Cour d’appel de Caen, le 4 septembre 2025, n°24/00677
Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Caen a statué sur un litige opposant un bailleur à son locataire dans le cadre d’un bail d’habitation. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent des impayés de loyers et soulève la question de l’articulation entre l’obligation de paiement du locataire et les exigences de décence pesant sur le bailleur.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Par acte sous signature privée du 11 mars 2014, un bailleur a consenti un bail d’habitation portant sur un immeuble moyennant un loyer mensuel de 280 euros. Aucun état des lieux d’entrée n’a été établi. À compter de cette date et jusqu’en juillet 2023, le locataire n’a formulé aucune réclamation relative à l’état du logement. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait signifier un commandement de payer le 5 juillet 2023 pour un montant de 2.513,23 euros.
Le bailleur a assigné le locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater la résiliation du bail, d’obtenir l’expulsion et la condamnation au paiement des arriérés. Par jugement réputé contradictoire du 7 février 2024, le premier juge a prononcé la résiliation du bail aux torts du locataire, ordonné son expulsion et l’a condamné à payer 3.462 euros au titre des loyers et charges impayés. Le locataire a interjeté appel. Il sollicitait l’infirmation du jugement, invoquait l’exception d’inexécution tirée du prétendu manquement du bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent, réclamait des délais de paiement et formait une demande reconventionnelle de 17.080 euros en réparation de son préjudice de jouissance.
La cour d’appel était saisie de plusieurs questions. L’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrer un logement décent peut-elle justifier le non-paiement des loyers par le locataire ? La preuve des manquements du bailleur est-elle rapportée en l’absence de toute réclamation pendant près de dix ans d’occupation ? Le locataire peut-il obtenir des délais de paiement sans justifier de sa situation financière actuelle ?
La Cour d’appel de Caen confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle déboute le locataire de ses demandes de délais de paiement et de dommages et intérêts. Elle retient qu’en l’absence d’état des lieux, les locaux sont présumés avoir été remis en bon état. Elle constate que le locataire ne justifie ni de l’absence de système de chauffage, ni des travaux qu’il prétend avoir réalisés, ni d’un manquement grave du bailleur de nature à légitimer l’exception d’inexécution.
L’arrêt mérite examen en ce qu’il illustre la rigueur probatoire imposée au locataire qui invoque l’exception d’inexécution (I), avant de préciser les conditions d’octroi des délais de paiement et de l’indemnisation du préjudice de jouissance (II).
I. L’encadrement strict de l’exception d’inexécution opposée par le locataire
La cour d’appel affirme avec netteté les exigences probatoires pesant sur le locataire (A), avant de tirer les conséquences de l’inertie prolongée de ce dernier (B).
A. L’exigence d’un manquement grave et prouvé du bailleur
Le locataire entendait justifier le non-paiement de ses loyers par l’exception d’inexécution prévue à l’article 1219 du code civil. Ce mécanisme permet à une partie de suspendre l’exécution de sa propre obligation lorsque son cocontractant n’exécute pas la sienne, à la condition que cette inexécution soit « suffisamment grave ». La cour rappelle que « la preuve de l’inexécution de l’obligation de la partie adverse est à la charge de celui qui se prévaut de l’exception d’inexécution ».
En l’espèce, le locataire alléguait que le logement était dépourvu de système de chauffage qu’il aurait dû installer à ses frais. La cour relève toutefois qu’« aucune des pièces produites par [le locataire] ne justifie ni de l’absence de système de chauffage ni des travaux et frais qu’il allègue avoir engagés à ce titre ». Cette formule souligne l’insuffisance des éléments probatoires versés aux débats. Le locataire ne produisait ni factures d’installation, ni attestations, ni devis susceptibles d’établir la réalité de ses allégations.
La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui subordonne le jeu de l’exception d’inexécution à la démonstration d’un manquement caractérisé. Le locataire ne peut se soustraire à son obligation essentielle de paiement du loyer sur le seul fondement d’affirmations non étayées.
B. La portée de l’absence d’état des lieux et du silence prolongé du locataire
La cour tire argument de deux circonstances déterminantes. D’une part, l’absence d’état des lieux d’entrée emporte application de l’article 1731 du code civil selon lequel « le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives ». Cette présomption, bien que simple, n’a pas été renversée par le locataire.
