Conseil constitutionnel, Décision n° 2024-1109 QPC du 18 octobre 2024

Le Conseil constitutionnel, par sa décision du dix-huit octobre deux mille vingt-quatre, se prononce sur la conformité de dispositions limitant l’engrillagement des milieux naturels. La législation du deux février deux mille vingt-trois impose aux propriétaires fonciers des normes techniques précises pour l’édification ou la rénovation de leurs clôtures. Plusieurs propriétaires et groupements d’intérêt ont saisi la juridiction administrative suprême d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant la validité de ces contraintes environnementales. Les requérants invoquent notamment une atteinte disproportionnée au droit de propriété ainsi qu’une violation de l’inviolabilité du domicile lors des contrôles administratifs. Le litige porte sur l’obligation de mise en conformité des installations existantes et sur le droit d’accès des agents chargés de la protection de l’environnement. Le juge constitutionnel conclut à la conformité des textes, tout en formulant une réserve d’interprétation protectrice pour les lieux susceptibles de constituer un domicile.

**I. Une limitation encadrée du droit de se clore au profit de l’environnement**

**A. La primauté de la protection environnementale sur l’exercice du droit de propriété**

Le droit de propriété, garanti par la Déclaration de 1789, inclut la faculté pour tout détenteur d’un bien foncier de clore sa parcelle. Le législateur peut toutefois apporter des restrictions à cette prérogative lorsque l’intérêt général ou des objectifs de valeur constitutionnelle le justifient valablement. Le Conseil affirme que le législateur a entendu « prévenir les risques sanitaires liés au cloisonnement des populations animales » et « préserver la biodiversité ». Ces objectifs environnementaux permettent de limiter la liberté des propriétaires de choisir arbitrairement la nature et les dimensions de leurs clôtures privées. Le juge précise que ces mesures visent également à faciliter l’intervention des services de secours et à prévenir une dégradation marquée des paysages.

L’obligation de permettre la circulation de la faune sauvage répond à une nécessité publique de protection des écosystèmes fragiles sur le territoire national. Les dispositions imposent que les clôtures soient posées à trente centimètres du sol et que leur hauteur soit limitée à un mètre vingt maximum. Cette règle ne s’applique qu’aux zones naturelles ou forestières délimitées par les documents d’urbanisme ou aux espaces naturels dépourvus de règlement spécifique. Le Conseil constitutionnel estime que ces caractéristiques techniques n’empêchent pas de matérialiser physiquement le caractère privé des lieux pour interdire l’accès aux tiers. La conciliation opérée entre les impératifs écologiques et le droit de jouissance du propriétaire foncier ne présente ainsi aucun caractère manifestement déséquilibré.

**B. L’absence de privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789**

L’article 17 de la Déclaration de 1789 protège la propriété contre toute privation sans une nécessité publique légalement constatée et une juste indemnité. Les requérants soutenaient que l’obligation de mise en conformité des clôtures existantes équivalait à une destruction de biens mobiliers sans compensation financière. Le juge constitutionnel rejette cette qualification juridique en soulignant que la loi ne retire pas au propriétaire la disposition de son bien foncier. Il affirme que cette obligation « n’entraîne pas une privation de propriété au sens de l’article 17 » mais constitue une simple limitation d’exercice. L’absence d’indemnisation automatique n’est donc pas contraire aux exigences constitutionnelles puisque le droit de propriété n’est pas aboli dans sa substance.

L’atteinte aux situations légalement acquises est également contestée car la loi s’applique aux clôtures régulièrement édifiées depuis moins de trente ans. Le Conseil constitutionnel valide cette rétroactivité relative en raison de l’intérêt général suffisant lié à la lutte contre la multiplication des enclos étanches. Il observe que les propriétaires disposent d’un délai raisonnable, fixé au premier janvier deux mille vingt-sept, pour effectuer les travaux de mise en conformité. Les clôtures réalisées depuis plus de trente ans bénéficient d’une dérogation, ce qui limite l’impact financier et juridique pour les propriétaires les plus anciens. Le législateur a ainsi ménagé une transition proportionnée aux buts poursuivis en préservant les attentes légitimes des administrés tout en agissant pour l’environnement.

**II. La sauvegarde des libertés individuelles face aux pouvoirs de contrôle administratif**

**A. La validation de l’accès permanent des agents aux enclos naturels**

Le code de l’environnement autorise les agents chargés des contrôles administratifs à accéder aux locaux et lieux où s’exercent des activités soumises à réglementation. Les dispositions critiquées étendent explicitement ce droit de visite aux enclos afin de vérifier le respect des nouvelles normes relatives à la libre circulation animale. Les requérants dénonçaient un pouvoir discrétionnaire de l’administration pouvant s’exercer à tout moment sans autorisation judiciaire préalable ni consentement exprès de l’occupant. Le Conseil reconnaît que le législateur a poursuivi un « objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public » en permettant ces inspections. Ces contrôles administratifs sont jugés nécessaires pour assurer l’effectivité des règles environnementales et la constatation d’éventuelles infractions au code de l’environnement.

La décision précise que les agents de développement des fédérations de chasseurs disposent des mêmes prérogatives pour constater les infractions liées aux clôtures. Le juge constitutionnel vérifie que ces agents n’ont accès qu’aux lieux accueillant des installations ou activités régies par le code de l’environnement. L’accès permanent reste limité aux espaces extérieurs et ne saurait s’étendre aux locaux à usage d’habitation sans respecter des garanties procédurales strictes. Les garanties prévues par le législateur sont jugées suffisantes pour éviter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des propriétaires. La surveillance de la conformité des clôtures en milieu naturel constitue une mission d’intérêt général qui justifie une présence régulière des autorités compétentes.

**B. La réserve d’interprétation nécessaire garantissant l’inviolabilité du domicile**

L’inviolabilité du domicile constitue une composante essentielle de la liberté individuelle protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le juge constitutionnel relève que certains enclos, bien que situés en milieu naturel, peuvent présenter les caractéristiques d’un domicile pour leurs occupants habituels. Il énonce alors une réserve d’interprétation capitale pour la constitutionnalité de l’article litigieux relatif au droit d’accès des fonctionnaires et agents. Les dispositions ne sauraient « permettre à ces agents d’accéder à des enclos sans l’accord de l’occupant, si ces lieux sont susceptibles de constituer un domicile ». Cette protection s’applique à défaut d’une autorisation préalable délivrée par le juge des libertés et de la détention dans un cadre légal.

Cette réserve garantit que les contrôles administratifs ne dégénèrent pas en perquisitions arbitraires au sein des espaces de vie privée des citoyens. L’administration doit recueillir l’assentiment de l’occupant avant de pénétrer dans un périmètre clôturé s’il présente une proximité immédiate et fonctionnelle avec l’habitation. Le Conseil constitutionnel maintient ainsi un équilibre entre l’efficacité de la police de l’environnement et la protection constitutionnelle des droits fondamentaux de l’individu. La portée de la décision limite strictement les pouvoirs des agents assermentés lorsque l’intégrité de la sphère privée est directement en cause. Cette solution confirme la vigilance du juge constitutionnel quant au respect des procédures judiciaires dans l’exercice des prérogatives de puissance publique.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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