Cour d’appel de Paris, le 18 juin 2025, n°23/17066
Par arrêt du 18 juin 2025, la cour d’appel de Paris a statué sur un litige opposant deux sociétés commerciales dans le cadre de la rupture de leurs relations d’affaires. Cette décision, rendue par le pôle 5 chambre 4, illustre l’articulation délicate entre la liberté contractuelle et la protection contre les ruptures brutales de relations commerciales établies.
Une société exploitant un hypermarché sous enseigne de grande distribution avait confié en 2004 à une société spécialisée en génie climatique et frigorifique le remplacement complet de ses équipements frigorifiques. Les parties concluaient ensuite, le 28 juin 2005, un contrat d’entretien et de réparation des installations frigorifiques, modifié par avenant du 28 mai 2012. Ce contrat stipulait une clause d’exclusivité au profit du prestataire ainsi qu’une faculté de résiliation unilatérale moyennant un préavis de trois mois. À la suite de fuites récurrentes constatées durant l’été 2018, le client missionna un auditeur externe en mai 2019. En novembre 2019, le client confia à un tiers le remplacement de 15 évaporateurs. Par courrier du 14 novembre 2019, le prestataire notifiait la rupture du contrat pour le 30 novembre suivant, invoquant la violation de son exclusivité.
Le tribunal de commerce de Lille, par jugement du 17 juin 2021, avait débouté le client de ses demandes indemnitaires, estimant que la rupture lui était exclusivement imputable et n’était pas brutale. Le client relevait appel de cette décision.
Devant la cour, le client soutenait que le préavis contractuel de trois mois était insuffisant au regard de la durée des relations, qu’aucune faute ne lui était imputable puisque le remplacement des évaporateurs n’entrait pas dans le champ contractuel, et qu’il avait subi un préjudice financier ainsi qu’un préjudice de désorganisation. Le prestataire répliquait que le client avait violé son exclusivité en confiant cette prestation à un tiers, qu’il existait un impayé, et que les préjudices allégués n’étaient pas démontrés.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si la rupture des relations commerciales établies était imputable au prestataire et, dans l’affirmative, si elle revêtait un caractère brutal au sens de l’article L 442-1 II du code de commerce. Subsidiairement, la cour devait apprécier l’existence et l’étendue des préjudices allégués.
La cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement. Elle retient que le prestataire a rompu brutalement les relations commerciales établies, mais rejette l’intégralité des demandes indemnitaires du client faute de preuve des préjudices allégués.
Cette décision mérite analyse tant au regard de la caractérisation de la rupture brutale des relations commerciales établies (I) que de l’appréciation restrictive du préjudice indemnisable (II).
I. La caractérisation de la rupture brutale des relations commerciales établies
La cour procède à une analyse méthodique des conditions d’application de l’article L 442-1 II du code de commerce, en précisant d’abord les contours de la relation commerciale établie (A), avant d’examiner l’imputabilité de la rupture et l’insuffisance du préavis accordé (B).
A. La qualification de relation commerciale établie
La cour rappelle que la relation commerciale établie constitue « une notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat » et « n’est soumise à aucun formalisme ». Elle précise que cette relation « est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial ».
En l’espèce, l’existence d’une relation commerciale établie d’une durée de près de quinze ans n’était pas contestée. La cour souligne toutefois que « le partenariat ne générait aucun chiffre d’affaires au bénéfice » du client, mais qu’il « était néanmoins d’importance puisqu’il portait sur l’entretien des installations frigorifiques de l’hypermarché », qualifiées d’« installations cruciales pour une enseigne de grande distribution à vocation alimentaire ».
Cette approche témoigne d’une conception fonctionnelle de la relation commerciale établie, où l’importance du partenariat s’apprécie non seulement en termes de flux financiers mais également au regard de son caractère stratégique pour l’activité du partenaire. La jurisprudence antérieure avait déjà admis qu’un simple courant d’affaires pouvait suffire à caractériser une telle relation. La présente décision confirme que l’absence de chiffre d’affaires généré par la relation au profit de l’une des parties n’exclut pas la qualification de relation commerciale établie lorsque la prestation fournie revêt un caractère essentiel.
Cette solution s’inscrit dans la finalité protectrice du texte, qui vise à sanctionner non la rupture elle-même mais son caractère brutal, c’est-à-dire l’insuffisance du délai laissé au partenaire pour se réorganiser.
