Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 18 juin 2025, n°24/15575
La résolution judiciaire d’une vente en viager peut soulever des difficultés lorsque le bien a fait l’objet de cessions successives. La question de l’interdépendance des contrats formant une chaîne contractuelle se pose alors avec acuité, notamment pour assurer l’effectivité des décisions de justice en matière de publicité foncière.
Par acte authentique du 20 juillet 2010, une propriétaire a vendu en viager une maison d’habitation située dans le Var, en se réservant un droit d’usage et d’habitation. Le prix comportait un bouquet de 65 000 euros et une rente viagère mensuelle de 1 250 euros. Les acquéreurs ont revendu le bien le 15 novembre 2012 à un second couple pour 94 000 euros, à charge pour ces derniers de servir la rente viagère à la crédirentière originelle. Celle-ci a été admise en EHPAD en mars 2018. La mandataire de justice désignée dans le cadre de sa mise sous tutelle a constaté que les seconds acquéreurs s’étaient installés dans les lieux dès juillet 2018 et leur a réclamé la majoration de 30 % de la rente prévue en cas de cessation du droit d’usage. Un commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 11 juin 2019.
Par jugement du 13 avril 2023, le tribunal judiciaire de Draguignan a constaté la résolution de plein droit de la vente du 15 novembre 2012 à compter du 11 juillet 2019. Il a ordonné l’expulsion des débirentiers et prononcé diverses condamnations réciproques. Sur appel des acquéreurs évincés, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé cette décision par arrêt du 19 mars 2024, en modifiant certains montants. L’ayant droit de la crédirentière décédée a ensuite déposé une requête en interprétation, exposant que le service de la publicité foncière refusait d’enregistrer les décisions au motif que celles-ci ne visaient que la résolution de la seconde vente, sans mentionner la première.
La requérante soutenait que le dispositif des décisions devait être interprété pour préciser que la résolution de la vente de 2012 entraînait celle de la vente de 2010, afin que la propriété soit réputée n’avoir jamais quitté le patrimoine de la crédirentière originelle. Les intimés n’ont pas conclu sur cette requête.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence devait déterminer si le juge peut, dans le cadre d’une requête en interprétation fondée sur l’article 461 du code de procédure civile, préciser que la résolution d’une vente s’inscrivant dans une chaîne de contrats emporte résolution de la vente antérieure.
Par arrêt du 18 juin 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a fait droit à la requête. Elle a jugé que « la résolution de la vente du 15 novembre 2012 induit la résolution de la vente du 20 juillet 2010 afin de replacer les parties dans les mêmes dispositions, les contrats devant être analysés comme liés et interdépendants, dans le cadre d’une chaîne de contrats ». Le dispositif du jugement confirmé en appel a été interprété en ce sens.
Cette décision illustre le recours au mécanisme de l’interprétation juridictionnelle pour expliciter les conséquences d’une résolution contractuelle au sein d’une chaîne de contrats (I). Elle consacre l’interdépendance des ventes successives portant sur un même bien grevé d’une rente viagère (II).
I. Le recours à l’interprétation juridictionnelle pour expliciter une résolution contractuelle
La cour d’appel mobilise l’article 461 du code de procédure civile pour clarifier la portée de sa précédente décision (A), tout en veillant à ne pas modifier les dispositions précises de celle-ci (B).
A. Les conditions de recevabilité de la requête en interprétation
L’article 461 du code de procédure civile dispose qu’il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel. La demande peut être formée par simple requête de l’une des parties. En l’espèce, la requérante a saisi la cour d’appel par acte du 30 décembre 2024, soit postérieurement à l’expiration du délai de pourvoi en cassation contre l’arrêt du 19 mars 2024.
La difficulté invoquée résidait dans l’impossibilité pratique de procéder aux formalités de publicité foncière. Le service compétent refusait d’enregistrer des décisions qui ne visaient expressément que la vente de 2012, alors que deux mutations successives étaient intervenues. Cette circonstance caractérisait une obscurité ou une ambiguïté du dispositif, condition nécessaire à la recevabilité de la requête en interprétation.