D’autre part, la cour observe que « au cours du contrat de bail, à compter de mars 2014 jusqu’au moment du litige opposant les parties, en juillet 2023, le locataire ne s’est plaint d’aucun dysfonctionnement affectant le logement litigieux ». Ce silence de près de dix années constitue un indice concordant de l’absence de manquement du bailleur à ses obligations.
La cour conforte son analyse en relevant l’existence d’un plan d’apurement sur lequel « la signature attribuée à [l’intimé] a été manifestement imitée ». Cette circonstance, qui confine à la mauvaise foi, achève de disqualifier la position du locataire.
Le raisonnement adopté témoigne d’une approche pragmatique. Le locataire qui n’a jamais contesté l’état du logement pendant la durée du bail ne saurait, au moment où il est poursuivi en paiement, invoquer opportunément des désordres pour échapper à ses obligations. La cohérence du comportement contractuel constitue ainsi un élément d’appréciation de la sincérité des griefs formulés.
II. Le rejet des demandes subsidiaires du locataire défaillant
La cour refuse d’accorder des délais de paiement au locataire qui ne justifie pas de sa situation (A) et écarte la demande d’indemnisation faute de preuve du préjudice de jouissance (B).
A. Le refus de délais de paiement en l’absence de justificatifs actualisés
Le locataire sollicitait le bénéfice des dispositions de l’article 1343-5 du code civil permettant au juge de reporter ou d’échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années. La cour rejette cette demande au motif que le débiteur « ne communique aux débats aucun document actualisé ».
La cour relève que « son dernier avis d’imposition date de 2023 pour les revenus perçus au cours de l’année 2022 » et que l’attestation de la Caisse d’allocations familiales « couvre uniquement le mois d’octobre 2023 ». Elle ajoute que « le locataire se borne à solliciter des délais de paiement sans indiquer les montants prévisionnels des versements mensuels qu’il pourrait assumer ».
Cette motivation illustre les exigences pratiques entourant les demandes de délais. Le débiteur qui sollicite un aménagement doit établir sa situation financière actuelle et proposer un échéancier réaliste. L’article 1343-5 impose au juge de tenir compte « de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier ». Cette double exigence implique une transparence du débiteur sur ses ressources et charges.
La solution retenue rappelle que les délais de paiement constituent une faveur accordée au débiteur de bonne foi qui justifie de difficultés passagères. Ils ne sauraient bénéficier à celui qui ne fournit pas les éléments permettant d’apprécier la faisabilité d’un échelonnement.
B. L’exigence de caractérisation du préjudice de jouissance
Le locataire réclamait 17.080 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice de jouissance pour la période allant de mars 2014 à mai 2024, soit 122 mois d’occupation. Il invoquait le non-respect des critères de décence définis par l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et par le décret du 30 janvier 2002.
La cour écarte cette demande après examen des pièces produites. S’agissant de la consommation énergétique, elle juge que les factures EDF « ne suffisent pas à rapporter la preuve d’une surconsommation d’énergie imputable à un éventuel défaut d’isolation ». Elle observe que le locataire ne produit « aucun rapport d’expertise ou autre élément probant permettant d’établir le défaut d’isolation des lieux loués ».
S’agissant des anomalies électriques relevées par un diagnostic, la cour adopte une approche nuancée. Elle reconnaît que le rapport fait état de défectuosités « pouvant entraîner une électrisation voire une électrocution ». Elle relève toutefois que le locataire « ne caractérise pas en quoi les non-conformités relevées par le diagnostiqueur ont affecté sa jouissance des lieux ».
Cette exigence de caractérisation du lien entre les anomalies constatées et le trouble effectif de jouissance s’inscrit dans une jurisprudence établie. La seule existence de non-conformités techniques ne suffit pas à fonder une demande indemnitaire. Le locataire doit démontrer l’incidence concrète de ces désordres sur ses conditions d’habitation. En l’espèce, l’absence de toute réclamation pendant près d’une décennie rendait cette démonstration particulièrement difficile.
L’arrêt confirme ainsi que la demande reconventionnelle d’un locataire défaillant ne peut prospérer que si elle repose sur des éléments probants et circonstanciés, et non sur des allégations tardives formulées en réaction à une action en paiement.
Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Caen a statué sur un litige opposant un bailleur à son locataire dans le cadre d’un bail d’habitation. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent des impayés de loyers et soulève la question de l’articulation entre l’obligation de paiement du locataire et les exigences de décence pesant sur le bailleur.
Les faits de l’espèce sont les suivants. Par acte sous signature privée du 11 mars 2014, un bailleur a consenti un bail d’habitation portant sur un immeuble moyennant un loyer mensuel de 280 euros. Aucun état des lieux d’entrée n’a été établi. À compter de cette date et jusqu’en juillet 2023, le locataire n’a formulé aucune réclamation relative à l’état du logement. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait signifier un commandement de payer le 5 juillet 2023 pour un montant de 2.513,23 euros.
Le bailleur a assigné le locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater la résiliation du bail, d’obtenir l’expulsion et la condamnation au paiement des arriérés. Par jugement réputé contradictoire du 7 février 2024, le premier juge a prononcé la résiliation du bail aux torts du locataire, ordonné son expulsion et l’a condamné à payer 3.462 euros au titre des loyers et charges impayés. Le locataire a interjeté appel. Il sollicitait l’infirmation du jugement, invoquait l’exception d’inexécution tirée du prétendu manquement du bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent, réclamait des délais de paiement et formait une demande reconventionnelle de 17.080 euros en réparation de son préjudice de jouissance.
La cour d’appel était saisie de plusieurs questions. L’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrer un logement décent peut-elle justifier le non-paiement des loyers par le locataire ? La preuve des manquements du bailleur est-elle rapportée en l’absence de toute réclamation pendant près de dix ans d’occupation ? Le locataire peut-il obtenir des délais de paiement sans justifier de sa situation financière actuelle ?
La Cour d’appel de Caen confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle déboute le locataire de ses demandes de délais de paiement et de dommages et intérêts. Elle retient qu’en l’absence d’état des lieux, les locaux sont présumés avoir été remis en bon état. Elle constate que le locataire ne justifie ni de l’absence de système de chauffage, ni des travaux qu’il prétend avoir réalisés, ni d’un manquement grave du bailleur de nature à légitimer l’exception d’inexécution.
L’arrêt mérite examen en ce qu’il illustre la rigueur probatoire imposée au locataire qui invoque l’exception d’inexécution (I), avant de préciser les conditions d’octroi des délais de paiement et de l’indemnisation du préjudice de jouissance (II).
I. L’encadrement strict de l’exception d’inexécution opposée par le locataire
La cour d’appel affirme avec netteté les exigences probatoires pesant sur le locataire (A), avant de tirer les conséquences de l’inertie prolongée de ce dernier (B).
A. L’exigence d’un manquement grave et prouvé du bailleur
Le locataire entendait justifier le non-paiement de ses loyers par l’exception d’inexécution prévue à l’article 1219 du code civil. Ce mécanisme permet à une partie de suspendre l’exécution de sa propre obligation lorsque son cocontractant n’exécute pas la sienne, à la condition que cette inexécution soit « suffisamment grave ». La cour rappelle que « la preuve de l’inexécution de l’obligation de la partie adverse est à la charge de celui qui se prévaut de l’exception d’inexécution ».
En l’espèce, le locataire alléguait que le logement était dépourvu de système de chauffage qu’il aurait dû installer à ses frais. La cour relève toutefois qu’« aucune des pièces produites par [le locataire] ne justifie ni de l’absence de système de chauffage ni des travaux et frais qu’il allègue avoir engagés à ce titre ». Cette formule souligne l’insuffisance des éléments probatoires versés aux débats. Le locataire ne produisait ni factures d’installation, ni attestations, ni devis susceptibles d’établir la réalité de ses allégations.
La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui subordonne le jeu de l’exception d’inexécution à la démonstration d’un manquement caractérisé. Le locataire ne peut se soustraire à son obligation essentielle de paiement du loyer sur le seul fondement d’affirmations non étayées.
B. La portée de l’absence d’état des lieux et du silence prolongé du locataire
La cour tire argument de deux circonstances déterminantes. D’une part, l’absence d’état des lieux d’entrée emporte application de l’article 1731 du code civil selon lequel « le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives ». Cette présomption, bien que simple, n’a pas été renversée par le locataire.
D’autre part, la cour observe que « au cours du contrat de bail, à compter de mars 2014 jusqu’au moment du litige opposant les parties, en juillet 2023, le locataire ne s’est plaint d’aucun dysfonctionnement affectant le logement litigieux ». Ce silence de près de dix années constitue un indice concordant de l’absence de manquement du bailleur à ses obligations.
La cour conforte son analyse en relevant l’existence d’un plan d’apurement sur lequel « la signature attribuée à [l’intimé] a été manifestement imitée ». Cette circonstance, qui confine à la mauvaise foi, achève de disqualifier la position du locataire.
Le raisonnement adopté témoigne d’une approche pragmatique. Le locataire qui n’a jamais contesté l’état du logement pendant la durée du bail ne saurait, au moment où il est poursuivi en paiement, invoquer opportunément des désordres pour échapper à ses obligations. La cohérence du comportement contractuel constitue ainsi un élément d’appréciation de la sincérité des griefs formulés.
II. Le rejet des demandes subsidiaires du locataire défaillant
La cour refuse d’accorder des délais de paiement au locataire qui ne justifie pas de sa situation (A) et écarte la demande d’indemnisation faute de preuve du préjudice de jouissance (B).
A. Le refus de délais de paiement en l’absence de justificatifs actualisés
Le locataire sollicitait le bénéfice des dispositions de l’article 1343-5 du code civil permettant au juge de reporter ou d’échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années. La cour rejette cette demande au motif que le débiteur « ne communique aux débats aucun document actualisé ».
La cour relève que « son dernier avis d’imposition date de 2023 pour les revenus perçus au cours de l’année 2022 » et que l’attestation de la Caisse d’allocations familiales « couvre uniquement le mois d’octobre 2023 ». Elle ajoute que « le locataire se borne à solliciter des délais de paiement sans indiquer les montants prévisionnels des versements mensuels qu’il pourrait assumer ».
Cette motivation illustre les exigences pratiques entourant les demandes de délais. Le débiteur qui sollicite un aménagement doit établir sa situation financière actuelle et proposer un échéancier réaliste. L’article 1343-5 impose au juge de tenir compte « de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier ». Cette double exigence implique une transparence du débiteur sur ses ressources et charges.
La solution retenue rappelle que les délais de paiement constituent une faveur accordée au débiteur de bonne foi qui justifie de difficultés passagères. Ils ne sauraient bénéficier à celui qui ne fournit pas les éléments permettant d’apprécier la faisabilité d’un échelonnement.
B. L’exigence de caractérisation du préjudice de jouissance
Le locataire réclamait 17.080 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice de jouissance pour la période allant de mars 2014 à mai 2024, soit 122 mois d’occupation. Il invoquait le non-respect des critères de décence définis par l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et par le décret du 30 janvier 2002.
La cour écarte cette demande après examen des pièces produites. S’agissant de la consommation énergétique, elle juge que les factures EDF « ne suffisent pas à rapporter la preuve d’une surconsommation d’énergie imputable à un éventuel défaut d’isolation ». Elle observe que le locataire ne produit « aucun rapport d’expertise ou autre élément probant permettant d’établir le défaut d’isolation des lieux loués ».
S’agissant des anomalies électriques relevées par un diagnostic, la cour adopte une approche nuancée. Elle reconnaît que le rapport fait état de défectuosités « pouvant entraîner une électrisation voire une électrocution ». Elle relève toutefois que le locataire « ne caractérise pas en quoi les non-conformités relevées par le diagnostiqueur ont affecté sa jouissance des lieux ».
Cette exigence de caractérisation du lien entre les anomalies constatées et le trouble effectif de jouissance s’inscrit dans une jurisprudence établie. La seule existence de non-conformités techniques ne suffit pas à fonder une demande indemnitaire. Le locataire doit démontrer l’incidence concrète de ces désordres sur ses conditions d’habitation. En l’espèce, l’absence de toute réclamation pendant près d’une décennie rendait cette démonstration particulièrement difficile.
L’arrêt confirme ainsi que la demande reconventionnelle d’un locataire défaillant ne peut prospérer que si elle repose sur des éléments probants et circonstanciés, et non sur des allégations tardives formulées en réaction à une action en paiement.