Le Conseil constitutionnel a rendu, le 7 mars 2014, une décision fondamentale concernant la conformité à la Constitution des pouvoirs de saisine d’office du tribunal de commerce. La question prioritaire de constitutionnalité portait sur l’article L. 640-5 du code de commerce autorisant la juridiction à engager seule une procédure de liquidation judiciaire.
Une société a contesté cette faculté au motif qu’elle porterait atteinte au principe d’impartialité des juges garanti par les textes fondamentaux de la République. La Cour de cassation a transmis cette requête, permettant ainsi aux sages de la rue de Montpensier d’examiner la validité de cette pratique judiciaire ancienne. La requérante soutenait que le fait pour un juge de décider lui-même de l’ouverture d’un procès portait un préjudice irrémédiable à l’équité de la procédure.
Le problème de droit soumis au Conseil consistait à déterminer si la faculté pour une juridiction de se saisir d’office méconnaît les exigences constitutionnelles liées à l’impartialité. Les juges constitutionnels ont déclaré les mots « se saisir d’office ou » contraires à la Constitution en raison de l’absence de garanties législatives protégeant le débiteur. Cette étude examinera d’abord l’affirmation d’un principe constitutionnel d’impartialité exigeant avant d’analyser la sanction de l’insuffisance des garanties entourant la saisine d’office du tribunal.
I. L’affirmation d’un principe constitutionnel d’impartialité exigeant
A. Le lien organique entre l’impartialité et la fonction juridictionnelle
Le Conseil constitutionnel fonde sa décision sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pour protéger les droits des justiciables. Il affirme solennellement que « le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles » afin de garantir une justice neutre et indépendante pour tous. Cette formulation souligne que l’impartialité n’est pas une simple règle de procédure mais une composante essentielle de l’existence même d’un pouvoir judiciaire légitime. Une juridiction ne saurait normalement disposer de la faculté d’introduire une instance au terme de laquelle elle prononcera une décision revêtue de l’autorité de chose jugée.
Le respect de cette norme constitutionnelle impose une séparation stricte entre l’organe qui initie l’action judiciaire et celui qui tranche le litige sur le fond. L’intervention du juge doit rester une réponse à une sollicitation extérieure pour éviter tout soupçon de partialité ou de volonté préétablie de condamner un débiteur. Cette vision renforce la confiance des citoyens dans l’impartialité objective des tribunaux confrontés à des situations économiques complexes ou à des défaillances d’entreprises privées.
B. Le cadre restrictif des exceptions à l’interdiction de la saisine d’office
La Constitution ne confère pas à l’interdiction de l’auto-saisine un caractère général et absolu, admettant ainsi des tempéraments justifiés par des circonstances particulières et graves. La saisine d’office peut trouver une justification légitime à la condition qu’elle soit fondée sur un motif d’intérêt général pour protéger l’ordre public économique. Le législateur doit toutefois instituer des garanties propres à assurer le respect du principe d’impartialité lorsque la procédure n’a pas pour objet le prononcé de sanctions. Ces exceptions demeurent sous la surveillance étroite du juge constitutionnel qui vérifie la proportionnalité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux des justiciables et des entreprises.
L’intérêt général ne suffit pas à lui seul pour valider une procédure dérogatoire si les droits de la défense ne sont pas simultanément préservés par la loi. La juridiction doit rester dans un rôle d’arbitre même lorsqu’elle intervient pour prévenir l’aggravation d’une situation financière irrémédiablement compromise par des dettes trop importantes. L’établissement de ce cadre constitutionnel rigoureux conduit nécessairement la juridiction à confronter les dispositions législatives critiquées aux exigences de protection contre le risque de préjugé.
II. La sanction d’un cadre législatif insuffisant pour la saisine d’office
A. La reconnaissance d’un objectif d’intérêt général légitime
Le Conseil constitutionnel admet que la liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l’activité de l’entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur en difficulté. Les dispositions contestées permettaient d’éviter l’aggravation irrémédiable de la situation de l’entreprise en ne retardant pas l’ouverture d’une procédure de liquidation nécessaire pour les créanciers. Par suite, le législateur a poursuivi un but d’intérêt général en cherchant à protéger l’économie nationale contre les conséquences néfastes des défaillances d’entreprises non signalées. La rapidité de l’intervention judiciaire peut effectivement constituer un levier de protection pour les salariés et les partenaires commerciaux dont les créances sont en péril.
Cette efficacité recherchée par le code de commerce répond à une nécessité pratique de gestion des crises économiques où le temps constitue souvent un facteur déterminant. Le tribunal peut ainsi agir lorsque les conditions de l’ouverture de la procédure paraissent réunies sans attendre l’assignation par un créancier ou par le procureur. L’utilité économique de la mesure ne saurait cependant occulter l’exigence de sécurité juridique qui impose que le juge ne soit pas à la fois initiateur et décideur.
B. La censure de l’absence de garanties contre le préjugé du tribunal
Le Conseil censure la loi car aucune disposition ne fixe les garanties légales assurant que le tribunal ne préjuge pas sa position lors de la saisine. En se saisissant d’office, les juges risquent de forger leur conviction avant même d’avoir entendu les arguments contradictoires développés par le débiteur lors de l’audience. Le législateur a donc méconnu les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 en confiant au tribunal une faculté dépourvue de contreparties protectrices. Les mots « se saisir d’office ou » figurant au premier alinéa de l’article L. 640-5 du code de commerce sont déclarés contraires à la Constitution.
Cette déclaration d’inconstitutionnalité impose une réforme législative profonde pour redéfinir les modes d’ouverture des procédures collectives en respectant les standards élevés du droit processuel. La protection de l’impartialité l’emporte sur l’efficacité ciblée d’un dispositif qui plaçait le tribunal dans une posture délicate face à ses propres décisions d’engagement. Le juge constitutionnel réaffirme ainsi que la forme du procès est aussi importante que le fond de la décision pour la sauvegarde de l’État de droit.