La cour a admis que le dispositif de sa décision antérieure nécessitait une explicitation. Les décisions de 2023 et 2024 avaient constaté la résolution de la vente du 15 novembre 2012, sans préciser les conséquences sur la vente antérieure du 20 juillet 2010. Cette lacune rendait les décisions partiellement inopérantes sur le plan de la publicité foncière.
B. Les limites du pouvoir d’interprétation du juge
La cour rappelle que « le juge ne peut, sous prétexte de déterminer le sens d’une précédente décision, apporter une modification quelconque aux dispositions précises de celle-ci ». Cette règle constante interdit au juge de l’interprétation de réviser, compléter ou rectifier une décision définitive. L’interprétation ne peut porter que sur des dispositions obscures ou ambiguës.
En l’occurrence, la cour considère qu’elle n’ajoute rien à sa décision antérieure mais en explicite les conséquences logiques. La résolution de la vente de 2012 impliquait nécessairement, selon elle, la remise en cause de la vente de 2010. Cette interprétation s’inscrirait dans le prolongement naturel du dispositif initial.
La frontière entre interprétation et modification demeure néanmoins délicate. La cour ajoute formellement au dispositif une mention absente des décisions interprétées. Elle justifie cet ajout par la théorie de l’interdépendance contractuelle, considérant que la résolution en chaîne constituait une conséquence implicite mais certaine de la décision initiale.
II. La consécration de l’interdépendance des contrats au sein d’une chaîne de ventes viagères
La cour qualifie les deux ventes successives de « contrats liés et interdépendants » formant une « chaîne de contrats » (A), ce qui emporte des conséquences significatives sur le régime de la résolution (B).
A. La qualification de chaîne de contrats interdépendants
La notion de chaîne de contrats désigne un ensemble d’accords juridiquement distincts mais économiquement solidaires. La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la disparition de l’un peut entraîner la caducité ou la résolution des autres lorsqu’ils sont unis par un lien d’indivisibilité ou d’interdépendance.
En l’espèce, la cour relève que « l’un comme l’autre de ces contrats de vente stipulaient une clause résolutoire » identique. La crédirentière originelle était intervenue à l’acte de 2012 pour accepter le transfert de la charge de la rente, « seule l’identité des débirentiers étant modifiée ». Les deux ventes portaient sur le même bien et la seconde ne faisait que substituer de nouveaux débiteurs à la rente viagère.
Cette configuration caractérise une interdépendance fonctionnelle. La vente de 2012 n’avait de sens qu’en tant que prolongement de celle de 2010. Les seconds acquéreurs n’ont pas acheté un bien libre mais un bien grevé d’une obligation de servir une rente viagère à la crédirentière d’origine. La résolution de leur acquisition pour défaut de paiement de cette rente devait logiquement remonter jusqu’à la vente initiale.
B. Les effets de la résolution en chaîne sur la propriété immobilière
La cour juge que la résolution de la vente de 2012 « entraîne en conséquence la résolution de la vente du 20 juillet 2010 ». L’objectif est de « replacer les parties dans les mêmes dispositions » qu’avant la conclusion des contrats anéantis. En matière immobilière, cet effet rétroactif suppose que la propriété soit réputée n’avoir jamais quitté le patrimoine du vendeur originel.
Cette solution présente un intérêt pratique évident. Sans elle, les décisions judiciaires demeuraient inapplicables en matière de publicité foncière. La résolution de la seule vente de 2012 aurait fait renaître les droits des premiers acquéreurs, et non ceux de la crédirentière décédée. Or ces premiers acquéreurs avaient eux-mêmes cédé leurs droits et n’avaient plus vocation à récupérer le bien.
La cour ordonne que mention du dispositif de son arrêt soit portée sur la minute et les expéditions de l’arrêt rectifié. Cette mesure permettra au service de la publicité foncière de procéder à l’enregistrement. Les dépens sont laissés à la charge de l’État, la cour estimant que les difficultés d’enregistrement justifiaient cette solution.
