Cour d’appel de Limoges, le 3 juillet 2025, n°24/00464
La question de la preuve du compte courant d’associé débiteur et de ses conditions de validité constitue un enjeu récurrent du droit des sociétés. Par un arrêt du 3 juillet 2025, la chambre économique et sociale de la cour d’appel de Limoges a eu l’occasion de préciser les exigences probatoires pesant sur la société créancière.
Une société à responsabilité limitée exploitant une activité de restauration rapide comptait trois associés, dont l’un détenait vingt pour cent des parts sociales et exerçait les fonctions de gérant depuis août 2020. En février 2023, un nouvel associé a été nommé gérant. Des carences dans la gestion antérieure ont alors été relevées. L’ancien gérant a été licencié pour faute grave en mars 2023, la société lui reprochant l’absence d’encaissement bancaire d’une somme de plus de soixante-deux mille euros et son absence à son poste. En octobre 2023, le bilan comptable de l’exercice 2022 a fait apparaître un compte courant d’associé débiteur de plus de soixante-quinze mille euros au nom de l’ancien gérant.
La société a assigné son ancien gérant devant le tribunal de commerce de Limoges aux fins d’obtenir le remboursement de cette somme. Celui-ci ne s’est pas présenté à l’instance. Par jugement réputé contradictoire du 22 mai 2024, le tribunal a déclaré la demande irrecevable et débouté la société de l’ensemble de ses prétentions. La société a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour d’appel, la société appelante soutenait que l’intimé devait être condamné à rembourser la somme figurant sur son compte courant d’associé débiteur, en violation de l’interdiction légale faite aux personnes physiques de disposer d’un tel compte. Elle faisait valoir que l’intéressé, régulièrement convoqué à l’assemblée générale ayant arrêté les comptes, n’avait pas contesté leur validité. L’intimé, défaillant, n’a pas constitué avocat en cause d’appel.
La question posée à la cour était de savoir si une inscription comptable en compte courant d’associé, non corroborée par des justificatifs de mouvements de fonds individualisés et contestée par d’importantes réserves de l’expert-comptable, suffit à établir l’existence d’une créance de la société contre l’associé concerné.
La cour d’appel de Limoges a confirmé le jugement de première instance et débouté la société de ses demandes. Elle a retenu que les pièces versées aux débats ne permettaient pas de démontrer que l’intimé était titulaire d’un compte courant débiteur du montant réclamé.
L’arrêt illustre les exigences strictes en matière de preuve du compte courant d’associé débiteur (I), tout en soulevant la question de la qualification juridique des sommes détournées et de leur traitement comptable (II).
I. L’insuffisance probatoire de la simple inscription comptable
La cour d’appel rappelle que la créance alléguée doit être établie par des éléments probants individualisés (A), ce que le silence de l’associé mis en cause ne saurait pallier (B).
A. L’exigence d’une démonstration des mouvements de fonds individualisés
La cour relève que « le montant de 75.080 euros reste inexpliqué et ne résulte d’aucune pièce démontrant un mouvement de fonds de la société vers » l’associé concerné. Elle constate également que « le montant apparaît sur une ligne comptable qui ne précise pas le nom de(s) associé(s) titulaire(s) du compte ». Cette motivation souligne l’exigence d’une traçabilité précise des flux financiers entre la société et chacun de ses associés.
Le compte courant d’associé constitue, en principe, un instrument de crédit consenti par l’associé à la société. Son solde résulte de l’ensemble des opérations réciproques intervenues entre les parties. La reconnaissance d’une créance de la société suppose donc que les sommes inscrites au débit correspondent à des versements effectivement réalisés au profit de l’associé. La cour sanctionne ici l’absence de cette démonstration élémentaire.
La discordance entre le montant réclamé et les sommes identifiées par l’expert-comptable renforce cette analyse. Le rapport comptable évoquait des espèces non déposées pour un montant de cinquante-neuf mille euros environ, dont une partie avait été traitée en charges exceptionnelles pour vol. Cette incohérence chiffrée prive le compte courant allégué de toute vraisemblance.
B. L’inopérance du silence de l’associé défaillant
La cour précise que « son silence face aux mises en demeure et convocations ne valant pas reconnaissance de dette ». Cette affirmation rappelle un principe fondamental du droit des obligations. Le silence ne vaut pas acceptation, sauf circonstances particulières que l’arrêt n’identifie pas en l’espèce.
L’associé défaillant n’a pas retiré la convocation à l’assemblée générale. Il ne s’est présenté ni à cette assemblée ni aux instances judiciaires successives. Pourtant, la cour refuse de tirer de cette inertie une quelconque présomption d’acquiescement aux prétentions de la société. Cette position s’inscrit dans une conception rigoureuse de la charge de la preuve, qui pèse intégralement sur le demandeur.
La confirmation du jugement de première instance démontre que même face à un défendeur défaillant, la juridiction conserve son office de contrôle de la recevabilité et du bien-fondé des demandes. L’article 472 du code de procédure civile impose en effet au juge de ne faire droit aux prétentions du demandeur que dans la mesure où il les estime régulières et fondées.
II. La critique du traitement comptable des détournements allégués
Au-delà de l’insuffisance probatoire, la cour formule une critique substantielle quant à l’utilisation du compte courant d’associé pour comptabiliser le produit d’un détournement (A), critique renforcée par l’absence de poursuites pénales (B).
A. L’inadéquation du compte courant d’associé à la comptabilisation d’un abus de confiance
La cour énonce que « le simple fait d’inscrire en compte courant débiteur le produit d’un abus de confiance apparaît très critiquable, telle n’étant pas la vocation de cette écriture comptable ». Cette observation touche à la nature même du compte courant d’associé et à ses conditions d’utilisation.
Le compte courant d’associé enregistre les flux financiers licites entre la société et ses associés. Il suppose un accord, au moins tacite, sur les avances consenties ou les sommes prélevées. Utiliser ce mécanisme pour comptabiliser des détournements frauduleux revient à dénaturer sa fonction. Le compte courant doit refléter des mouvements « imputables avec certitude à l’un ou l’autre des associés, avec le justificatif y afférent ».
Cette analyse rejoint la prohibition légale du compte courant débiteur pour les personnes physiques dans les sociétés à responsabilité limitée. L’article L. 223-21 du code de commerce interdit aux associés personnes physiques de se faire consentir un découvert en compte courant. Or, comptabiliser un détournement présumé en compte courant débiteur reviendrait à contourner cette interdiction en créant artificiellement une créance sociale.
B. L’absence de plainte pénale comme indice de fragilité des allégations
La cour relève que « malgré l’importance du détournement allégué, il n’est justifié d’aucune plainte contre » l’associé mis en cause. Elle ajoute que son audition « aurait pu au minimum permettre de comprendre le mécanisme effectif des dépôts d’espèces au sein de la société ainsi que ses explications sur les détournements qui lui sont imputés ».
Cette observation révèle une contradiction dans l’attitude de la société. Celle-ci impute à son ancien gérant des faits susceptibles de constituer un abus de confiance, infraction pénale passible de trois ans d’emprisonnement et de trois cent soixante-quinze mille euros d’amende. Elle se contente pourtant d’une action civile en remboursement sans engager de poursuites pénales.
L’absence de plainte prive la société d’éléments de preuve que l’enquête pénale aurait pu apporter. Elle suggère également une certaine fragilité des accusations portées. La cour tire de cette carence un indice supplémentaire de l’insuffisance du dossier présenté. La portée de cette décision réside dans le rappel que la qualification pénale des faits allégués ne dispense pas la société de rapporter, au plan civil, la preuve rigoureuse de sa créance selon les règles du droit des obligations.
La question de la preuve du compte courant d’associé débiteur et de ses conditions de validité constitue un enjeu récurrent du droit des sociétés. Par un arrêt du 3 juillet 2025, la chambre économique et sociale de la cour d’appel de Limoges a eu l’occasion de préciser les exigences probatoires pesant sur la société créancière.
Une société à responsabilité limitée exploitant une activité de restauration rapide comptait trois associés, dont l’un détenait vingt pour cent des parts sociales et exerçait les fonctions de gérant depuis août 2020. En février 2023, un nouvel associé a été nommé gérant. Des carences dans la gestion antérieure ont alors été relevées. L’ancien gérant a été licencié pour faute grave en mars 2023, la société lui reprochant l’absence d’encaissement bancaire d’une somme de plus de soixante-deux mille euros et son absence à son poste. En octobre 2023, le bilan comptable de l’exercice 2022 a fait apparaître un compte courant d’associé débiteur de plus de soixante-quinze mille euros au nom de l’ancien gérant.
La société a assigné son ancien gérant devant le tribunal de commerce de Limoges aux fins d’obtenir le remboursement de cette somme. Celui-ci ne s’est pas présenté à l’instance. Par jugement réputé contradictoire du 22 mai 2024, le tribunal a déclaré la demande irrecevable et débouté la société de l’ensemble de ses prétentions. La société a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour d’appel, la société appelante soutenait que l’intimé devait être condamné à rembourser la somme figurant sur son compte courant d’associé débiteur, en violation de l’interdiction légale faite aux personnes physiques de disposer d’un tel compte. Elle faisait valoir que l’intéressé, régulièrement convoqué à l’assemblée générale ayant arrêté les comptes, n’avait pas contesté leur validité. L’intimé, défaillant, n’a pas constitué avocat en cause d’appel.
La question posée à la cour était de savoir si une inscription comptable en compte courant d’associé, non corroborée par des justificatifs de mouvements de fonds individualisés et contestée par d’importantes réserves de l’expert-comptable, suffit à établir l’existence d’une créance de la société contre l’associé concerné.
La cour d’appel de Limoges a confirmé le jugement de première instance et débouté la société de ses demandes. Elle a retenu que les pièces versées aux débats ne permettaient pas de démontrer que l’intimé était titulaire d’un compte courant débiteur du montant réclamé.
L’arrêt illustre les exigences strictes en matière de preuve du compte courant d’associé débiteur (I), tout en soulevant la question de la qualification juridique des sommes détournées et de leur traitement comptable (II).
I. L’insuffisance probatoire de la simple inscription comptable
La cour d’appel rappelle que la créance alléguée doit être établie par des éléments probants individualisés (A), ce que le silence de l’associé mis en cause ne saurait pallier (B).
A. L’exigence d’une démonstration des mouvements de fonds individualisés
La cour relève que « le montant de 75.080 euros reste inexpliqué et ne résulte d’aucune pièce démontrant un mouvement de fonds de la société vers » l’associé concerné. Elle constate également que « le montant apparaît sur une ligne comptable qui ne précise pas le nom de(s) associé(s) titulaire(s) du compte ». Cette motivation souligne l’exigence d’une traçabilité précise des flux financiers entre la société et chacun de ses associés.
Le compte courant d’associé constitue, en principe, un instrument de crédit consenti par l’associé à la société. Son solde résulte de l’ensemble des opérations réciproques intervenues entre les parties. La reconnaissance d’une créance de la société suppose donc que les sommes inscrites au débit correspondent à des versements effectivement réalisés au profit de l’associé. La cour sanctionne ici l’absence de cette démonstration élémentaire.
La discordance entre le montant réclamé et les sommes identifiées par l’expert-comptable renforce cette analyse. Le rapport comptable évoquait des espèces non déposées pour un montant de cinquante-neuf mille euros environ, dont une partie avait été traitée en charges exceptionnelles pour vol. Cette incohérence chiffrée prive le compte courant allégué de toute vraisemblance.
B. L’inopérance du silence de l’associé défaillant
La cour précise que « son silence face aux mises en demeure et convocations ne valant pas reconnaissance de dette ». Cette affirmation rappelle un principe fondamental du droit des obligations. Le silence ne vaut pas acceptation, sauf circonstances particulières que l’arrêt n’identifie pas en l’espèce.
L’associé défaillant n’a pas retiré la convocation à l’assemblée générale. Il ne s’est présenté ni à cette assemblée ni aux instances judiciaires successives. Pourtant, la cour refuse de tirer de cette inertie une quelconque présomption d’acquiescement aux prétentions de la société. Cette position s’inscrit dans une conception rigoureuse de la charge de la preuve, qui pèse intégralement sur le demandeur.
La confirmation du jugement de première instance démontre que même face à un défendeur défaillant, la juridiction conserve son office de contrôle de la recevabilité et du bien-fondé des demandes. L’article 472 du code de procédure civile impose en effet au juge de ne faire droit aux prétentions du demandeur que dans la mesure où il les estime régulières et fondées.
II. La critique du traitement comptable des détournements allégués
Au-delà de l’insuffisance probatoire, la cour formule une critique substantielle quant à l’utilisation du compte courant d’associé pour comptabiliser le produit d’un détournement (A), critique renforcée par l’absence de poursuites pénales (B).
A. L’inadéquation du compte courant d’associé à la comptabilisation d’un abus de confiance
La cour énonce que « le simple fait d’inscrire en compte courant débiteur le produit d’un abus de confiance apparaît très critiquable, telle n’étant pas la vocation de cette écriture comptable ». Cette observation touche à la nature même du compte courant d’associé et à ses conditions d’utilisation.
Le compte courant d’associé enregistre les flux financiers licites entre la société et ses associés. Il suppose un accord, au moins tacite, sur les avances consenties ou les sommes prélevées. Utiliser ce mécanisme pour comptabiliser des détournements frauduleux revient à dénaturer sa fonction. Le compte courant doit refléter des mouvements « imputables avec certitude à l’un ou l’autre des associés, avec le justificatif y afférent ».
Cette analyse rejoint la prohibition légale du compte courant débiteur pour les personnes physiques dans les sociétés à responsabilité limitée. L’article L. 223-21 du code de commerce interdit aux associés personnes physiques de se faire consentir un découvert en compte courant. Or, comptabiliser un détournement présumé en compte courant débiteur reviendrait à contourner cette interdiction en créant artificiellement une créance sociale.
B. L’absence de plainte pénale comme indice de fragilité des allégations
La cour relève que « malgré l’importance du détournement allégué, il n’est justifié d’aucune plainte contre » l’associé mis en cause. Elle ajoute que son audition « aurait pu au minimum permettre de comprendre le mécanisme effectif des dépôts d’espèces au sein de la société ainsi que ses explications sur les détournements qui lui sont imputés ».
Cette observation révèle une contradiction dans l’attitude de la société. Celle-ci impute à son ancien gérant des faits susceptibles de constituer un abus de confiance, infraction pénale passible de trois ans d’emprisonnement et de trois cent soixante-quinze mille euros d’amende. Elle se contente pourtant d’une action civile en remboursement sans engager de poursuites pénales.
L’absence de plainte prive la société d’éléments de preuve que l’enquête pénale aurait pu apporter. Elle suggère également une certaine fragilité des accusations portées. La cour tire de cette carence un indice supplémentaire de l’insuffisance du dossier présenté. La portée de cette décision réside dans le rappel que la qualification pénale des faits allégués ne dispense pas la société de rapporter, au plan civil, la preuve rigoureuse de sa créance selon les règles du droit des obligations.