisme qui demeure discriminatoire par nature. Le manque de prévisibilité du calcul global sur vingt ans est « susceptible d’avoir pour conséquence de dissuader les non-résidents d’acquérir ou de conserver des biens ». Cette incertitude juridique aggrave la restriction en plaçant les bénéficiaires dans l’ignorance prolongée des droits de mutation ultérieurement exigibles par l’État.

II. Le refus des justifications relatives à la souveraineté fiscale nationale

A. L’affirmation d’une comparabilité objective entre contribuables résidents et non-résidents

L’État membre soutenait que la situation des résidents et celle des non-résidents n’étaient pas comparables au regard de l’assiette imposable des droits. La Cour rejette cet argument en rappelant que le montant de l’impôt dépend exclusivement de la valeur de l’immeuble et du lien familial. Ces deux critères fondamentaux ne sont nullement influencés par le lieu de résidence habituelle de la donatrice ou des bénéficiaires de la transmission. Il n’existe donc aucune différence objective justifiant une inégalité de traitement fiscal pour des donations portant sur des biens situés sur le territoire national. Dès lors qu’un État met sur le même plan ces deux catégories d’assujettis, il ne peut les traiter différemment concernant l’application d’un abattement. Le législateur a admis l’absence de différence de situation objective en prévoyant des règles de taux et de classes d’imposition strictement identiques.

B. L’exclusion des impératifs de cohérence et de territorialité fiscale

La restriction ne peut être sauvée par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal ou par le principe de souveraine territorialité. Pour invoquer la cohérence, l’État doit démontrer un lien direct entre l’avantage fiscal accordé et sa compensation par un prélèvement fiscal déterminé. Or, l’avantage résultant de l’abattement majoré n’est compensé par aucun prélèvement spécifique au titre des droits de mutation pour les seuls résidents allemands. La totalisation forcée des donations sur une période de vingt ans ne constitue pas un moyen approprié pour atteindre cet objectif de cohérence globale. Le principe de territorialité ne permet pas davantage de justifier une différence de traitement qui découle de la seule application d’une règle nationale. Les juges concluent que la réglementation excède ce qui est nécessaire pour garantir le pouvoir d’imposition légitime de la République fédérale d’Allemagne.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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