Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 février 2025, n°23BX02099

Par un arrêt rendu le 6 février 2025, la Cour administrative d’appel de Bordeaux précise le régime probatoire des revenus distribués lors d’une cession immobilière. Une société civile de construction-vente a cédé deux appartements à un acquéreur pour un prix jugé insuffisant par le service vérificateur. L’administration a considéré cet écart comme un avantage occulte imposable sur le fondement de l’article 111 c du code général des impôts. Le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de décharge des cotisations supplémentaires par un jugement du 10 décembre 2019. Après une annulation par le Conseil d’État, la cour de renvoi doit apprécier l’existence d’une intention libérale entre les parties. Les magistrats censurent la position des services fiscaux et accordent la décharge des impositions litigieuses au profit du contribuable. L’analyse de cette décision suppose d’étudier l’exigence d’une preuve cumulative (I) avant d’observer l’application de ces principes en l’espèce (II).

I. L’EXIGENCE D’UNE PREUVE CUMULATIVE POUR LA CARACTÉRISATION DE LA LIBÉRALITÉ

A. Le cumul des éléments matériel et intentionnel

Le juge rappelle qu’une vente à prix minoré sans contrepartie peut être requalifiée en libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices. Cette qualification repose sur la notion de transfert gratuit de valeur d’une société vers un tiers sans intérêt propre pour l’entreprise venderesse. La Cour souligne que l’avantage occulte existe « alors même que l’opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet ». La seule mention comptable de l’identité du co-contractant ne suffit donc pas à écarter la qualification de distribution occulte par les services fiscaux. Cette analyse permet de saisir la substance économique de la transaction au-delà des apparences formelles de la comptabilité sociale.

B. L’imputation de la charge de la preuve à l’administration

L’administration doit démontrer l’existence « d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé » pour fonder son redressement. Cette première condition matérielle doit nécessairement se doubler d’une preuve subjective relative à l’intention des parties lors de la signature du contrat. Le service doit établir « une intention, pour la société, d’octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession ». La charge de cette preuve pèse exclusivement sur l’administration fiscale lorsque le contribuable n’est pas un maître de l’affaire. Cette protection du contribuable trouve une illustration concrète dans l’appréciation des faits de la présente affaire par la juridiction bordelaise.

II. L’ABSENCE DE CARACTÉRISATION DE L’INTENTION LIBÉRALE EN L’ESPÈCE

A. L’insuffisance du lien professionnel pour présumer la libéralité

L’acquéreur exerçait des fonctions d’agent de service au sein d’une société de gestion liée au capital de la société venderesse. Les juges relèvent cependant qu’aucun lien de participation au capital n’est démontré ou soutenu par l’administration à l’encontre de l’intéressé. En l’absence de « toute relation d’intérêt établie », il incombait au service de prouver positivement l’intention libérale animant les parties. Le lien professionnel subalterne ne permet pas de présumer une connivence particulière entre le cédant et l’acheteur. La Cour refuse ainsi de déduire l’intention de recevoir une libéralité du simple statut de salarié de l’acquéreur au moment des faits.

B. La reconnaissance du caractère bénéficiaire de la transaction pour la société

L’administration s’est bornée à comparer le prix des lots avec la moyenne des ventes réalisées par le promoteur durant la même période. La Cour administrative d’appel de Bordeaux estime que ces éléments ne suffisent pas à caractériser l’existence d’une distribution occulte de bénéfices. Elle note que la société venderesse « a pu dégager une marge positive lors de ces ventes » malgré le rabais consenti à l’acquéreur. L’absence de perte pour l’entreprise affaiblit considérablement la thèse d’une intention d’octroyer une libéralité au sens de la jurisprudence fiscale. Cette décision confirme une solution protectrice pour le contribuable en exigeant une démonstration précise de l’élément intentionnel par le vérificateur. Le jugement du premier ressort est annulé et la décharge totale des impositions litigieuses est prononcée par les magistrats bordelais.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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