Cour d’appel de Lyon, le 3 juillet 2025, n°24/01259

La copropriété immobilière, institution juridique encadrant la gestion collective des immeubles divisés, soulève régulièrement des difficultés procédurales tenant à l’identification des syndicats de copropriétaires. La Cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 3 juillet 2025, apporte un éclairage sur la qualification des irrégularités affectant la désignation du syndicat assigné.

En l’espèce, un immeuble situé à Lyon faisait l’objet de deux règlements de copropriété distincts, établis respectivement le 12 avril 1933 et le 8 juillet 1982. Cinq copropriétaires ont assigné le syndicat des copropriétaires de l’immeuble, sans autre précision, aux fins d’annulation de résolutions adoptées lors d’une assemblée générale tenue le 16 décembre 2021. Le syndicat des copropriétaires, par voie d’incident, a soulevé la nullité de l’assignation, subsidiairement son irrecevabilité, au motif que le syndicat désigné n’existerait pas juridiquement. Le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Lyon, par ordonnance du 22 janvier 2024, a rejeté l’exception de nullité et la fin de non-recevoir. Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel de cette décision.

Devant la cour d’appel, l’appelant soutenait que l’assignation était atteinte d’une nullité de fond, le syndicat assigné étant inexistant dès lors qu’il existe en réalité deux syndicats distincts correspondant aux deux règlements de copropriété. Il faisait valoir que cette entité inexistante ne disposait d’aucune capacité juridique ni d’aucun représentant légal.

La question posée à la cour était de savoir si l’imprécision affectant la dénomination d’un syndicat des copropriétaires dans un acte introductif d’instance constitue une irrégularité de fond pour défaut de capacité à ester en justice ou un simple vice de forme.

La Cour d’appel de Lyon confirme l’ordonnance entreprise. Elle juge que « l’erreur ou l’imprécision relative à la dénomination d’une partie n’affecte pas la capacité à ester en justice qui est attachée à la personne, quelle que soit sa désignation, et ne constitue qu’un vice de forme ». Elle retient que l’imprécision affectant la désignation du syndicat assigné, dès lors qu’elle « ne met pas en cause son existence », constitue un vice de forme dont la sanction suppose la preuve d’un grief.

Cette décision appelle un commentaire relatif à la qualification de l’irrégularité affectant la dénomination d’une partie (I), puis à l’appréciation concrète du grief dans le contentieux de la copropriété (II).

I. La qualification de l’irrégularité affectant la dénomination d’une partie

La cour opère une distinction entre l’irrégularité de fond et le vice de forme (A), avant de rattacher l’imprécision de dénomination à cette seconde catégorie (B).

A. La distinction entre irrégularité de fond et vice de forme

La cour rappelle le principe posé par l’article 117 du Code de procédure civile selon lequel « le défaut de capacité d’ester en justice constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l’acte ». Cette disposition vise les hypothèses dans lesquelles une partie est juridiquement privée du droit d’agir en justice, soit en raison de son incapacité personnelle, soit en raison de son inexistence juridique. L’irrégularité de fond présente un caractère absolu. Elle peut être soulevée en tout état de cause et sa sanction ne requiert pas la démonstration d’un grief particulier.

Le vice de forme obéit à un régime distinct. L’article 114 du Code de procédure civile subordonne la nullité pour vice de forme à la double condition que l’irrégularité soit expressément prévue par la loi et que celui qui l’invoque justifie d’un grief. Cette exigence traduit une conception finaliste de la procédure. La nullité ne sanctionne pas la méconnaissance abstraite d’une règle formelle mais l’atteinte effective aux droits d’une partie.

La distinction revêt une importance pratique considérable. L’appelant entendait se prévaloir du régime de l’irrégularité de fond pour échapper à l’exigence de preuve du grief. Il soutenait que le syndicat désigné dans l’assignation constituait une entité juridiquement inexistante, dépourvue de toute capacité et de tout représentant.

