Le Conseil constitutionnel a rendu le 6 juin 2025 une décision portant sur le régime de l’abandon des navires sur le domaine public fluvial. Les dispositions contestées organisent le transfert de propriété des embarcations présumées délaissées au profit du gestionnaire du domaine. Le litige initial opposait un requérant particulier à un établissement public chargé de la gestion des voies navigables. Le Conseil d’État a saisi le juge constitutionnel le 12 mars 2025 afin d’apprécier la validité de l’article L. 1127-3 du code précité. Le demandeur critiquait l’absence d’intervention du juge judiciaire et la méconnaissance des garanties liées à la propriété ou au domicile. Il soulevait également la violation de l’article 8 de la Déclaration de 1789 en raison de la nature punitive du transfert. La question centrale résidait dans la proportionnalité d’une dépossession administrative automatique pour assurer la sécurité de la navigation. Le Conseil constitutionnel a déclaré les mots contestés conformes sous une réserve relative à la destruction des navires habités. Cette solution confirme la primauté de l’intérêt général domanial tout en préservant l’inviolabilité du domicile des occupants.
**I. L’exclusion d’une logique répressive au profit de la protection domaniale**
**A. La négation du caractère punitif de la mesure de transfert**
Le requérant soutenait que le transfert de propriété constituait une sanction méconnaissant les principes de nécessité et de légalité des peines. Pour écarter ce grief, le juge constitutionnel analyse la finalité de la mesure prévue par le législateur. Il considère que les dispositions ont « pour seul objet d’assurer la protection de ce domaine et de garantir la sécurité de la navigation fluviale ». Cette approche fonctionnelle permet d’écarter l’application de l’article 8 de la Déclaration de 1789 au transfert de propriété. Le Conseil juge ainsi que les dispositions « n’instituent donc pas une sanction ayant le caractère d’une punition ». La mesure n’est pas conçue comme une réponse à une faute mais comme un outil technique de gestion du domaine public. Cette qualification juridique est essentielle car elle dispense le législateur de respecter les exigences strictes de la matière pénale.
**B. La validation de l’atteinte au droit de propriété par l’intérêt général**
L’examen de la conformité aux articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 constitue le cœur du contrôle de constitutionnalité opéré. Le Conseil écarte d’abord la qualification de privation de propriété au sens de l’article 17. Il estime que le transfert « concerne le bateau qui a été abandonné », ce qui atténue la protection due au propriétaire négligent. L’atteinte reste donc analysée sous l’angle de l’article 2 imposant un motif d’intérêt général et une proportionnalité suffisante. Le juge relève que libérer les dépendances domaniales des épaves garantit la sécurité des usagers de la voie d’eau. La protection de l’intégrité du domaine public fluvial justifie alors une mesure de dépossession sans indemnisation préalable. Cette solution privilégie l’affectation publique du domaine sur le maintien d’un droit de propriété dont le titulaire s’est désintéressé.
**II. Un encadrement procédural validé sous réserve de la protection du domicile**
**A. L’existence de garanties procédurales suffisantes pour le propriétaire**
La proportionnalité de la mesure repose sur les étapes préalables au transfert de propriété prévues par l’article L. 1127-3 du code précité. Un constat d’abandon doit être établi par des agents assermentés puis affiché sur le navire concerné. La loi impose une notification au dernier propriétaire connu, assortie d’une mise en demeure de faire cesser l’état d’abandon. Le propriétaire dispose d’un délai de six mois pour se manifester et « prendre les mesures nécessaires » afin d’éviter la perte. Le Conseil constitutionnel souligne que ce mécanisme offre une réelle possibilité de sauvegarde des droits avant toute décision administrative définitive. En outre, l’existence de recours devant le juge administratif permet de suspendre l’exécution du transfert en cas d’urgence. Le contrôle juridictionnel a posteriori garantit ainsi l’absence d’arbitraire dans la constatation de la carence du propriétaire.
**B. La protection impérative de l’usage d’habitation du bateau**
L’innovation majeure de la décision réside dans la réserve d’interprétation relative à l’inviolabilité du domicile découlant de l’article 2 de la Déclaration de 1789. Le juge précise que les dispositions ne peuvent autoriser la destruction d’un bateau « sans tenir compte de la situation personnelle ou familiale de l’occupant ». Cette protection s’applique dès lors qu’il apparaît que ce dernier y a établi son domicile effectif. Le gestionnaire du domaine doit adapter ses pouvoirs d’exécution forcée au respect de la vie privée des personnes. La simple efficacité de la gestion domaniale ne saurait primer sur le droit fondamental à la dignité de l’habitat. Cette réserve limite le pouvoir de destruction administrative en imposant une évaluation concrète de chaque situation humaine rencontrée. Elle assure une conciliation finale entre les nécessités du service public fluvial et la sauvegarde des libertés individuelles.