La résolution judiciaire d’une vente en viager peut soulever des difficultés lorsque le bien a fait l’objet de cessions successives. La question de l’interdépendance des contrats formant une chaîne contractuelle se pose alors avec acuité, notamment pour assurer l’effectivité des décisions de justice en matière de publicité foncière.
Par acte authentique du 20 juillet 2010, une propriétaire a vendu en viager une maison d’habitation située dans le Var, en se réservant un droit d’usage et d’habitation. Le prix comportait un bouquet de 65 000 euros et une rente viagère mensuelle de 1 250 euros. Les acquéreurs ont revendu le bien le 15 novembre 2012 à un second couple pour 94 000 euros, à charge pour ces derniers de servir la rente viagère à la crédirentière originelle. Celle-ci a été admise en EHPAD en mars 2018. La mandataire de justice désignée dans le cadre de sa mise sous tutelle a constaté que les seconds acquéreurs s’étaient installés dans les lieux dès juillet 2018 et leur a réclamé la majoration de 30 % de la rente prévue en cas de cessation du droit d’usage. Un commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 11 juin 2019.
Par jugement du 13 avril 2023, le tribunal judiciaire de Draguignan a constaté la résolution de plein droit de la vente du 15 novembre 2012 à compter du 11 juillet 2019. Il a ordonné l’expulsion des débirentiers et prononcé diverses condamnations réciproques. Sur appel des acquéreurs évincés, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé cette décision par arrêt du 19 mars 2024, en modifiant certains montants. L’ayant droit de la crédirentière décédée a ensuite déposé une requête en interprétation, exposant que le service de la publicité foncière refusait d’enregistrer les décisions au motif que celles-ci ne visaient que la résolution de la seconde vente, sans mentionner la première.
La requérante soutenait que le dispositif des décisions devait être interprété pour préciser que la résolution de la vente de 2012 entraînait celle de la vente de 2010, afin que la propriété soit réputée n’avoir jamais quitté le patrimoine de la crédirentière originelle. Les intimés n’ont pas conclu sur cette requête.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence devait déterminer si le juge peut, dans le cadre d’une requête en interprétation fondée sur l’article 461 du code de procédure civile, préciser que la résolution d’une vente s’inscrivant dans une chaîne de contrats emporte résolution de la vente antérieure.
Par arrêt du 18 juin 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a fait droit à la requête. Elle a jugé que « la résolution de la vente du 15 novembre 2012 induit la résolution de la vente du 20 juillet 2010 afin de replacer les parties dans les mêmes dispositions, les contrats devant être analysés comme liés et interdépendants, dans le cadre d’une chaîne de contrats ». Le dispositif du jugement confirmé en appel a été interprété en ce sens.
Cette décision illustre le recours au mécanisme de l’interprétation juridictionnelle pour expliciter les conséquences d’une résolution contractuelle au sein d’une chaîne de contrats (I). Elle consacre l’interdépendance des ventes successives portant sur un même bien grevé d’une rente viagère (II).
I. Le recours à l’interprétation juridictionnelle pour expliciter une résolution contractuelle
La cour d’appel mobilise l’article 461 du code de procédure civile pour clarifier la portée de sa précédente décision (A), tout en veillant à ne pas modifier les dispositions précises de celle-ci (B).
A. Les conditions de recevabilité de la requête en interprétation
L’article 461 du code de procédure civile dispose qu’il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel. La demande peut être formée par simple requête de l’une des parties. En l’espèce, la requérante a saisi la cour d’appel par acte du 30 décembre 2024, soit postérieurement à l’expiration du délai de pourvoi en cassation contre l’arrêt du 19 mars 2024.
La difficulté invoquée résidait dans l’impossibilité pratique de procéder aux formalités de publicité foncière. Le service compétent refusait d’enregistrer des décisions qui ne visaient expressément que la vente de 2012, alors que deux mutations successives étaient intervenues. Cette circonstance caractérisait une obscurité ou une ambiguïté du dispositif, condition nécessaire à la recevabilité de la requête en interprétation.
