Cour de justice de l’Union européenne, le 11 janvier 2024, n°C-433/22

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 janvier 2024, un arrêt précisant le champ d’application des taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée. Cette décision interprète la notion de logements privés figurant à l’annexe quatre de la directive deux mille six cent cent douze relative au système commun de taxe. Une société commerciale a réalisé des travaux de rénovation sur des immeubles urbains appartenant à d’autres entités économiques pour le compte de divers propriétaires. L’administration fiscale a contesté l’application du taux réduit de cinq pour cent au motif que les bâtiments n’étaient pas effectivement habités lors des interventions. Le Supremo Tribunal Administrativo du Portugal a alors saisi la juridiction européenne d’une question préjudicielle portant sur la validité de cette exigence d’occupation réelle. Les juges devaient déterminer si le droit de l’Union autorise un État membre à conditionner le taux réduit à l’usage effectif du logement comme résidence. La Cour répond par l’affirmative, jugeant que le point deux de l’annexe quatre « doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation nationale » restrictive.

I. Une interprétation textuelle centrée sur l’utilisation effective du bien

A. La primauté de la destination résidentielle concrète

La Cour fonde son raisonnement sur le sens habituel des termes utilisés par le législateur européen dans le silence des définitions textuelles de la directive. Le terme logement désigne généralement un bien immeuble destiné à l’habitation et qui sert donc de résidence à une ou à plusieurs personnes physiques. L’adjectif privé permet ainsi de faire une distinction nécessaire avec les logements de fonction ou encore les établissements hôteliers par nature non résidentiels. L’arrêt souligne que la notion de résidence renvoie impérativement à une « exploitation concrète » du bien immobilier par ses occupants habituels au moment des travaux. Cette exigence d’une destination effective signifie qu’un immeuble bénéficiant d’un simple agrément administratif pour l’habitation ne suffit pas à déclencher l’application du taux réduit.

Le juge européen considère que les services de rénovation doivent porter sur des biens effectivement utilisés à des fins d’habitation privée pour bénéficier de l’avantage fiscal. Une interprétation contraire reviendrait à ignorer la réalité matérielle de l’usage du bâtiment au profit d’une qualification juridique abstraite ou simplement potentielle du logement. Par conséquent, les immeubles qui ne sont pas exploités comme résidences au début du chantier se trouvent exclus du champ d’application de cette mesure dérogatoire. La position de la Cour valide ainsi les exigences de l’administration fiscale nationale qui subordonne la réduction de la taxe à une occupation réelle des lieux.

B. L’exclusion des immeubles à vocation commerciale ou spéculative

La décision précise que les services se rapportant à des biens utilisés à d’autres fins que l’habitation ne sont pas couverts par la disposition européenne. Sont ainsi expressément écartés les travaux concernant des biens immobiliers exploités par leur propriétaire pour des objectifs purement commerciaux ou des stratégies d’investissement à long terme. La Cour rappelle que le bénéfice du taux réduit constitue une dérogation au principe de l’application du taux normal et doit faire l’objet d’une interprétation stricte. L’application d’une taxe minorée à des prestations fournies à une société gérant un parc immobilier sans occupation réelle constituerait une extension indue de la règle.

Le juge souligne qu’un service de rénovation fourni à une entité possédant un logement inoccupé ne saurait être considéré comme une prestation destinée à un consommateur final. Cette exclusion protège l’équilibre du système commun de taxe en évitant que des opérateurs économiques ne profitent d’un avantage fiscal réservé aux besoins résidentiels. L’arrêt confirme que la destination commerciale d’un immeuble fait obstacle à la qualification de logement privé, même si la structure architecturale permettrait théoriquement une habitation. La nature de l’utilisateur et l’usage actuel du bien priment sur la destination théorique inscrite dans les registres fonciers ou les contrats de louage.

II. Une solution guidée par la finalité sociale du taux réduit

A. La protection du consommateur final non assujetti

L’interprétation de la Cour s’appuie sur l’objectif fondamental de la directive qui vise à favoriser le consommateur final par une baisse du coût des services. Pour un entrepreneur disposant du droit de déduire la taxe en amont, le niveau du taux de taxation des travaux reste neutre sur le plan économique. En revanche, l’application d’un taux réduit favorise directement l’individu qui habite l’immeuble et qui supporte intégralement le poids définitif de la charge fiscale grevant l’opération. L’élément déterminant réside dans le fait que le consommateur est avantagé par l’application du taux réduit au moment précis où le coût de rénovation est généré.

La Cour affirme que cette mesure cherche à réduire la dépense de celui qui utilise effectivement le bien comme son foyer principal ou secondaire de manière privée. Si le logement n’est pas habité, la logique de soutien au pouvoir d’achat des ménages disparaît au profit d’une aide indirecte à la gestion patrimoniale. Les juges européens lient ainsi la légitimité de l’avantage fiscal à la réalisation effective du besoin social que constitue l’entretien de l’habitat privé des citoyens. La solution retenue assure que la dépense fiscale consentie par l’État bénéficie réellement aux personnes physiques occupant les locaux plutôt qu’aux intermédiaires ou investisseurs.

B. Le maintien mesuré du caractère privé malgré l’inoccupation temporaire

La Cour apporte une nuance importante en précisant que l’occupation des lieux ne doit pas nécessairement être ininterrompue ou permanente pour conserver la qualification résidentielle. Une destination effective à des fins d’habitation n’est pas modifiée par le simple fait que le bien soit utilisé seulement pendant quelques périodes de l’année. Le caractère privé du logement subsiste également lorsque celui-ci est momentanément inoccupé entre deux périodes de location ou pour des raisons liées au calendrier des travaux. Cette précision évite une application trop rigide de la loi nationale qui pourrait priver de nombreux propriétaires de l’avantage fiscal pour des motifs purement techniques.

Il n’est pas nécessaire que les occupants séjournent dans les locaux pendant la réalisation même des travaux de rénovation ou de réparation pour valider l’occupation. La notion de logement privé survit à l’absence physique des habitants dès lors que la fonction résidentielle concrète de l’immeuble est établie avec une certitude suffisante. Cette souplesse permet de concilier la rigueur de la collecte de la taxe avec les réalités quotidiennes de la gestion d’un patrimoine immobilier destiné à l’habitation. La Cour dessine ainsi les contours d’un droit fiscal européen qui privilégie la réalité de la fonction sociale du bien immobilier sur son statut purement formel.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture