Cour d’appel de Versailles, le 8 juillet 2025, n°24/02799
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 8 juillet 2025 illustre les conditions dans lesquelles un bailleur peut obtenir la résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement des loyers, ainsi que l’application des règles relatives à la prescription triennale en matière locative.
En l’espèce, une société avait donné en location un appartement à usage d’habitation le 5 septembre 2013. Le père de la locataire s’était porté caution dans la limite de 47 520 euros. Face à l’accumulation d’impayés, la bailleresse a assigné la locataire et sa caution devant le juge des contentieux de la protection le 25 mai 2023. Elle sollicitait la résiliation du bail, l’expulsion et la condamnation solidaire au paiement de la dette locative.
Le tribunal de proximité de Colombes, par jugement du 29 mars 2024, a déclaré irrecevable l’action en recouvrement pour les créances antérieures au 25 mai 2020, rejeté la demande de résiliation du bail au motif qu’aucune clause résolutoire n’était prévue et qu’aucune mise en demeure n’avait été adressée, mais condamné la locataire au paiement de 14 635,36 euros. La société bailleresse a interjeté appel le 3 mai 2024, sollicitant l’infirmation du jugement sur ces chefs.
Les intimés n’ont pas constitué avocat devant la cour.
La question posée à la cour était double. Il convenait de déterminer si l’application des règles d’imputation des paiements permettait de modifier l’étendue de la prescription acquise. Il s’agissait également de savoir si le défaut prolongé de paiement des loyers justifiait la résiliation judiciaire du bail en l’absence de clause résolutoire.
La cour d’appel de Versailles confirme partiellement le jugement. Elle maintient l’irrecevabilité de l’action pour les loyers antérieurs au 25 mai 2020, tout en admettant que l’imputation des paiements sur les dettes les plus anciennes fixe le premier impayé au 1er août 2019. Elle infirme le rejet de la résiliation, considérant que « le défaut de paiement des loyers et charges depuis le 16 août 2021 […] constitue une inexécution contractuelle suffisamment grave de nature à justifier la résiliation du bail aux torts exclusifs » de la locataire.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’articulation entre prescription triennale et imputation des paiements (I) que des conditions de la résiliation judiciaire pour manquement à l’obligation essentielle du locataire (II).
I. L’articulation entre prescription triennale et imputation des paiements
L’arrêt précise le mécanisme d’imputation des paiements partiels sur la dette locative la plus ancienne (A), tout en maintenant l’effet extinctif de la prescription triennale (B).
A. Le mécanisme de l’imputation sur la dette la plus ancienne
La cour rappelle que « lorsque la quittance ne porte aucune imputation, le paiement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d’intérêt d’acquitter ». Elle applique l’article 1256 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, devenu l’article 1342-10. Ce texte prévoit qu’en l’absence d’imputation conventionnelle, les paiements s’affectent aux dettes les plus anciennes.
Cette règle revêt une importance pratique considérable en matière locative. Les versements effectués par la locataire « depuis 2013 en règlement de certains loyers ou des règlements ponctuels plus importants se sont imputés sur les loyers les plus anciens ». La cour en déduit que « le premier impayé de loyer doit être fixé au 1er août 2019 ».
L’appelante invoquait ce mécanisme pour contester le quantum retenu par le premier juge. Elle estimait que l’imputation correcte des paiements aurait dû conduire à une condamnation plus importante. La cour accueille partiellement cette argumentation en recalculant la dette sur la base des loyers impayés à compter de juin 2020.
B. Le maintien de l’effet extinctif de la prescription triennale
L’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que « toutes actions dérivant d’un contrat de bail sont prescrites par trois ans ». La cour souligne que cette prescription « est d’ordre public ». Le bailleur ne saurait y déroger par convention ni la contourner par un artifice procédural.
La date de l’assignation, le 25 mai 2023, constitue le point de départ du calcul rétroactif. Toute créance née avant le 25 mai 2020 est donc prescrite. La cour confirme ainsi « irrecevable l’action en recouvrement de la créance […] pour les loyers échus antérieurement au 25 mai 2020 ».
L’imputation des paiements ne permet pas de ressusciter une créance prescrite. Elle autorise seulement à identifier avec précision les échéances demeurées impayées. Les loyers d’août 2019 à mai 2020, bien qu’identifiés comme impayés grâce au mécanisme d’imputation, restent atteints par la prescription. Cette solution préserve la sécurité juridique du débiteur tout en permettant au créancier de recouvrer l’intégralité des sommes non prescrites.
II. Les conditions de la résiliation judiciaire pour manquement à l’obligation essentielle
La cour reconnaît la gravité du manquement justifiant la résiliation (A) et en tire les conséquences sur l’expulsion et l’indemnité d’occupation (B).
A. La caractérisation d’un manquement suffisamment grave
Le premier juge avait rejeté la demande de résiliation au motif « qu’aucune stipulation du bail conclu le 5 septembre 2013 ne prévoit que la seule inexécution du paiement du loyer par le locataire est suffisante pour entraîner la résiliation du bail ». Il exigeait également une mise en demeure préalable.