La cour a admis que le dispositif de sa décision antérieure nécessitait une explicitation. Les décisions de 2023 et 2024 avaient constaté la résolution de la vente du 15 novembre 2012, sans préciser les conséquences sur la vente antérieure du 20 juillet 2010. Cette lacune rendait les décisions partiellement inopérantes sur le plan de la publicité foncière.
B. Les limites du pouvoir d’interprétation du juge
La cour rappelle que « le juge ne peut, sous prétexte de déterminer le sens d’une précédente décision, apporter une modification quelconque aux dispositions précises de celle-ci ». Cette règle constante interdit au juge de l’interprétation de réviser, compléter ou rectifier une décision définitive. L’interprétation ne peut porter que sur des dispositions obscures ou ambiguës.
En l’occurrence, la cour considère qu’elle n’ajoute rien à sa décision antérieure mais en explicite les conséquences logiques. La résolution de la vente de 2012 impliquait nécessairement, selon elle, la remise en cause de la vente de 2010. Cette interprétation s’inscrirait dans le prolongement naturel du dispositif initial.
La frontière entre interprétation et modification demeure néanmoins délicate. La cour ajoute formellement au dispositif une mention absente des décisions interprétées. Elle justifie cet ajout par la théorie de l’interdépendance contractuelle, considérant que la résolution en chaîne constituait une conséquence implicite mais certaine de la décision initiale.
II. La consécration de l’interdépendance des contrats au sein d’une chaîne de ventes viagères
La cour qualifie les deux ventes successives de « contrats liés et interdépendants » formant une « chaîne de contrats » (A), ce qui emporte des conséquences significatives sur le régime de la résolution (B).
A. La qualification de chaîne de contrats interdépendants
La notion de chaîne de contrats désigne un ensemble d’accords juridiquement distincts mais économiquement solidaires. La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la disparition de l’un peut entraîner la caducité ou la résolution des autres lorsqu’ils sont unis par un lien d’indivisibilité ou d’interdépendance.
En l’espèce, la cour relève que « l’un comme l’autre de ces contrats de vente stipulaient une clause résolutoire » identique. La crédirentière originelle était intervenue à l’acte de 2012 pour accepter le transfert de la charge de la rente, « seule l’identité des débirentiers étant modifiée ». Les deux ventes portaient sur le même bien et la seconde ne faisait que substituer de nouveaux débiteurs à la rente viagère.
Cette configuration caractérise une interdépendance fonctionnelle. La vente de 2012 n’avait de sens qu’en tant que prolongement de celle de 2010. Les seconds acquéreurs n’ont pas acheté un bien libre mais un bien grevé d’une obligation de servir une rente viagère à la crédirentière d’origine. La résolution de leur acquisition pour défaut de paiement de cette rente devait logiquement remonter jusqu’à la vente initiale.
B. Les effets de la résolution en chaîne sur la propriété immobilière
La cour juge que la résolution de la vente de 2012 « entraîne en conséquence la résolution de la vente du 20 juillet 2010 ». L’objectif est de « replacer les parties dans les mêmes dispositions » qu’avant la conclusion des contrats anéantis. En matière immobilière, cet effet rétroactif suppose que la propriété soit réputée n’avoir jamais quitté le patrimoine du vendeur originel.
Cette solution présente un intérêt pratique évident. Sans elle, les décisions judiciaires demeuraient inapplicables en matière de publicité foncière. La résolution de la seule vente de 2012 aurait fait renaître les droits des premiers acquéreurs, et non ceux de la crédirentière décédée. Or ces premiers acquéreurs avaient eux-mêmes cédé leurs droits et n’avaient plus vocation à récupérer le bien.
La cour ordonne que mention du dispositif de son arrêt soit portée sur la minute et les expéditions de l’arrêt rectifié. Cette mesure permettra au service de la publicité foncière de procéder à l’enregistrement. Les dépens sont laissés à la charge de l’État, la cour estimant que les difficultés d’enregistrement justifiaient cette solution.