B. L’imputabilité de la rupture et l’insuffisance du préavis
La cour examine ensuite les motifs invoqués par le prestataire pour justifier la rupture sans préavis. Elle rappelle que « la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales » et précise que « la faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat ».
S’agissant du non-paiement de factures invoqué par le prestataire, la cour relève que les factures litigieuses « mentionnaient un délai de paiement expirant le 15 novembre 2019, soit le lendemain de la notification de la rupture », de sorte qu’« elles n’ont pu matériellement causer et justifier cette dernière ». Ce grief est écarté comme « infondé ».
Concernant la prétendue violation de l’exclusivité contractuelle, la cour procède à une interprétation stricte du périmètre du contrat. Elle observe que le client avait confié à un tiers « non l’entretien, la réparation, le contrôle ou le dépannage d’une installation, mais le remplacement de 15 évaporateurs ». Or, « leur changement n’entrait pas dans le champ contractuel, peu important que [le prestataire] ait pu le proposer ». La cour ajoute que l’offre de remplacement formulée par le prestataire « n’était pas juridiquement causée par le contrat » mais tendait au contraire « à rendre son intervention moins fréquente et l’exécution du contrat moins onéreuse ».
Cette analyse, fondée sur la distinction entre l’entretien courant relevant du contrat et les travaux de remplacement d’équipements qui en sont exclus, conduit la cour à conclure que « la SAS CEF Nord ne démontre aucune faute grave imputable » au client « au sens de l’article L 442-1 II du code de commerce ».
Le préavis de trois mois est jugé suffisant au regard de « l’ancienneté des relations » et de « l’importance du partenariat », mais également de « l’absence de tout élément sur la structure du marché pertinent et sur ses difficultés éventuelles à trouver un prestataire équivalent à bref délai ». La cour relève que l’existence de telles difficultés est « rendue peu vraisemblable par la négociation d’un contrat d’entretien avec [un autre prestataire] dès le mois de mai 2019 ». La brutalité de la rupture est caractérisée par l’octroi d’un préavis de deux semaines seulement alors que le délai suffisant était de trois mois.
II. L’appréciation restrictive du préjudice indemnisable
Malgré la reconnaissance de la rupture brutale, la cour rejette l’intégralité des demandes indemnitaires, en adoptant une conception rigoureuse tant du préjudice résultant de la brutalité de la rupture (A) que du préjudice fondé sur la responsabilité contractuelle (B).
A. Le rejet des préjudices liés à la rupture brutale
La cour rappelle la méthode d’évaluation du préjudice résultant de la rupture brutale. Elle énonce que ce préjudice « est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée et les charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture ». Elle précise que ce préjudice « s’évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures ».
En l’espèce, « la relation ne lui ayant pas permis de générer un chiffre d’affaires quelconque », le client « ne présente aucune demande au titre de son gain manqué ». Il invoquait en revanche « une perte subie résidant dans le surcoût constitué de la différence entre le prix des prestations réalisées en urgence » par le nouveau prestataire et celui facturé par l’ancien.
La cour rejette cette prétention pour deux motifs. D’une part, « l’urgence dans la négociation est significativement tempérée par le fait qu’elle a été entamée près de six mois avant la notification de la rupture ». D’autre part, le contrat opposé « comporte de nombreuses prestations non prévues au contrat conclu avec [l’ancien prestataire] ou plus étendues que celles-ci ». La cour en déduit que « faute de prestations comparables, le principe même du surcoût n’est pas démontré ».
S’agissant du préjudice de désorganisation, la cour relève que le client « ne fournit pas le moindre élément en prouvant la réalité et en explicitant la nature exacte » du préjudice allégué. Elle refuse ainsi d’indemniser un préjudice dont le principe même n’est pas établi.
Cette rigueur probatoire s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant que la victime démontre la réalité et l’étendue de son préjudice. La décision illustre la difficulté pour le créancier de prestations à caractériser un préjudice économique lorsque la relation ne génère pas de chiffre d’affaires en sa faveur.
B. Le rejet des demandes fondées sur la responsabilité contractuelle
La cour examine également les demandes indemnitaires fondées sur les prétendus manquements contractuels du prestataire. Elle rappelle les dispositions des articles 1103 et 1231-1 du code civil relatives à la force obligatoire du contrat et à la réparation du préjudice causé par l’inexécution.
