Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-1005 QPC du 29 juillet 2022

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 29 juillet 2022, une décision relative à la conformité de l’article 909 du code civil aux droits fondamentaux. Une requérante contestait l’interdiction de consentir des libéralités aux professionnels de santé ayant prodigué des soins durant la dernière maladie du disposant. La Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité par un arrêt rendu le 24 mai 2022. La requérante soutenait que cette mesure portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété en raison de son caractère général et absolu. Le litige initial opposait les bénéficiaires d’une libéralité aux héritiers légaux contestant la validité des dispositions testamentaires ou entre vifs. La question posée au juge constitutionnel concernait la conciliation entre la protection des personnes vulnérables et la liberté de disposer de son patrimoine. Le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition conforme en estimant l’atteinte justifiée par un but d’intérêt général et strictement proportionnée à cet objectif.

I. La protection de la volonté du disposant par l’incapacité de recevoir

A. La reconnaissance d’une atteinte au droit de disposer de ses biens

Le juge constitutionnel rappelle que le droit de disposer librement de son patrimoine constitue un attribut essentiel du droit de propriété protégé par la Déclaration de 1789. Les dispositions contestées prévoient que certains auxiliaires médicaux « ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires » faites pendant le cours de la maladie terminale. Cette interdiction légale limite directement la capacité des personnes malades à gratifier les membres des professions médicales ayant pris soin d’elles. L’atteinte au droit de propriété est ainsi caractérisée dès lors que le législateur restreint l’exercice d’une liberté de transmission pécuniaire. Cette restriction ne peut être admise que si elle répond à des exigences constitutionnelles précises ou à un intérêt général manifeste. Le Conseil examine donc la légitimité du but poursuivi par le législateur lors de la rédaction de cette incapacité spéciale.

B. La justification par la préservation des personnes vulnérables

Le législateur a entendu assurer la protection de personnes placées dans une situation de « particulière vulnérabilité » face au risque de captation de leurs biens. La relation de soin crée un lien de dépendance susceptible d’altérer la pleine liberté du consentement du patient durant ses derniers instants. Le but d’intérêt général est ici identifié comme la préservation de l’intégrité de la volonté testamentaire contre d’éventuelles pressions psychologiques. En empêchant ces libéralités, la loi prévient les abus de faiblesse inhérents à la fin de vie sans nécessiter de preuve au cas par cas. Cette présomption de captation vise à maintenir la sérénité des rapports entre le soignant et le soigné dans un contexte de grande fragilité. L’adéquation de la mesure à cet objectif de protection sociale doit toutefois être vérifiée par un examen rigoureux de sa proportionnalité.

II. La proportionnalité du dispositif au regard de l’objectif de protection

A. Un champ d’application strictement délimité

Le Conseil constitutionnel souligne que l’interdiction est circonscrite aux libéralités consenties uniquement pendant le cours de la maladie dont le donateur est finalement décédé. Elle ne s’applique qu’aux membres des professions médicales et de la pharmacie ayant effectivement dispensé des soins en lien avec cette affection précise. L’article 909 du code civil ne saurait donc s’étendre à des situations où le décès résulterait d’une cause étrangère aux soins prodigués. Cette délimitation temporelle et matérielle évite une interdiction générale qui frapperait indistinctement tous les actes de disposition au profit du corps médical. La restriction demeure ainsi étroitement liée à la situation de vulnérabilité spécifique induite par la pathologie létale dont souffre le patient. La précision des critères légaux garantit que l’atteinte aux prérogatives du propriétaire ne dépasse pas ce qui est strictement nécessaire.

B. Une présomption d’influence irréfragable validée par le juge

La décision valide l’absence de faculté pour les parties d’apporter la preuve contraire d’une absence de vulnérabilité ou d’une volonté réelle. Le Conseil estime que « l’interdiction est bien fondée sur la situation de vulnérabilité » inhérente à la nature même de la relation thérapeutique terminale. Le juge constitutionnel refuse d’exiger une analyse concrète de la capacité cognitive du disposant pour chaque acte de libéralité contesté devant les tribunaux. Cette position renforce la sécurité juridique des successions en évitant des contentieux longs et douloureux portant sur la santé mentale du défunt. La proportionnalité de la mesure est admise car le législateur a opéré un arbitrage cohérent entre la liberté individuelle et la protection des incapables. Les dispositions contestées sont donc déclarées conformes à la Constitution au terme d’un contrôle de proportionnalité classique mais protecteur des intérêts familiaux.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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