Cour d’appel de Versailles, le 18 juin 2025, n°22/06134

Par un arrêt du 18 juin 2025, la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur la responsabilité d’un ancien syndic de copropriété et sur la garantie due par son assureur, dans le cadre d’une cession de créance consentie par le syndicat des copropriétaires à l’un de ses membres.

Une résidence soumise au statut de la copropriété était administrée par un syndicat principal et deux syndicats secondaires. Une société avait exercé les fonctions de syndic de ces trois syndicats de 2007 à 2016. Divers manquements lui furent reprochés, tenant à des écritures comptables injustifiées et au financement irrégulier de travaux. Cette société était assurée au titre de sa responsabilité civile professionnelle, le contrat ayant été résilié avec effet au 1er janvier 2017. Lors d’une assemblée générale du 13 février 2019, les copropriétaires du syndicat secondaire votèrent la cession à titre onéreux des créances indemnitaires détenues contre l’ancien syndic au profit d’un copropriétaire. Ce dernier assigna le syndic et son assureur en paiement solidaire d’une somme de 44 065,68 euros. Le tribunal judiciaire fit droit à cette demande par jugement du 19 septembre 2022. L’assureur interjeta appel.

Devant la Cour, l’assureur et le syndic soulevèrent la prescription quinquennale, la nullité de la cession de créance et l’absence de garantie. Le cessionnaire répliqua que la prescription n’était pas acquise, la cession valable et la garantie due.

La question posée à la Cour était double : d’une part, le cessionnaire d’une créance indemnitaire détenue par un syndicat des copropriétaires contre son ancien syndic peut-il agir en justice lorsque le syndicat a refusé d’intenter lui-même l’action, et d’autre part, dans quelles conditions l’assureur de responsabilité civile professionnelle du syndic doit-il sa garantie après résiliation du contrat.

La Cour d’appel de Versailles confirma le jugement. Elle retint que la prescription n’était pas acquise, le syndicat n’ayant eu connaissance des manquements que lors de l’assemblée générale du 13 décembre 2016. Elle jugea la cession de créance valable nonobstant le refus du syndicat d’agir en justice, ce refus ne valant pas renonciation à la créance. Elle considéra que l’assureur devait sa garantie, le fait dommageable étant antérieur à la résiliation et la réclamation ayant été formée dans le délai subséquent.

La présente décision invite à examiner successivement les conditions de validité de la cession de créance indemnitaire en droit de la copropriété (I), puis le régime de la garantie d’assurance de responsabilité civile professionnelle du syndic (II).

I. La validité de la cession de créance indemnitaire consentie par le syndicat des copropriétaires

La Cour précise les conditions de fond de la cession de créance (A) avant d’en déterminer les effets procéduraux (B).

A. L’indifférence du refus d’agir sur l’existence de la créance

L’assureur et le syndic soutenaient que la cession de créance était nulle. Ils invoquaient les résolutions adoptées lors de l’assemblée générale du 15 février 2018, par lesquelles les copropriétaires avaient annulé une procédure antérieurement votée et rejeté les propositions d’engager la responsabilité civile professionnelle du syndic.

La Cour opère une distinction essentielle entre le refus d’agir en justice et la renonciation à la créance. Elle relève que « ces résolutions ont eu uniquement pour objet de refuser d’intenter l’action en justice en question mais restent dépourvues de conséquence sur la créance dont elle devait faire l’objet ». La formule retenue par la Cour est particulièrement nette : « elles ne valent pas renonciation, ni pour le syndicat des copropriétaires ni pour M. [V] à qui cette créance sera cédée ultérieurement, à ladite créance ».

Cette solution s’inscrit dans la logique des articles 1321 et suivants du code civil issus de l’ordonnance du 10 février 2016. La cession de créance porte sur un droit personnel, distinct de l’action en justice qui en permet la réalisation. Le syndicat des copropriétaires peut parfaitement décider de ne pas engager lui-même de procédure tout en conservant la titularité de sa créance. Cette créance demeure dans son patrimoine et peut être cédée à un tiers.

La Cour rappelle en outre que le cessionnaire n’acquiert pas plus de droits que le cédant. Elle précise que les créances cédées « se limitent aux droits que le syndicat des copropriétaires détenait lui-même ». Cette règle classique emporte une conséquence importante en matière de prescription : « la cession ne fait pas courir un nouveau délai de prescription, le délai initial régissant l’action en justice du syndicat des copropriétaires continuant à s’appliquer ».