Le client produisait diverses factures émises par son nouveau prestataire entre décembre 2019 et février 2020. La cour observe toutefois que « rien ne permet de rattacher les prestations ultérieurement facturées, dont les objets sont divers et ne se résument pas à des réparations ou à des visites d’entretien, à des carences » de l’ancien prestataire. Elle relève au surplus que ce dernier « avait effectué en juin 2019 l’intégralité des actions correctrices préconisées par l’auditeur mandaté » par le client.
S’agissant du second poste de préjudice évalué forfaitairement, la cour le rejette au motif qu’il est « contraire au principe de la réparation intégrale » et que le client « ne démontre pas les défaillances qu’elle invoque sans les identifier clairement ». Elle ajoute que le client « a elle-même tardé à procéder au remplacement des évaporateurs préconisé par son partenaire en décembre 2017 », de sorte que « la multiplication [des fuites et alarmes] n’était pas imputable » au prestataire.
La cour admet certes que le prestataire a tardé à remplacer un bac à condensat et à installer des détecteurs de niveaux intelligents. Toutefois, elle considère que ces retards n’ont causé aucun préjudice démontré, le client ayant lui-même « occulté la nécessité de doter ses installations d’un tel dispositif soulignée par son partenaire dès le mois de décembre 2017 ».
Cette solution confirme l’exigence d’un lien de causalité direct entre la faute contractuelle et le préjudice allégué. Elle rappelle également que le comportement du créancier peut atténuer, voire neutraliser, la responsabilité du débiteur lorsqu’il a contribué à la réalisation du dommage.
La décision présente un intérêt doctrinal certain en ce qu’elle illustre le décalage pouvant exister entre la reconnaissance d’une faute et l’indemnisation effective du préjudice. La qualification de rupture brutale, si elle emporte en principe une obligation de réparation, demeure subordonnée à la démonstration d’un préjudice certain, direct et personnel. L’arrêt rappelle que cette exigence probatoire s’impose avec une particulière rigueur lorsque la victime ne génère pas de chiffre d’affaires dans le cadre de la relation rompue.
Par arrêt du 18 juin 2025, la cour d’appel de Paris a statué sur un litige opposant deux sociétés commerciales dans le cadre de la rupture de leurs relations d’affaires. Cette décision, rendue par le pôle 5 chambre 4, illustre l’articulation délicate entre la liberté contractuelle et la protection contre les ruptures brutales de relations commerciales établies.
Une société exploitant un hypermarché sous enseigne de grande distribution avait confié en 2004 à une société spécialisée en génie climatique et frigorifique le remplacement complet de ses équipements frigorifiques. Les parties concluaient ensuite, le 28 juin 2005, un contrat d’entretien et de réparation des installations frigorifiques, modifié par avenant du 28 mai 2012. Ce contrat stipulait une clause d’exclusivité au profit du prestataire ainsi qu’une faculté de résiliation unilatérale moyennant un préavis de trois mois. À la suite de fuites récurrentes constatées durant l’été 2018, le client missionna un auditeur externe en mai 2019. En novembre 2019, le client confia à un tiers le remplacement de 15 évaporateurs. Par courrier du 14 novembre 2019, le prestataire notifiait la rupture du contrat pour le 30 novembre suivant, invoquant la violation de son exclusivité.
Le tribunal de commerce de Lille, par jugement du 17 juin 2021, avait débouté le client de ses demandes indemnitaires, estimant que la rupture lui était exclusivement imputable et n’était pas brutale. Le client relevait appel de cette décision.
Devant la cour, le client soutenait que le préavis contractuel de trois mois était insuffisant au regard de la durée des relations, qu’aucune faute ne lui était imputable puisque le remplacement des évaporateurs n’entrait pas dans le champ contractuel, et qu’il avait subi un préjudice financier ainsi qu’un préjudice de désorganisation. Le prestataire répliquait que le client avait violé son exclusivité en confiant cette prestation à un tiers, qu’il existait un impayé, et que les préjudices allégués n’étaient pas démontrés.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si la rupture des relations commerciales établies était imputable au prestataire et, dans l’affirmative, si elle revêtait un caractère brutal au sens de l’article L 442-1 II du code de commerce. Subsidiairement, la cour devait apprécier l’existence et l’étendue des préjudices allégués.
