L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau le 28 août 2025 s’inscrit dans le contentieux récurrent des travaux réalisés par un copropriétaire et de leurs conséquences sur les droits des autres membres de la copropriété. Une copropriétaire avait contesté des travaux de surélévation effectués par d’autres copropriétaires, invoquant la création de vues irrégulières sur son lot et l’existence d’un trouble anormal de voisinage.
En l’espèce, la propriétaire d’un appartement au premier étage d’une résidence soumise au statut de la copropriété contestait des travaux réalisés par les propriétaires de lots situés au rez-de-chaussée. Ces derniers avaient obtenu une autorisation de l’assemblée générale pour une modification de la pente de la toiture, mais les travaux effectués avaient consisté en une surélévation de leur lot, créant un toit-terrasse. Une assemblée générale ultérieure avait régularisé ces travaux a posteriori.
La copropriétaire avait saisi le tribunal judiciaire aux fins d’obtenir la nullité de la résolution autorisant les travaux et la condamnation des auteurs de ceux-ci à la démolition des ouvrages litigieux. Le tribunal l’avait déboutée de ses demandes principales. Elle avait interjeté appel, mais sa déclaration d’appel avait été déclarée caduque à l’égard du syndicat des copropriétaires et du syndic. Devant la cour, elle maintenait ses demandes de démolition fondées sur les articles 678 et 679 du code civil relatifs aux servitudes de vue, ainsi que sur le trouble anormal de voisinage.
La question posée à la cour était double : les règles relatives aux servitudes de vue entre fonds voisins sont-elles applicables entre copropriétaires d’un même immeuble ? Des travaux autorisés par une assemblée générale de copropriétaires peuvent-ils néanmoins constituer un trouble anormal de voisinage ?
La Cour d’appel de Pau confirme le jugement entrepris. Elle juge que les articles 678 et 679 du code civil sont inapplicables en copropriété car « les lots d’une copropriété ne sont séparés par aucune limite divisoire, et ne constituent pas des fonds distincts ». Elle retient ensuite que, si des travaux mêmes autorisés peuvent créer un trouble anormal de voisinage, la preuve de ce trouble n’est pas rapportée dès lors que l’accès au toit-terrasse est condamné par un scellé.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’inapplicabilité des servitudes légales de vue en copropriété (I) que de l’appréciation du trouble anormal de voisinage dans ce contexte particulier (II).
I. L’inapplicabilité des servitudes légales de vue entre copropriétaires
La cour écarte l’application des dispositions du code civil relatives aux vues en raison de la structure juridique particulière de la copropriété (A), solution qui s’inscrit dans une jurisprudence constante dont la portée pratique demeure significative (B).
A. L’absence de fonds distincts en copropriété
L’appelante fondait sa demande de démolition sur les articles 678 et 679 du code civil, qui imposent des distances minimales pour l’établissement de vues droites ou obliques sur l’héritage du voisin. Ces textes supposent l’existence de deux fonds contigus appartenant à des propriétaires différents.
La cour rejette cette argumentation en relevant que « les lots d’une copropriété ne sont séparés par aucune limite divisoire, et ne constituent pas des fonds distincts protégés par les dispositions précitées ». Cette analyse repose sur la nature juridique particulière du lot de copropriété, défini par l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 comme comprenant une partie privative et une quote-part de parties communes.
En copropriété, le sol est une partie commune. Il n’existe donc pas de ligne séparative entre les lots au sens où deux fonds voisins seraient délimités par une frontière. Les copropriétaires sont tous propriétaires indivis du sol et des parties communes de l’immeuble. Cette indivision forcée exclut la qualification de fonds voisins au sens des articles 678 et 679 du code civil.
B. Une solution classique aux conséquences pratiques importantes
La solution retenue par la Cour d’appel de Pau s’inscrit dans une jurisprudence établie. La Cour de cassation a consacré cette analyse à plusieurs reprises, considérant que les servitudes légales de vue ne s’appliquent pas entre copropriétaires d’un même immeuble.
Cette position se justifie par la cohérence du régime de la copropriété. Le règlement de copropriété et les décisions d’assemblée générale constituent les instruments adéquats pour régir les rapports entre copropriétaires, y compris les questions de vue et d’intimité. Appliquer les servitudes légales de vue en copropriété créerait des difficultés pratiques considérables, rendant potentiellement irrégulières de nombreuses configurations architecturales existantes.
La cour ajoute surabondamment que le toit-terrasse constitue une partie commune spéciale et non une partie privative. Cet élément renforce l’impossibilité d’appliquer les règles des servitudes de vue, puisque la vue alléguée proviendrait d’une partie commune et non du lot privatif des intimés.
II. L’appréciation restrictive du trouble anormal de voisinage en copropriété
La cour admet le principe selon lequel des travaux autorisés peuvent constituer un trouble anormal de voisinage (A), mais elle refuse de sanctionner un trouble simplement éventuel (B).
