L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nancy le 30 juin 2025 porte sur les conditions de légalité interne d’une décision de préemption immobilière. Un acquéreur évincé a contesté la délibération d’un conseil municipal décidant d’exercer son droit de préemption urbain sur deux parcelles cadastrées au sein du territoire. Le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette mesure par un jugement du 2 mars 2023, estimant que la réalité du projet n’était pas établie. La commune a interjeté appel en soutenant qu’un projet de lotissement préexistait à son acte, justifiant ainsi l’intérêt général de son opération foncière contestée. Le litige porte sur l’interprétation des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme concernant l’obligation de motivation d’une décision de préemption urbaine. Le juge administratif doit déterminer si la simple évocation d’une urbanisation future dans un rapport de présentation suffit à caractériser la réalité d’un projet. La juridiction d’appel confirme l’annulation en considérant que les éléments produits ne démontrent pas l’existence d’une opération d’aménagement concrète à la date d’exercice. L’examen de cette solution conduit à analyser l’exigence de justification d’un projet réel (I) avant d’étudier l’insuffisance des simples orientations d’urbanisme prospectives prévues par les documents locaux (II).
**I. L’exigence de justification d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement**
**A. Le cadre légal de l’exercice du droit de préemption**
L’exercice du droit de préemption doit répondre à la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement définies par les dispositions législatives du code de l’urbanisme. La collectivité doit justifier, à la date de l’acte, « de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement » répondant aux objets mentionnés par la loi. Cette exigence impose au titulaire du droit de démontrer que l’acquisition foncière s’inscrit dans une démarche opérationnelle concrète déjà engagée au moment de la décision. La décision doit impérativement faire apparaître la nature de ce projet pour permettre au juge administratif d’en contrôler l’existence effective et l’intérêt général suffisant.
**B. Le contrôle de la matérialité des intentions municipales**
Pour valider sa décision, l’autorité administrative doit produire des preuves tangibles attestant de la matérialité de ses intentions lors de l’exercice de son droit de préemption. En l’espèce, l’appelante invoquait l’existence d’un lotissement dont elle prétendait qu’il préexistait à la signature de la délibération litigieuse contestée par l’acquéreur initialement évincé. Les juges du fond vérifient si les délibérations antérieures ou les études techniques confirment que la collectivité portait une volonté réelle de construction de nouveaux logements. L’absence de mention d’un projet municipal spécifique dans les documents versés aux débats conduit logiquement à écarter le moyen tiré du respect des conditions légales.
L’exigence de matérialité de l’opération d’aménagement étant une condition impérative de légalité, il convient d’étudier l’impact des vagues intentions d’urbanisation future comme fondement de l’acte.
**II. L’insuffisance des orientations d’urbanisme prospectives**
**A. La portée limitée du classement en zone urbaine future**
Le seul classement des parcelles en zone urbaine future par le plan local d’urbanisme intercommunal ne saurait constituer, par lui-même, la preuve d’un projet réel. La Cour relève que le rapport de présentation évoque seulement « une urbanisation à long terme devant combler une fenêtre d’urbanisation au cœur de l’espace bâti ». Cette orientation programmatique constitue une simple intention d’aménagement globale sans pour autant se traduire par une opération foncière immédiatement réalisable ou précisément identifiée. L’existence d’un emplacement réservé pour créer un accès au nord de la zone litigieuse est également jugée insuffisante pour fonder la légalité de l’acte municipal.
**B. La nécessaire distinction entre réserve foncière et opération identifiée**
La loi autorise la constitution de réserves foncières mais celle-ci doit s’insérer dans un cadre juridique strict souvent lié à la création de zones d’aménagement. En l’espèce, le projet de zone d’aménagement différé mentionné par la commune concernait un secteur géographique totalement distinct de celui des parcelles faisant l’objet de la vente. La juridiction souligne que le potentiel théorique de logements mentionné dans les documents d’urbanisme ne peut être valablement assimilé à un projet porté directement par la commune. Dès lors, la Cour administrative d’appel de Nancy confirme que l’usage du droit de préemption était ici dépourvu de base factuelle suffisamment certaine au regard du droit.