La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 13 juin 2018, précise les conditions d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée lors d’opérations de restructuration. Une société anonyme agissant dans le secteur pharmaceutique souhaitait racheter une partie de ses propres actions détenues par un associé. Ce rachat devait s’effectuer par le transfert de la propriété de plusieurs terrains et bâtiments en guise de rémunération pour le retrait des titres. L’administration fiscale nationale a considéré que cette cession immobilière constituait une livraison de biens à titre onéreux soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. Un tribunal administratif de voïvodie a cependant annulé ce rescrit en jugeant que l’opération globale ne relevait pas de l’activité économique courante. Saisie d’un pourvoi, la juridiction administrative suprême a interrogé la Cour de justice sur la qualification juridique d’une telle cession immobilière. La question posée visait à déterminer si le transfert d’un immeuble en contrepartie du rachat d’actions constitue une livraison de biens effectuée à titre onéreux. La juridiction européenne affirme que cette opération est soumise à la taxe si les biens sont affectés à l’activité économique de la société.
I. La caractérisation d’une livraison de biens réciproque
A. L’identification d’un lien direct entre les prestations
La Cour souligne qu’une livraison de biens est effectuée à titre onéreux s’il existe entre les parties un « rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées ». Le prix perçu par le fournisseur doit constituer la contre-valeur effective du bien fourni conformément à une jurisprudence constante de la haute juridiction européenne. Dans cette affaire, la société cède la propriété de ses actifs immobiliers à un actionnaire en échange des actions que ce dernier détient. Les deux parties interviennent simultanément en qualité de fournisseur et d’acquéreur en se transférant mutuellement des droits de propriété identifiables. La transaction entraîne nécessairement un « transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire » au sens de la directive européenne relative à la taxe.
B. L’autonomie de la cession immobilière par rapport au capital
L’arrêt rejette l’idée que le rachat d’actions et le transfert immobilier constitueraient une opération complexe unique échappant par nature à la fiscalité. La juridiction précise que si la détention d’actions ne constitue pas une activité économique, la livraison des biens affectés à l’entreprise demeure imposable. Le caractère onéreux est établi dès lors que le transfert de l’immeuble trouve sa contrepartie directe dans la valeur des actions remises par l’associé. Cette analyse permet de distinguer les mouvements de capitaux des flux de biens corporels qui font l’objet d’une exploitation commerciale ou industrielle permanente. L’opération de livraison de biens doit ainsi être analysée séparément de la procédure de retrait des titres sociaux prévue par les législations nationales.
II. La soumission de l’opération au champ d’application de la taxe
A. L’exigence de l’affectation des biens à l’activité économique
L’assujettissement dépend de la qualité de la société agissant dans le cadre de son activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services. La Cour rappelle que la notion d’activité économique englobe l’exploitation d’un bien corporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. La livraison est soumise à la taxe « pour autant que lesdits biens immeubles sont affectés à l’activité économique » de la société auteur de la cession. Il incombe à la juridiction nationale de vérifier si les bâtiments transférés participaient effectivement au circuit de production ou de distribution de l’entreprise. Cette condition d’affectation garantit que seuls les actifs intégrés au patrimoine professionnel de l’assujetti supportent la charge fiscale lors de leur sortie.
B. La portée de la solution au regard de la neutralité fiscale
La solution retenue assure le respect du principe de neutralité concurrentielle en évitant que des biens similaires ne supportent des charges fiscales différentes. Le transfert d’un immeuble en paiement d’une dette de rachat d’actions doit être traité comme toute autre vente d’actif immobilier par une entreprise. Cette interprétation prévient les risques d’évasion fiscale qui pourraient résulter de transferts d’actifs opérés sous le couvert de restructurations purement juridiques ou financières. La décision réserve toutefois l’application éventuelle des exonérations spécifiques prévues pour les livraisons de bâtiments anciens n’ayant pas fait l’objet d’une première occupation. Cette approche pragmatique maintient la cohérence du système commun de taxe tout en tenant compte de la réalité économique des échanges entre associés.