Le Conseil constitutionnel s’est prononcé, par une décision du 21 mars 2014, sur la conformité de dispositions législatives encadrant les saisies en matière de pêche maritime. Cette affaire trouve son origine dans la mise en œuvre de mesures conservatoires portant sur des navires et des véhicules suspectés d’avoir servi à commettre des infractions. Les dispositions en cause prévoient que l’autorité administrative doit solliciter, dans un délai très court, la confirmation de la saisie par le juge des libertés et de la détention. Une fois cette mesure confirmée, le magistrat fixe également le montant d’un cautionnement dont le versement permet seul d’obtenir la mainlevée du bien ainsi appréhendé. Plusieurs requérants ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, critiquant l’absence de recours effectif pour contester ces mesures avant la phase de jugement. Ils estimaient que ce dispositif portait une atteinte excessive au droit de propriété, à la liberté d’entreprendre ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif. Le problème juridique posé aux sages de la rue de Montpensier portait sur la conciliation entre l’efficacité de la police des pêches et les garanties procédurales fondamentales. Le Conseil constitutionnel a censuré les articles contestés en jugeant que l’absence de débat contradictoire et de voie de recours méconnaissait les exigences de la Déclaration de 1789. Cette analyse conduit à examiner d’abord l’insuffisance des garanties procédurales entourant la saisie, avant d’apprécier l’atteinte disproportionnée portée aux libertés économiques fondamentales.
**I. L’insuffisance des garanties procédurales entourant la saisie maritime**
**A. Une procédure unilatérale dépourvue de caractère contradictoire**
Le mécanisme de saisie prévu par le code rural repose sur une intervention du juge des libertés et de la détention dont les modalités s’avèrent particulièrement restrictives. Le Conseil constitutionnel souligne que ce magistrat confirme la saisie « au terme d’une procédure qui n’est pas contradictoire », sans que le propriétaire ne puisse intervenir. Cette absence de contradiction prive la personne intéressée de la possibilité de discuter utilement la nécessité de la mesure ou la réalité des manquements allégués. La célérité imposée par les délais législatifs ne saurait justifier l’exclusion totale du justiciable lors d’une phase impactant si lourdement son patrimoine et son activité. Le juge statue uniquement au vu de la requête et du procès-verbal de saisie, ce qui limite considérablement l’examen effectif de la situation individuelle. Le principe du contradictoire, pourtant garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789, se trouve ainsi écarté au profit d’une efficacité répressive jugée prééminente. Cette unilatéralité initiale fragilise l’ensemble de la procédure en empêchant tout contrôle immédiat sur la légalité et la proportionnalité des mesures de contrainte exercées.
**B. L’absence de voie de recours immédiate contre le maintien de la saisie**
La fragilité du dispositif est accentuée par le fait que la décision rendue par le juge n’est « pas susceptible de recours » selon les termes de la décision. Pendant toute la durée de l’enquête préliminaire, le propriétaire se trouve dépourvu de moyens juridiques pour solliciter la restitution de son navire ou de son véhicule. Cette impossibilité de saisir un juge pour demander la mainlevée de la saisie ou la réduction du cautionnement constitue une lacune procédurale majeure. Le Conseil relève que « la personne dont le navire est saisi ne dispose d’aucune voie de droit lui permettant de contester la légalité » de la mesure. Les dispositions supplétives du code de procédure pénale ne permettent pas de pallier cette carence tant que la juridiction de jugement n’est pas saisie. Cette période d’impuissance juridique peut s’avérer extrêmement longue et préjudiciable pour les professionnels dont l’outil de travail demeure immobilisé sans contrôle juridictionnel possible. Le droit à un recours effectif suppose pourtant qu’une décision portant atteinte aux libertés puisse être réformée par une juridiction supérieure ou au moins débattue.
**II. Une atteinte disproportionnée aux droits et libertés économiques**
**A. La fragilisation de la protection constitutionnelle du droit de propriété**
La saisie d’un navire constitue une atteinte caractérisée au droit de propriété, même si elle ne conduit pas immédiatement à une privation définitive du bien. Le Conseil rappelle que « les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi » par le législateur. En l’espèce, l’absence de garanties entourant la fixation du cautionnement et le maintien de la saisie rompt l’équilibre nécessaire entre l’intérêt général et le droit individuel. Le juge des libertés fixe discrétionnairement le montant de la somme garantissant la restitution du bien, sans que ce montant puisse être contesté utilement par le propriétaire. Cette situation entraîne une restriction d’autant plus grave que le non-paiement du cautionnement peut faciliter une future confiscation définitive par le tribunal correctionnel. Le Conseil constitutionnel juge que cette combinaison de facteurs « prive de garanties légales la protection constitutionnelle » du droit de propriété, rendant la disposition contraire aux exigences constitutionnelles. La protection de l’environnement et de la ressource halieutique, bien que légitime, ne permet pas de s’affranchir du respect des principes essentiels de la propriété.
**B. L’entrave injustifiée à l’exercice de la liberté d’entreprendre**
L’immobilisation forcée d’un navire de pêche ou d’un véhicule de transport affecte directement la capacité du professionnel à exercer son activité économique habituelle. La liberté d’entreprendre, découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789, impose que les limitations législatives ne soient pas disproportionnées par rapport à l’objectif recherché. Le Conseil constitutionnel relève que les conséquences de la saisie sont particulièrement lourdes puisque l’outil de travail est soustrait à son exploitant pendant une durée indéterminée. Sans possibilité de demander la mainlevée ou de justifier de garanties alternatives, le professionnel subit une interruption d’activité qui peut menacer la pérennité de son entreprise. « La combinaison du caractère non contradictoire de la procédure et de l’absence de voie de droit » entraîne une violation caractérisée de cette liberté fondamentale. Le législateur a ainsi omis de prévoir les tempéraments nécessaires pour assurer que la mesure de police n’excède pas ce qui est strictement requis. Cette décision de censure impose désormais au législateur de réformer le code rural afin d’introduire des recours effectifs garantissant les droits des professionnels de la mer.