Cour d’appel administrative de Paris, le 16 avril 2025, n°23PA00226

La Cour administrative d’appel de Paris a rendu le 16 avril 2025 un arrêt portant sur le règlement financier d’un marché public de travaux. Un office public de l’habitat a confié le lot relatif aux aménagements extérieurs d’une opération de réhabilitation résidentielle à une société de construction. Le contrat initial comprenait une solution de base pour la pose de clôtures et une option pour des murets de soubassement maçonnés. L’acheteur public a finalement limité sa commande à la prestation de base sans les travaux de maçonnerie par un bon de commande rectificatif. Le titulaire a pourtant émis des factures intégrant les options non commandées et un avancement complet du chantier malgré l’inachèvement manifeste des prestations. Face à cette situation, le pouvoir adjudicateur a sollicité une entreprise tierce pour terminer les travaux de clôture aux frais de la société défaillante.

La société a saisi le tribunal administratif de Montreuil pour obtenir le paiement de trois factures refusées par l’administration lors de l’exécution du contrat. Par un jugement du 16 novembre 2022, les premiers juges ont rejeté cette demande et condamné l’entreprise à rembourser les frais d’achèvement des travaux. Le tribunal a toutefois écarté les conclusions reconventionnelles de l’office tendant au versement de pénalités de retard contractuelles et à l’indemnisation d’un préjudice moral. La société interjette appel pour obtenir le règlement de ses créances tandis que l’administration forme un appel incident afin de contester le rejet de ses pénalités.

La société soutient que les justifications opposées par l’acheteur pour refuser le paiement sont infondées et demande subsidiairement la réduction des pénalités à l’euro symbolique. L’administration demande l’annulation du jugement en ce qu’il a rejeté ses demandes indemnitaires liées à l’atteinte à sa réputation par des actes de vandalisme. Elle réclame également le versement de pénalités de retard s’élevant à 198 000 euros en raison du dépassement important des délais d’exécution initialement prévus.

Le juge doit déterminer si l’administration peut légitimement refuser le paiement de factures dont les mentions techniques et financières ne correspondent pas aux travaux réellement exécutés. Il doit également préciser les conditions de preuve nécessaires pour que le pouvoir adjudicateur puisse infliger des pénalités de retard au titulaire d’un marché.

La cour confirme le rejet des conclusions de la société en relevant que les factures litigieuses présentaient des prestations non réalisées ou un état d’avancement erroné. Elle écarte parallèlement les pénalités de retard au motif que l’administration n’a produit ni le calendrier détaillé d’exécution ni l’ordre de service de démarrage. Le raisonnement s’articule autour de l’exigence de conformité des factures aux prestations exécutées (I) et du formalisme probatoire pesant sur l’administration pour sanctionner son cocontractant (II).

I. L’exigence de conformité des factures à la réalité des prestations exécutées

A. L’irrecevabilité des demandes de paiement fondées sur des factures erronées

La juridiction souligne que les factures des 14 novembre et 22 décembre 2017 « mentionnent des travaux ne correspondant pas à ceux qui ont été effectivement réalisés ». L’instruction démontre que ces documents faisaient état de la pose d’un muret de soubassement alors que le bon de commande définitif l’avait expressément exclu. Le juge administratif rappelle ici que le droit au paiement du titulaire est strictement subordonné à la réalité matérielle des prestations déclarées dans les décomptes. L’absence de production de factures rectificatives par la société empêche de valider des créances dont le contenu technique est contredit par les pièces du dossier. Une facture mentionnant un avancement de cent pour cent ne peut être honorée lorsque les travaux ont été achevés par une entreprise tierce de substitution.

B. La confirmation de la responsabilité contractuelle au titre des travaux inachevés

La société ne conteste pas utilement sa condamnation à réparer le préjudice matériel résultant de l’achèvement des prestations par une tierce entreprise aux frais du titulaire. Le juge administratif adopte les motifs des premiers juges pour confirmer la défaillance contractuelle de la société qui n’a pas réalisé l’intégralité du lot confié. Cette solution consacre le droit pour l’administration de faire exécuter les travaux aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant après une mise en demeure infructueuse. La condamnation à verser la somme de 6 121,50 euros correspond précisément au surcoût supporté par l’office public de l’habitat pour obtenir la finition des clôtures. La carence du titulaire justifie l’application des mesures coercitives prévues par les clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux pour assurer la continuité.

II. Le formalisme probatoire de l’administration et les limites de l’indemnisation

A. Le rejet des pénalités de retard faute de production des pièces contractuelles

L’administration sollicite le versement de pénalités de retard pour un montant total de 198 000 euros en se fondant sur les stipulations du cahier des clauses particulières. La cour rejette cette prétention car l’office ne produit pas le calendrier détaillé d’exécution mentionné à l’article 6-1 du document contractuel régissant le marché. « Faute pour lui de justifier du retard de la société au regard de ce calendrier, sa demande doit dans tous les cas être rejetée ». L’absence de l’ordre de service prescrivant le commencement des travaux interdit de déterminer juridiquement le point de départ du délai imparti au titulaire. Le juge rappelle que la charge de la preuve du retard incombe au pouvoir adjudicateur qui doit établir la méconnaissance des échéances contractuelles précises.

B. L’exclusion du préjudice moral en l’absence de lien de causalité caractérisé

Le pouvoir adjudicateur invoque une atteinte à son image de marque consécutive à des actes de vandalisme ayant prétendument profité de l’absence de clôture de la résidence. Le juge administratif écarte cette demande en soulignant que « l’atteinte à sa réputation n’est nullement établie » par les simples fiches de signalement produites au dossier. Rien ne permet d’affirmer que les dégradations commises par des inconnus ont été facilitées par l’inachèvement des travaux de sécurisation du site par la société. La preuve d’un lien de causalité direct entre la faute du cocontractant et le préjudice immatériel de la personne publique fait ici manifestement défaut à l’instance. La cour rejette ainsi l’appel incident de l’office en confirmant la stricte application des règles relatives à la responsabilité contractuelle et à l’indemnisation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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