La cour infirme cette analyse. Elle rappelle que l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire « de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus ». Cette obligation constitue « son obligation principale ». La résiliation judiciaire peut donc être prononcée sur le fondement du droit commun des contrats, indépendamment de toute clause résolutoire.
Sur l’exigence de mise en demeure, la cour relève que « le commandement de payer que la société […] a fait délivrer […] par acte de commissaire de justice en date du 28 juillet 2021, vaut incontestablement mise en demeure ». Les échanges de courriels entre les parties attestent également de « la parfaite connaissance par la locataire, du montant de sa dette locative ». La débitrice avait même « promis dans un courrier électronique du 17 mars 2022, un virement de 20 000 euros qui n’a jamais été adressé ».
L’accumulation d’une dette de 47 705,83 euros, représentant plusieurs années de loyers impayés, caractérise une inexécution d’une gravité suffisante. La cour prononce ainsi la résiliation « aux torts exclusifs » de la locataire.
B. Les conséquences de la résiliation sur l’occupation des lieux
La résiliation prononcée, la locataire devient occupante sans droit ni titre. La cour ordonne son expulsion « avec le cas échéant, le concours de la force publique ». Elle rappelle toutefois que cette mesure « ne pourra être poursuivie qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement d’avoir à libérer les lieux », conformément à l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution.
La cour refuse d’assortir l’expulsion d’une astreinte, considérant que « le recours à la force publique [est] une mesure suffisamment contraignante ». Cette solution évite d’alourdir excessivement la situation financière de l’occupante tout en garantissant l’effectivité de la décision.
S’agissant de l’indemnité d’occupation, la cour la fixe « à une somme égale au montant du loyer révisable, outre les charges, qui aurait été dû en cas de poursuite du bail ». Cette indemnité compense le préjudice subi par le propriétaire privé de la jouissance de son bien. Elle court jusqu’à « la libération effective des lieux se matérialisant soit par la remise des clés, soit par l’expulsion ».
La cour rejette en revanche les demandes d’autorisation anticipée de vente des meubles et de mise à charge des honoraires de recouvrement. Elle précise que « l’honoraire n'[est] pas un dépens dont le débiteur pourrait souffrir la charge » et qu’« aucun texte ne permett[ant] au juge de renverser la charge de cet honoraire de résultat ». Cette solution protège le débiteur contre des frais disproportionnés tout en préservant les droits légitimes du créancier.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 8 juillet 2025 illustre les conditions dans lesquelles un bailleur peut obtenir la résiliation judiciaire du bail pour défaut de paiement des loyers, ainsi que l’application des règles relatives à la prescription triennale en matière locative.
En l’espèce, une société avait donné en location un appartement à usage d’habitation le 5 septembre 2013. Le père de la locataire s’était porté caution dans la limite de 47 520 euros. Face à l’accumulation d’impayés, la bailleresse a assigné la locataire et sa caution devant le juge des contentieux de la protection le 25 mai 2023. Elle sollicitait la résiliation du bail, l’expulsion et la condamnation solidaire au paiement de la dette locative.
Le tribunal de proximité de Colombes, par jugement du 29 mars 2024, a déclaré irrecevable l’action en recouvrement pour les créances antérieures au 25 mai 2020, rejeté la demande de résiliation du bail au motif qu’aucune clause résolutoire n’était prévue et qu’aucune mise en demeure n’avait été adressée, mais condamné la locataire au paiement de 14 635,36 euros. La société bailleresse a interjeté appel le 3 mai 2024, sollicitant l’infirmation du jugement sur ces chefs.
Les intimés n’ont pas constitué avocat devant la cour.
La question posée à la cour était double. Il convenait de déterminer si l’application des règles d’imputation des paiements permettait de modifier l’étendue de la prescription acquise. Il s’agissait également de savoir si le défaut prolongé de paiement des loyers justifiait la résiliation judiciaire du bail en l’absence de clause résolutoire.
La cour d’appel de Versailles confirme partiellement le jugement. Elle maintient l’irrecevabilité de l’action pour les loyers antérieurs au 25 mai 2020, tout en admettant que l’imputation des paiements sur les dettes les plus anciennes fixe le premier impayé au 1er août 2019. Elle infirme le rejet de la résiliation, considérant que « le défaut de paiement des loyers et charges depuis le 16 août 2021 […] constitue une inexécution contractuelle suffisamment grave de nature à justifier la résiliation du bail aux torts exclusifs » de la locataire.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’articulation entre prescription triennale et imputation des paiements (I) que des conditions de la résiliation judiciaire pour manquement à l’obligation essentielle du locataire (II).
I. L’articulation entre prescription triennale et imputation des paiements
L’arrêt précise le mécanisme d’imputation des paiements partiels sur la dette locative la plus ancienne (A), tout en maintenant l’effet extinctif de la prescription triennale (B).