B. Le rattachement de l’imprécision de dénomination au vice de forme

La cour rejette cette analyse. Elle énonce que « l’erreur ou l’imprécision relative à la dénomination d’une partie n’affecte pas la capacité à ester en justice qui est attachée à la personne, quelle que soit sa désignation ». Cette formulation mérite attention. La capacité d’ester en justice constitue un attribut attaché à la personne juridique elle-même, non à sa dénomination. Une erreur de désignation n’a pas pour effet de priver la partie réelle de son aptitude à agir ou à défendre en justice.

La cour précise que « l’imprécision affectant la désignation d’un syndicat des copropriétaires assigné en annulation d’une assemblée générale, qui ne met pas en cause son existence, constitue donc un vice de forme ». Cette motivation introduit un critère déterminant tenant à la mise en cause de l’existence même de la personne juridique. Lorsque l’irrégularité se limite à une erreur ou une imprécision dans la désignation d’une entité dont l’existence n’est pas contestée, seul le régime du vice de forme trouve à s’appliquer.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de faire de l’erreur de dénomination une cause de nullité de fond. Elle préserve l’accès au juge en évitant que des irrégularités purement formelles ne fassent obstacle à l’examen du litige au fond.

II. L’appréciation concrète du grief dans le contentieux de la copropriété

La cour procède à une analyse circonstanciée des éléments d’identification (A), avant de conclure à l’absence de grief (B).

A. Les éléments d’identification du syndicat assigné

La cour examine les circonstances de l’espèce pour déterminer si les deux syndicats étaient suffisamment identifiés malgré l’imprécision de l’assignation. Elle relève que « dès lors que l’assignation aux fins d’annulation vise dans son dispositif d’une part les résolutions n°11 et 15 de l’assemblée générale qui s’est tenue le 16 décembre 2021 selon le règlement de copropriété de 1933, d’autre part la résolution n°12 de l’assemblée générale qui s’est tenue le 16 décembre 2021 selon le règlement de copropriété de 1982, les deux syndicats sont bien identifiés ».

Cette analyse révèle une approche pragmatique de l’identification des parties. La cour ne s’arrête pas à l’intitulé de l’assignation. Elle examine le contenu de l’acte pour vérifier si les destinataires réels pouvaient être déterminés avec certitude. La mention des résolutions contestées, avec leur rattachement à chacun des deux règlements de copropriété, permettait d’identifier sans ambiguïté les deux syndicats concernés par l’action.

La cour observe également que la dénomination employée était « couramment utilisée », comme en attestent plusieurs arrêts antérieurs de la même juridiction ainsi qu’un procès-verbal de constat établi à la demande du syndicat lui-même. Cette constatation affaiblit la thèse de l’inexistence du syndicat désigné. Une entité régulièrement mentionnée dans des décisions de justice et des actes officiels ne saurait être considérée comme juridiquement inexistante.

B. L’absence de grief caractérisé

La cour conclut qu’« il ne peut donc être soutenu, ni que le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [à cette adresse] n’aurait aucune existence juridique, alors que l’irrégularité invoquée ne pourrait constituer qu’une erreur de dénomination, ni que cette erreur de dénomination a causé un grief aux deux syndicats des copropriétaires concernés par l’action en annulation ».

L’absence de grief résulte de plusieurs éléments. Les deux syndicats étaient représentés par le même syndic. L’assignation leur avait été régulièrement délivrée. Le contenu de l’acte permettait d’identifier les résolutions contestées et leur rattachement à chaque règlement de copropriété. Dans ces conditions, l’imprécision formelle n’a pas porté atteinte aux droits de la défense ni entravé l’exercice du droit d’agir des syndicats.

Cette solution présente une portée significative pour le contentieux de la copropriété. Elle évite qu’une organisation complexe, avec plusieurs règlements de copropriété au sein d’un même immeuble, ne devienne un obstacle procédural insurmontable. La cour privilégie l’examen au fond du litige sur les demandes d’annulation des résolutions d’assemblée générale. Elle rappelle que les règles de procédure ont pour finalité d’assurer une bonne administration de la justice, non de multiplier les fins de non-recevoir purement formelles.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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