La Cour administrative d’appel de Nantes a rendu une décision le vingt-sept juin deux mille vingt-cinq relative aux dommages causés par le grand gibier. Des propriétaires d’un domaine forestier situé dans l’Orne ont sollicité l’indemnisation de préjudices résultant de l’abroutissement de leurs boisements par des cervidés. Ils soutenaient que le représentant de l’État dans le département avait fixé des plans de chasse insuffisants pour réguler la population animale sur leur propriété. Le tribunal administratif de Caen avait rejeté leur demande indemnitaire par un jugement rendu le dix-sept octobre deux mille vingt-trois. Les requérants ont alors interjeté appel devant la juridiction nantaise afin d’obtenir la condamnation de l’État à réparer leurs pertes forestières.
Les demandeurs invoquaient principalement une faute de l’administration dans la gestion des prélèvements autorisés entre deux mille douze et deux mille vingt et un. Ils faisaient valoir que la diminution constante du nombre de bracelets accordés avait rompu l’équilibre sylvo-cynégétique nécessaire à la régénération de leurs forêts. L’administration soutenait en défense que les comptages officiels ne révélaient aucun déséquilibre notable et que les victimes avaient favorisé la présence des animaux. La juridiction devait déterminer si l’insuffisance des prélèvements de cervidés autorisés par l’autorité préfectorale caractérisait une faute de nature à engager la responsabilité publique. La Cour administrative d’appel de Nantes retient l’existence d’une carence fautive mais décide de moduler l’indemnisation en raison du comportement des propriétaires.
La reconnaissance d’une gestion fautive de l’équilibre sylvo-cynégétique précède nécessairement l’analyse des fautes commises par les victimes lors de l’exploitation de leur domaine.
I. La reconnaissance d’une gestion fautive de l’équilibre sylvo-cynégétique
L’existence d’une faute administrative s’appuie sur le constat d’une surpopulation animale dont l’ampleur a été formellement objectivée par des investigations techniques approfondies.
A. L’objectivation d’un déséquilibre sylvo-cynégétique caractérisé
Le juge administratif se fonde sur un rapport d’expertise constatant un « déséquilibre sylvo-cynégétique extrême » marqué par des dégâts d’abroutissement massifs et persistants. Les indices recueillis sur place ont révélé que la végétation basse était systématiquement ravagée par les cervidés au sein de ce domaine forestier. L’expert a souligné que ces dégradations interdisaient toute régénération naturelle de la forêt en dehors des rares zones protégées par des enclos témoins. Ces constatations matérielles ont permis de valider les doléances des propriétaires relatives à l’importance des pertes subies durant plusieurs campagnes de chasse consécutives. La Cour écarte ainsi les conclusions moins alarmantes de l’administration fondées sur des méthodes de comptage globalement jugées moins précises par les magistrats.
Ce constat technique irréfutable permet d’identifier une erreur commise par l’autorité préfectorale dans l’exercice de ses missions de régulation des populations de gibier.
B. La caractérisation d’une carence dans l’exercice du pouvoir de police
La Cour retient une « faute de cette autorité dans la fixation des plans de chasse » consistant en une attribution de bracelets inadaptée à la situation. Les magistrats ont relevé une diminution significative des prélèvements autorisés alors que les propriétaires alertaient régulièrement les services de l’État sur l’aggravation des dommages. Cette baisse des autorisations était d’autant moins justifiable que l’administration a procédé ultérieurement à un réajustement massif à la hausse des quotas de chasse. Le juge souligne que le représentant de l’État doit garantir localement l’équilibre agro-sylvo-cynégétique même si la situation globale du massif forestier semble satisfaisante. La responsabilité de l’État est donc engagée sur le fondement d’une faute simple dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique.
L’établissement de cette faute administrative n’implique toutefois pas une réparation intégrale des dommages subis par les propriétaires forestiers au regard de leur propre conduite.
II. La limitation de l’indemnisation par la prise en compte de la conduite des victimes
Le droit à réparation des requérants se heurte à l’identification de pratiques de gestion ayant contribué à la fixation excessive du gibier sur leur propriété.
A. L’influence des méthodes des propriétaires sur la concentration du gibier
Les magistrats relèvent que le domaine constituait une « zone de fixation et de concentration des cervidés » favorisée par certaines interventions humaines volontaires. Les propriétaires ont mis en œuvre des techniques de chasse au tir isolées moins efficaces que les battues pour disperser durablement les groupes d’animaux. Le juge retient également l’existence de pratiques d’affouragement hivernal et d’agrainage qui ont contribué à sédentariser les cervidés sur ces parcelles boisées spécifiques. L’absence de mesures de protection individuelles pour les jeunes plants forestiers est également soulignée comme une négligence fautive des exploitants dans la protection de leur bien. Ces éléments révèlent une part de causalité directe des victimes dans l’ampleur des dégradations constatées par les experts au cours de l’instance.
Ces comportements justifient une atténuation de la charge pesant sur la collectivité publique lors de la détermination finale du montant de l’indemnité accordée.
B. La détermination d’un partage de responsabilité fondé sur la causalité
La Cour décide de mettre à la charge de l’État les deux tiers des préjudices justifiés par les requérants au titre des pertes forestières. Elle estime que la gestion fautive des plans de chasse par l’administration demeure la cause prépondérante du déséquilibre subi par les exploitants du domaine. Le tiers restant des dommages demeure à la charge des propriétaires en raison de leurs propres fautes de gestion cynégétique et de protection forestière. Les magistrats procèdent ensuite à l’évaluation précise des sommes dues en incluant les pertes de valeur commerciale et les troubles dans les conditions d’existence. Cette solution illustre la volonté du juge administratif de concilier la protection des droits des propriétaires avec l’exigence de diligence des administrés.