A. Le mécanisme de l’imputation sur la dette la plus ancienne
La cour rappelle que « lorsque la quittance ne porte aucune imputation, le paiement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d’intérêt d’acquitter ». Elle applique l’article 1256 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, devenu l’article 1342-10. Ce texte prévoit qu’en l’absence d’imputation conventionnelle, les paiements s’affectent aux dettes les plus anciennes.
Cette règle revêt une importance pratique considérable en matière locative. Les versements effectués par la locataire « depuis 2013 en règlement de certains loyers ou des règlements ponctuels plus importants se sont imputés sur les loyers les plus anciens ». La cour en déduit que « le premier impayé de loyer doit être fixé au 1er août 2019 ».
L’appelante invoquait ce mécanisme pour contester le quantum retenu par le premier juge. Elle estimait que l’imputation correcte des paiements aurait dû conduire à une condamnation plus importante. La cour accueille partiellement cette argumentation en recalculant la dette sur la base des loyers impayés à compter de juin 2020.
B. Le maintien de l’effet extinctif de la prescription triennale
L’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que « toutes actions dérivant d’un contrat de bail sont prescrites par trois ans ». La cour souligne que cette prescription « est d’ordre public ». Le bailleur ne saurait y déroger par convention ni la contourner par un artifice procédural.
La date de l’assignation, le 25 mai 2023, constitue le point de départ du calcul rétroactif. Toute créance née avant le 25 mai 2020 est donc prescrite. La cour confirme ainsi « irrecevable l’action en recouvrement de la créance […] pour les loyers échus antérieurement au 25 mai 2020 ».
L’imputation des paiements ne permet pas de ressusciter une créance prescrite. Elle autorise seulement à identifier avec précision les échéances demeurées impayées. Les loyers d’août 2019 à mai 2020, bien qu’identifiés comme impayés grâce au mécanisme d’imputation, restent atteints par la prescription. Cette solution préserve la sécurité juridique du débiteur tout en permettant au créancier de recouvrer l’intégralité des sommes non prescrites.
II. Les conditions de la résiliation judiciaire pour manquement à l’obligation essentielle
La cour reconnaît la gravité du manquement justifiant la résiliation (A) et en tire les conséquences sur l’expulsion et l’indemnité d’occupation (B).
A. La caractérisation d’un manquement suffisamment grave
Le premier juge avait rejeté la demande de résiliation au motif « qu’aucune stipulation du bail conclu le 5 septembre 2013 ne prévoit que la seule inexécution du paiement du loyer par le locataire est suffisante pour entraîner la résiliation du bail ». Il exigeait également une mise en demeure préalable.
La cour infirme cette analyse. Elle rappelle que l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire « de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus ». Cette obligation constitue « son obligation principale ». La résiliation judiciaire peut donc être prononcée sur le fondement du droit commun des contrats, indépendamment de toute clause résolutoire.
Sur l’exigence de mise en demeure, la cour relève que « le commandement de payer que la société […] a fait délivrer […] par acte de commissaire de justice en date du 28 juillet 2021, vaut incontestablement mise en demeure ». Les échanges de courriels entre les parties attestent également de « la parfaite connaissance par la locataire, du montant de sa dette locative ». La débitrice avait même « promis dans un courrier électronique du 17 mars 2022, un virement de 20 000 euros qui n’a jamais été adressé ».
L’accumulation d’une dette de 47 705,83 euros, représentant plusieurs années de loyers impayés, caractérise une inexécution d’une gravité suffisante. La cour prononce ainsi la résiliation « aux torts exclusifs » de la locataire.
B. Les conséquences de la résiliation sur l’occupation des lieux
La résiliation prononcée, la locataire devient occupante sans droit ni titre. La cour ordonne son expulsion « avec le cas échéant, le concours de la force publique ». Elle rappelle toutefois que cette mesure « ne pourra être poursuivie qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement d’avoir à libérer les lieux », conformément à l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution.
La cour refuse d’assortir l’expulsion d’une astreinte, considérant que « le recours à la force publique [est] une mesure suffisamment contraignante ». Cette solution évite d’alourdir excessivement la situation financière de l’occupante tout en garantissant l’effectivité de la décision.
S’agissant de l’indemnité d’occupation, la cour la fixe « à une somme égale au montant du loyer révisable, outre les charges, qui aurait été dû en cas de poursuite du bail ». Cette indemnité compense le préjudice subi par le propriétaire privé de la jouissance de son bien. Elle court jusqu’à « la libération effective des lieux se matérialisant soit par la remise des clés, soit par l’expulsion ».
La cour rejette en revanche les demandes d’autorisation anticipée de vente des meubles et de mise à charge des honoraires de recouvrement. Elle précise que « l’honoraire n'[est] pas un dépens dont le débiteur pourrait souffrir la charge » et qu’« aucun texte ne permett[ant] au juge de renverser la charge de cet honoraire de résultat ». Cette solution protège le débiteur contre des frais disproportionnés tout en préservant les droits légitimes du créancier.