La cour d’appel de Paris infirme partiellement le jugement. Elle retient que le prestataire a rompu brutalement les relations commerciales établies, mais rejette l’intégralité des demandes indemnitaires du client faute de preuve des préjudices allégués.
Cette décision mérite analyse tant au regard de la caractérisation de la rupture brutale des relations commerciales établies (I) que de l’appréciation restrictive du préjudice indemnisable (II).
I. La caractérisation de la rupture brutale des relations commerciales établies
La cour procède à une analyse méthodique des conditions d’application de l’article L 442-1 II du code de commerce, en précisant d’abord les contours de la relation commerciale établie (A), avant d’examiner l’imputabilité de la rupture et l’insuffisance du préavis accordé (B).
A. La qualification de relation commerciale établie
La cour rappelle que la relation commerciale établie constitue « une notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat » et « n’est soumise à aucun formalisme ». Elle précise que cette relation « est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial ».
En l’espèce, l’existence d’une relation commerciale établie d’une durée de près de quinze ans n’était pas contestée. La cour souligne toutefois que « le partenariat ne générait aucun chiffre d’affaires au bénéfice » du client, mais qu’il « était néanmoins d’importance puisqu’il portait sur l’entretien des installations frigorifiques de l’hypermarché », qualifiées d’« installations cruciales pour une enseigne de grande distribution à vocation alimentaire ».
Cette approche témoigne d’une conception fonctionnelle de la relation commerciale établie, où l’importance du partenariat s’apprécie non seulement en termes de flux financiers mais également au regard de son caractère stratégique pour l’activité du partenaire. La jurisprudence antérieure avait déjà admis qu’un simple courant d’affaires pouvait suffire à caractériser une telle relation. La présente décision confirme que l’absence de chiffre d’affaires généré par la relation au profit de l’une des parties n’exclut pas la qualification de relation commerciale établie lorsque la prestation fournie revêt un caractère essentiel.
Cette solution s’inscrit dans la finalité protectrice du texte, qui vise à sanctionner non la rupture elle-même mais son caractère brutal, c’est-à-dire l’insuffisance du délai laissé au partenaire pour se réorganiser.
B. L’imputabilité de la rupture et l’insuffisance du préavis
La cour examine ensuite les motifs invoqués par le prestataire pour justifier la rupture sans préavis. Elle rappelle que « la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales » et précise que « la faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat ».
S’agissant du non-paiement de factures invoqué par le prestataire, la cour relève que les factures litigieuses « mentionnaient un délai de paiement expirant le 15 novembre 2019, soit le lendemain de la notification de la rupture », de sorte qu’« elles n’ont pu matériellement causer et justifier cette dernière ». Ce grief est écarté comme « infondé ».
Concernant la prétendue violation de l’exclusivité contractuelle, la cour procède à une interprétation stricte du périmètre du contrat. Elle observe que le client avait confié à un tiers « non l’entretien, la réparation, le contrôle ou le dépannage d’une installation, mais le remplacement de 15 évaporateurs ». Or, « leur changement n’entrait pas dans le champ contractuel, peu important que [le prestataire] ait pu le proposer ». La cour ajoute que l’offre de remplacement formulée par le prestataire « n’était pas juridiquement causée par le contrat » mais tendait au contraire « à rendre son intervention moins fréquente et l’exécution du contrat moins onéreuse ».
Cette analyse, fondée sur la distinction entre l’entretien courant relevant du contrat et les travaux de remplacement d’équipements qui en sont exclus, conduit la cour à conclure que « la SAS CEF Nord ne démontre aucune faute grave imputable » au client « au sens de l’article L 442-1 II du code de commerce ».
Le préavis de trois mois est jugé suffisant au regard de « l’ancienneté des relations » et de « l’importance du partenariat », mais également de « l’absence de tout élément sur la structure du marché pertinent et sur ses difficultés éventuelles à trouver un prestataire équivalent à bref délai ». La cour relève que l’existence de telles difficultés est « rendue peu vraisemblable par la négociation d’un contrat d’entretien avec [un autre prestataire] dès le mois de mai 2019 ». La brutalité de la rupture est caractérisée par l’octroi d’un préavis de deux semaines seulement alors que le délai suffisant était de trois mois.