A. L’autonomie du trouble anormal de voisinage par rapport aux autorisations de copropriété
Les intimés soutenaient que les demandes de l’appelante étaient irrecevables dès lors que les travaux avaient été autorisés par l’assemblée générale des copropriétaires. La cour rejette cette fin de non-recevoir en affirmant que « des travaux mêmes licites et mêmes autorisés par une assemblée générale de copropriétaires peuvent créer un trouble anormal de voisinage ».
Cette position traduit l’autonomie de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Celle-ci constitue un régime de responsabilité sans faute, indépendant de la licéité de l’activité dommageable. Le respect des autorisations administratives ou des règles de copropriété n’exclut pas la caractérisation d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.
La cour rappelle le fondement de cette responsabilité : « le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi et les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients anormaux du voisinage ». Ce principe, d’origine jurisprudentielle, s’applique pleinement en copropriété.
B. Le refus de sanctionner un trouble hypothétique
Sur le fond, la cour confirme le rejet de la demande en constatant que l’appelante ne rapporte pas la preuve du trouble anormal invoqué. L’élément déterminant réside dans la condamnation de l’accès au toit-terrasse par un scellé, rendant « impossible l’accès au toit terrasse » et donc toute vue sur l’appartement de l’appelante.
La cour précise que cette condamnation résulte d’une décision de l’assemblée générale du 11 juillet 2020 n’autorisant pas l’accès à ce toit-terrasse. Elle refuse de prononcer une démolition « au motif hypothétique qu’une autre assemblée générale pourrait un jour lever cette interdiction », considérant qu’elle ne peut « réparer un futur trouble anormal de voisinage éventuel et incertain ».
Cette motivation révèle l’exigence d’actualité du trouble. Le trouble anormal de voisinage suppose un dommage présent et non une simple potentialité de nuisance. L’appelante ne pouvait se prévaloir d’une atteinte à son intimité alors que l’accès au toit-terrasse était matériellement impossible. La circonstance que cette impossibilité résulte d’une mesure réversible ne suffit pas à caractériser un trouble actuel.
La cour adopte une approche pragmatique du contentieux de voisinage. Elle refuse de statuer sur des situations futures et incertaines, préférant apprécier le trouble au moment où elle statue. Cette solution préserve la sécurité juridique des copropriétaires ayant réalisé des travaux régulièrement autorisés, tout en réservant la possibilité d’une action ultérieure si la situation venait à évoluer.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau le 28 août 2025 s’inscrit dans le contentieux récurrent des travaux réalisés par un copropriétaire et de leurs conséquences sur les droits des autres membres de la copropriété. Une copropriétaire avait contesté des travaux de surélévation effectués par d’autres copropriétaires, invoquant la création de vues irrégulières sur son lot et l’existence d’un trouble anormal de voisinage.
En l’espèce, la propriétaire d’un appartement au premier étage d’une résidence soumise au statut de la copropriété contestait des travaux réalisés par les propriétaires de lots situés au rez-de-chaussée. Ces derniers avaient obtenu une autorisation de l’assemblée générale pour une modification de la pente de la toiture, mais les travaux effectués avaient consisté en une surélévation de leur lot, créant un toit-terrasse. Une assemblée générale ultérieure avait régularisé ces travaux a posteriori.
La copropriétaire avait saisi le tribunal judiciaire aux fins d’obtenir la nullité de la résolution autorisant les travaux et la condamnation des auteurs de ceux-ci à la démolition des ouvrages litigieux. Le tribunal l’avait déboutée de ses demandes principales. Elle avait interjeté appel, mais sa déclaration d’appel avait été déclarée caduque à l’égard du syndicat des copropriétaires et du syndic. Devant la cour, elle maintenait ses demandes de démolition fondées sur les articles 678 et 679 du code civil relatifs aux servitudes de vue, ainsi que sur le trouble anormal de voisinage.
La question posée à la cour était double : les règles relatives aux servitudes de vue entre fonds voisins sont-elles applicables entre copropriétaires d’un même immeuble ? Des travaux autorisés par une assemblée générale de copropriétaires peuvent-ils néanmoins constituer un trouble anormal de voisinage ?
La Cour d’appel de Pau confirme le jugement entrepris. Elle juge que les articles 678 et 679 du code civil sont inapplicables en copropriété car « les lots d’une copropriété ne sont séparés par aucune limite divisoire, et ne constituent pas des fonds distincts ». Elle retient ensuite que, si des travaux mêmes autorisés peuvent créer un trouble anormal de voisinage, la preuve de ce trouble n’est pas rapportée dès lors que l’accès au toit-terrasse est condamné par un scellé.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’inapplicabilité des servitudes légales de vue en copropriété (I) que de l’appréciation du trouble anormal de voisinage dans ce contexte particulier (II).
