La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu le 21 janvier 2025 une décision relative au règlement financier d’un marché public de travaux. Un établissement public de coopération intercommunale a confié le lot gros-œuvre d’un complexe aquatique à une société pour un prix global et forfaitaire. Des retards importants ont marqué l’exécution du chantier, achevé avec dix-huit mois de décalage par rapport aux prévisions initiales du calendrier contractuel. Le mandataire liquidateur de la société titulaire a saisi le juge administratif afin d’obtenir la fixation du décompte général et le paiement de diverses sommes. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a partiellement fait droit à ces demandes par un jugement en date du 27 avril 2021. Les parties ont formé un appel principal et un appel incident pour contester les montants retenus au titre des travaux et des pénalités. La question posée aux juges d’appel concerne les conditions d’indemnisation des prestations supplémentaires et des préjudices liés à l’allongement du délai dans un marché forfaitaire. La Cour administrative d’appel de Nancy confirme l’essentiel du jugement en encadrant strictement le droit à rémunération complémentaire et la notion de sujétions imprévues.
Le régime de l’indemnisation des prestations et des aléas d’exécution fera l’objet d’une première partie. La protection de l’équilibre financier du marché et de la discipline contractuelle sera étudiée dans une seconde partie.
**I. Le régime de l’indemnisation des prestations et des aléas d’exécution**
Le juge administratif rappelle que le titulaire d’un marché à prix forfaitaire peut obtenir une rémunération pour des prestations non prévues commandées par ordre de service. Il précise également que l’entreprise peut solliciter le paiement de travaux effectués sans ordre de service dès lors qu’ils étaient « indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art ». Cette solution classique protège le maître d’ouvrage contre les demandes injustifiées tout en garantissant le paiement des interventions nécessaires à la solidité du bâtiment. La Cour considère toutefois que la mention « sans incidence financière » sur un ordre de service ne fait pas obstacle au paiement si les travaux sont hors marché. Elle valide ainsi l’indemnisation de plusieurs ordres de service dont l’utilité ou le caractère imprévu ont été confirmés par le rapport de l’expert judiciaire. En revanche, les prestations déjà incluses dans les pièces contractuelles comme les murets de soutènement ou les surbaux restent à la charge exclusive de la société.
L’admission des travaux supplémentaires précède l’examen des difficultés rencontrées par l’entreprise lors de l’exécution d’un chantier marqué par de forts aléas climatiques.
L’allongement de la durée du marché n’ouvre droit à indemnité que si les difficultés résultent de sujétions imprévues ou d’une faute de la personne publique. La société invoquait ici des intempéries exceptionnelles ainsi que la défaillance d’un autre intervenant titulaire des lots relatifs à la charpente et au bardage. La juridiction d’appel écarte l’idée que le placement en liquidation judiciaire d’une société tierce puisse constituer une sujétion imprévue au sens de la jurisprudence. Elle souligne également l’absence de faute du maître d’ouvrage qui a agi avec diligence pour remplacer l’entreprise défaillante dans un délai de cinq mois. Les retards de communication des plans d’exécution sont jugés insuffisants pour engager la responsabilité contractuelle de l’administration en l’espèce. Le cadre indemnitaire ainsi délimité permet à la Cour d’apprécier la réalité du bouleversement économique invoqué par le titulaire du marché public.
**II. La rigueur de l’équilibre financier et l’imputabilité des retards d’exécution**
La société demandait l’indemnisation d’un préjudice global en soutenant que les intempéries exceptionnelles avaient provoqué un bouleversement certain de l’économie de son contrat. Le juge relève que les surcoûts liés aux conditions météorologiques ne représentent que 11,09 % du montant initial du marché de travaux. Il en conclut que cette proportion « ne saurait, dès lors, caractériser un bouleversement de l’économie du contrat » ouvrant droit à une indemnité complémentaire. Cette position confirme la sévérité du juge administratif envers les entreprises qui ne démontrent pas une rupture manifeste de l’équilibre financier de l’opération. La Cour refuse de compenser les pertes qui entrent dans l’aléa normal d’un marché public de travaux conclu pour un prix global. Elle maintient une approche comptable rigoureuse pour préserver les deniers publics face aux réclamations fondées sur des événements extérieurs non disruptifs.
Le rejet de l’indemnisation pour bouleversement contractuel conduit la juridiction à se prononcer sur l’application des pénalités de retard prévues par le cahier des charges.
La Cour administrative d’appel de Nancy confirme la validité de la pénalité appliquée pour la période durant laquelle l’absence de la société sur le chantier a été constatée. Elle rappelle que « le titulaire se conforme strictement aux ordres de service qui lui sont notifiés » même si ces derniers ont fait l’objet de réserves. Toutefois, les juges annulent les pénalités provisoires pour lesquelles le maître d’ouvrage ne prouve pas l’imputabilité exclusive du retard à la société titulaire. Le décompte final intègre les intérêts moratoires majorés qui courent sur le seul solde du décompte conformément aux règles de la comptabilité publique. Enfin, la répartition des frais d’expertise entre les parties est maintenue en raison de l’utilité du rapport pour la solution du litige indemnitaire. Cette décision illustre la difficulté pour les constructeurs d’obtenir une réévaluation de leur rémunération forfaitaire malgré la survenance d’aléas durant l’exécution.