II. L’appréciation restrictive du préjudice indemnisable
Malgré la reconnaissance de la rupture brutale, la cour rejette l’intégralité des demandes indemnitaires, en adoptant une conception rigoureuse tant du préjudice résultant de la brutalité de la rupture (A) que du préjudice fondé sur la responsabilité contractuelle (B).
A. Le rejet des préjudices liés à la rupture brutale
La cour rappelle la méthode d’évaluation du préjudice résultant de la rupture brutale. Elle énonce que ce préjudice « est habituellement constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée et les charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture ». Elle précise que ce préjudice « s’évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures ».
En l’espèce, « la relation ne lui ayant pas permis de générer un chiffre d’affaires quelconque », le client « ne présente aucune demande au titre de son gain manqué ». Il invoquait en revanche « une perte subie résidant dans le surcoût constitué de la différence entre le prix des prestations réalisées en urgence » par le nouveau prestataire et celui facturé par l’ancien.
La cour rejette cette prétention pour deux motifs. D’une part, « l’urgence dans la négociation est significativement tempérée par le fait qu’elle a été entamée près de six mois avant la notification de la rupture ». D’autre part, le contrat opposé « comporte de nombreuses prestations non prévues au contrat conclu avec [l’ancien prestataire] ou plus étendues que celles-ci ». La cour en déduit que « faute de prestations comparables, le principe même du surcoût n’est pas démontré ».
S’agissant du préjudice de désorganisation, la cour relève que le client « ne fournit pas le moindre élément en prouvant la réalité et en explicitant la nature exacte » du préjudice allégué. Elle refuse ainsi d’indemniser un préjudice dont le principe même n’est pas établi.
Cette rigueur probatoire s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant que la victime démontre la réalité et l’étendue de son préjudice. La décision illustre la difficulté pour le créancier de prestations à caractériser un préjudice économique lorsque la relation ne génère pas de chiffre d’affaires en sa faveur.
B. Le rejet des demandes fondées sur la responsabilité contractuelle
La cour examine également les demandes indemnitaires fondées sur les prétendus manquements contractuels du prestataire. Elle rappelle les dispositions des articles 1103 et 1231-1 du code civil relatives à la force obligatoire du contrat et à la réparation du préjudice causé par l’inexécution.
Le client produisait diverses factures émises par son nouveau prestataire entre décembre 2019 et février 2020. La cour observe toutefois que « rien ne permet de rattacher les prestations ultérieurement facturées, dont les objets sont divers et ne se résument pas à des réparations ou à des visites d’entretien, à des carences » de l’ancien prestataire. Elle relève au surplus que ce dernier « avait effectué en juin 2019 l’intégralité des actions correctrices préconisées par l’auditeur mandaté » par le client.
S’agissant du second poste de préjudice évalué forfaitairement, la cour le rejette au motif qu’il est « contraire au principe de la réparation intégrale » et que le client « ne démontre pas les défaillances qu’elle invoque sans les identifier clairement ». Elle ajoute que le client « a elle-même tardé à procéder au remplacement des évaporateurs préconisé par son partenaire en décembre 2017 », de sorte que « la multiplication [des fuites et alarmes] n’était pas imputable » au prestataire.
La cour admet certes que le prestataire a tardé à remplacer un bac à condensat et à installer des détecteurs de niveaux intelligents. Toutefois, elle considère que ces retards n’ont causé aucun préjudice démontré, le client ayant lui-même « occulté la nécessité de doter ses installations d’un tel dispositif soulignée par son partenaire dès le mois de décembre 2017 ».
Cette solution confirme l’exigence d’un lien de causalité direct entre la faute contractuelle et le préjudice allégué. Elle rappelle également que le comportement du créancier peut atténuer, voire neutraliser, la responsabilité du débiteur lorsqu’il a contribué à la réalisation du dommage.
La décision présente un intérêt doctrinal certain en ce qu’elle illustre le décalage pouvant exister entre la reconnaissance d’une faute et l’indemnisation effective du préjudice. La qualification de rupture brutale, si elle emporte en principe une obligation de réparation, demeure subordonnée à la démonstration d’un préjudice certain, direct et personnel. L’arrêt rappelle que cette exigence probatoire s’impose avec une particulière rigueur lorsque la victime ne génère pas de chiffre d’affaires dans le cadre de la relation rompue.