I. L’inapplicabilité des servitudes légales de vue entre copropriétaires
La cour écarte l’application des dispositions du code civil relatives aux vues en raison de la structure juridique particulière de la copropriété (A), solution qui s’inscrit dans une jurisprudence constante dont la portée pratique demeure significative (B).
A. L’absence de fonds distincts en copropriété
L’appelante fondait sa demande de démolition sur les articles 678 et 679 du code civil, qui imposent des distances minimales pour l’établissement de vues droites ou obliques sur l’héritage du voisin. Ces textes supposent l’existence de deux fonds contigus appartenant à des propriétaires différents.
La cour rejette cette argumentation en relevant que « les lots d’une copropriété ne sont séparés par aucune limite divisoire, et ne constituent pas des fonds distincts protégés par les dispositions précitées ». Cette analyse repose sur la nature juridique particulière du lot de copropriété, défini par l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 comme comprenant une partie privative et une quote-part de parties communes.
En copropriété, le sol est une partie commune. Il n’existe donc pas de ligne séparative entre les lots au sens où deux fonds voisins seraient délimités par une frontière. Les copropriétaires sont tous propriétaires indivis du sol et des parties communes de l’immeuble. Cette indivision forcée exclut la qualification de fonds voisins au sens des articles 678 et 679 du code civil.
B. Une solution classique aux conséquences pratiques importantes
La solution retenue par la Cour d’appel de Pau s’inscrit dans une jurisprudence établie. La Cour de cassation a consacré cette analyse à plusieurs reprises, considérant que les servitudes légales de vue ne s’appliquent pas entre copropriétaires d’un même immeuble.
Cette position se justifie par la cohérence du régime de la copropriété. Le règlement de copropriété et les décisions d’assemblée générale constituent les instruments adéquats pour régir les rapports entre copropriétaires, y compris les questions de vue et d’intimité. Appliquer les servitudes légales de vue en copropriété créerait des difficultés pratiques considérables, rendant potentiellement irrégulières de nombreuses configurations architecturales existantes.
La cour ajoute surabondamment que le toit-terrasse constitue une partie commune spéciale et non une partie privative. Cet élément renforce l’impossibilité d’appliquer les règles des servitudes de vue, puisque la vue alléguée proviendrait d’une partie commune et non du lot privatif des intimés.
II. L’appréciation restrictive du trouble anormal de voisinage en copropriété
La cour admet le principe selon lequel des travaux autorisés peuvent constituer un trouble anormal de voisinage (A), mais elle refuse de sanctionner un trouble simplement éventuel (B).
A. L’autonomie du trouble anormal de voisinage par rapport aux autorisations de copropriété
Les intimés soutenaient que les demandes de l’appelante étaient irrecevables dès lors que les travaux avaient été autorisés par l’assemblée générale des copropriétaires. La cour rejette cette fin de non-recevoir en affirmant que « des travaux mêmes licites et mêmes autorisés par une assemblée générale de copropriétaires peuvent créer un trouble anormal de voisinage ».
Cette position traduit l’autonomie de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Celle-ci constitue un régime de responsabilité sans faute, indépendant de la licéité de l’activité dommageable. Le respect des autorisations administratives ou des règles de copropriété n’exclut pas la caractérisation d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.
La cour rappelle le fondement de cette responsabilité : « le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi et les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients anormaux du voisinage ». Ce principe, d’origine jurisprudentielle, s’applique pleinement en copropriété.
B. Le refus de sanctionner un trouble hypothétique
Sur le fond, la cour confirme le rejet de la demande en constatant que l’appelante ne rapporte pas la preuve du trouble anormal invoqué. L’élément déterminant réside dans la condamnation de l’accès au toit-terrasse par un scellé, rendant « impossible l’accès au toit terrasse » et donc toute vue sur l’appartement de l’appelante.
La cour précise que cette condamnation résulte d’une décision de l’assemblée générale du 11 juillet 2020 n’autorisant pas l’accès à ce toit-terrasse. Elle refuse de prononcer une démolition « au motif hypothétique qu’une autre assemblée générale pourrait un jour lever cette interdiction », considérant qu’elle ne peut « réparer un futur trouble anormal de voisinage éventuel et incertain ».
Cette motivation révèle l’exigence d’actualité du trouble. Le trouble anormal de voisinage suppose un dommage présent et non une simple potentialité de nuisance. L’appelante ne pouvait se prévaloir d’une atteinte à son intimité alors que l’accès au toit-terrasse était matériellement impossible. La circonstance que cette impossibilité résulte d’une mesure réversible ne suffit pas à caractériser un trouble actuel.
La cour adopte une approche pragmatique du contentieux de voisinage. Elle refuse de statuer sur des situations futures et incertaines, préférant apprécier le trouble au moment où elle statue. Cette solution préserve la sécurité juridique des copropriétaires ayant réalisé des travaux régulièrement autorisés, tout en réservant la possibilité d’une action ultérieure si la situation venait à évoluer.