La cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 17 juillet 2025, une décision relative aux modalités de détermination de la valeur locative d’un établissement industriel. Une société, initialement propriétaire de son bâtiment d’exploitation, l’avait cédé à une société civile immobilière avant de le prendre à bail commercial dès l’année suivante. L’administration fiscale a maintenu la valeur locative au niveau de celle retenue lors de la cession, en vertu d’un dispositif de garantie des recettes publiques. La société a contesté cette évaluation devant le tribunal administratif de Strasbourg, lequel a rejeté sa demande tout en lui infligeant une amende. Le litige porte sur l’application de l’article 1499-0 A du code général des impôts en présence de mutations successives de la propriété du bien immobilier. Le juge devait déterminer si le changement de propriétaire mettait fin au mécanisme de plancher de valeur locative pour le locataire exploitant initial. Il a jugé que les modalités particulières de détermination de la valeur locative continuent de s’appliquer tant que l’ancien propriétaire demeure le locataire des lieux. L’application pérenne du plancher de valeur locative aux anciens propriétaires (I) s’accompagne d’une protection nécessaire du droit au recours face à la rigueur fiscale (II).
I. L’application pérenne du plancher de valeur locative aux anciens propriétaires
A. Le primat des règles spécifiques de cession-bail sur la qualification industrielle
L’arrêt souligne que les règles de l’article 1499-0 A priment sur les modalités générales d’évaluation des locaux industriels prévues par le code général des impôts. La cour précise que ces modalités s’appliquent « à l’ensemble des opérations permettant de louer le bien immobilier concerné à l’ancien propriétaire ». Cette interprétation extensive prévient toute érosion de la base d’imposition à la suite d’une opération de cession suivie d’une mise à disposition immédiate. Le juge administratif écarte les arguments fondés sur la structure comptable du nouveau bailleur pour se concentrer exclusivement sur la situation de l’occupant. Cette solution garantit une stabilité de l’assiette fiscale pour les immeubles faisant l’objet d’un montage de type cession-bail, indépendamment des spécificités contractuelles. Cette primauté de la règle de cession-bail sur la qualification industrielle s’étend logiquement aux hypothèses de mutations ultérieures de la propriété du bâtiment.
B. L’indifférence des mutations de propriété ultérieures sur la base d’imposition
La décision confirme que le mécanisme de plancher survit aux changements successifs de propriétaires tant que l’identité de l’exploitant locataire ne change pas. Le juge affirme que les règles prévues « continuent à s’appliquer au locataire qui exploite l’immeuble qu’il a cédé, alors même que l’immeuble a fait l’objet d’une nouvelle cession ». La simple mutation de propriété, sans modification de la consistance de l’immeuble ou de ses conditions d’exploitation, demeure sans influence sur la taxe due. Cette approche fonctionnelle assure que l’avantage fiscal éventuellement recherché par la cession initiale ne puisse être réactivé par des ventes successives à des tiers. La permanence de l’exploitation par le cédant initial constitue le critère déterminant pour le maintien d’une valeur locative minimale absolument intangible. La pérennité de cette règle dérogatoire, qui fige la base d’imposition du locataire, justifie une appréciation bienveillante de la recevabilité des contestations juridictionnelles.
II. La protection de l’accès au juge face à la rigueur de l’évaluation fiscale
A. La confirmation d’une dérogation stricte aux règles de droit commun
La cour valide l’existence d’une dérogation explicite aux principes généraux du code général des impôts en matière de cotisation foncière des entreprises. L’arrêt dispose que l’article 1499-0 A « a précisément pour effet de faire obstacle à ce que la base d’imposition de l’exploitant locataire puisse être inférieure ». Cette primauté interdit au contribuable de se prévaloir d’une évaluation plus favorable obtenue par le nouveau propriétaire en matière de taxe foncière. Le juge consacre ainsi une autonomie de la base d’imposition de l’exploitant par rapport à celle du propriétaire actuel dans ces configurations spécifiques. La valeur locative de référence reste celle de l’année de la cession initiale, figeant ainsi durablement la charge fiscale pesant sur l’entreprise utilisatrice.
B. Le rétablissement du droit au recours par l’annulation de l’amende pour abus
Tout en confirmant le redressement, la cour annule l’amende de quinze mille euros infligée en première instance pour un recours prétendument abusif. Elle estime que les demandes « ne sauraient, eu égard à leur objet et aux moyens qui y étaient développés, être regardées comme abusives ». Cette position protège le droit fondamental des contribuables de soumettre à la juridiction administrative des questions juridiques complexes ou encore inédites. Le litige soulevait des interrogations sérieuses sur l’articulation de textes fiscaux dont la haute juridiction administrative n’avait pas encore épuisé toutes les interprétations. L’annulation de la sanction financière réaffirme que la contestation d’une doctrine administrative stricte ne saurait être systématiquement qualifiée de manœuvre dilatoire malveillante.