B. L’opposabilité de la cession au débiteur cédé

Le syndic contestait également l’opposabilité de la cession de créance faute de signification régulière. L’article 1690 du code civil exige en effet que la cession soit signifiée au débiteur ou acceptée par lui dans un acte authentique.

La Cour d’appel de Versailles retient une conception souple de cette exigence. Elle juge que « la simple délivrance de l’assignation en paiement à l’intéressée vaut signification de la cession de créance, puisque cet acte a informé le débiteur cédé de la cession de la créance que le syndicat des copropriétaires détenait à son encontre ».

Cette solution n’est pas nouvelle. La jurisprudence admet depuis longtemps que l’assignation délivrée par le cessionnaire au débiteur cédé vaut signification au sens de l’article 1690 du code civil. L’assignation remplit en effet la fonction d’information du débiteur qui constitue la finalité de l’exigence légale. Le débiteur est ainsi mis en mesure de connaître l’identité de son nouveau créancier et ne peut plus se libérer valablement entre les mains du cédant.

Le syndic soutenait encore que le cessionnaire n’avait pas payé le prix de la créance cédée. La Cour écarte ce moyen en relevant que le cessionnaire « n’avait nullement à payer ladite somme, mais seulement à régler au cédant, le syndicat des copropriétaires, le prix de la cession de créance visé à l’article 4 soit 2 500 euros ». La Cour rappelle utilement la distinction entre le prix de la cession et le montant de la créance cédée, le cessionnaire agissant non en qualité de copropriétaire mais en qualité de cessionnaire d’une créance.

II. Le régime de la garantie d’assurance de responsabilité civile professionnelle

La Cour examine les conditions de déclenchement de la garantie (A) puis l’exclusion invoquée par l’assureur (B).

A. L’application de la clause de réclamation dans le délai subséquent

L’assureur soutenait que sa garantie n’était pas due, le contrat ayant été résilié avec effet au 1er janvier 2017. Il invoquait l’article 1.2 de la police qui prévoyait un déclenchement de la garantie par la réclamation.

La Cour d’appel de Versailles procède à une analyse minutieuse des stipulations contractuelles. La police prévoyait que la garantie « couvrait l’assuré dès lors que le fait dommageable était antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie et que la première réclamation était adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration ».

S’agissant d’une première créance de 15 973,80 euros, la Cour relève que le syndic avait adressé une déclaration de sinistre à l’assureur le 7 novembre 2016, « soit antérieurement à la prise d’effet de la résiliation de la police ». Le fait dommageable avait donc bien été connu de l’assuré avant la résiliation.

S’agissant des deux autres créances, la Cour retient que « l’assureur a été informé du montant exact de la dette à garantir et du sinistre de par la délivrance de l’assignation par M. [V] le 19 juin 2019 et la notification des conclusions ». Elle en déduit que « la première réclamation a été ainsi adressée à l’assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration ». La Cour note que l’assureur reconnaissait lui-même dans ses écritures que « la réclamation peut se faire notamment par une assignation devant un tribunal ».

Cette solution est conforme aux dispositions de l’article L. 124-5 du code des assurances qui impose un délai subséquent minimal de dix ans pour les assurances de responsabilité civile professionnelle. Ce mécanisme vise à protéger les victimes en leur permettant de formuler une réclamation pendant une durée raisonnable après la résiliation du contrat, dès lors que le fait dommageable est antérieur à cette résiliation.

B. Le rejet de l’exclusion pour faute intentionnelle

L’assureur invoquait enfin l’article L. 113-1 du code des assurances selon lequel l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

La Cour d’appel de Versailles écarte ce moyen en relevant qu’une telle faute « est entendue comme la faute volontaire commise avec l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu ». Elle constate qu’« il n’est nullement démontré que tel a été le cas en l’espèce » et que « c’est l’incurie du syndic qui est en cause ».

Cette solution est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation. La faute intentionnelle suppose la volonté de causer le dommage lui-même et non pas seulement la volonté de l’acte dommageable. L’incurie, la négligence ou même la faute lourde ne caractérisent pas la faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances.

La Cour confirme ainsi le jugement en ce qu’il avait condamné solidairement le syndic et l’assureur au paiement des sommes dues et dit que l’assureur devrait garantir le syndic de l’ensemble des sommes mises à sa charge.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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