Le Conseil d’État, par une décision rendue le 24 juillet 2025, précise les modalités de contestation des autorisations environnementales délivrées directement par le juge administratif.
Une société a sollicité l’autorisation de construire et d’exploiter un parc éolien de cinq aérogénérateurs sur le territoire d’une commune rurale du sud de la France. Le représentant de l’État a opposé un refus à cette demande par un arrêté en date du 4 août 2021. Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Toulouse a annulé ce refus et a accordé l’autorisation sollicitée le 5 octobre 2023. Une association locale et plusieurs riverains, simplement intervenants en appel, ont alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt favorable au pétitionnaire. La haute juridiction doit déterminer si ces tiers disposent d’un intérêt suffisant pour contester une autorisation accordée par le juge d’appel. Elle doit également définir les critères d’évaluation de la saturation visuelle induite par l’implantation de nouvelles installations de production d’énergie éolienne. Le Conseil d’État reconnaît la recevabilité du pourvoi avant de censurer l’analyse trop restrictive des juges du fond concernant l’impact paysager du projet.
I. L’élargissement de l’accès au juge de cassation pour les tiers intéressés
A. La qualité pour agir de l’intervenant en cas d’autorisation judiciaire
Le juge administratif rappelle que la recevabilité d’un pourvoi en cassation dépend étroitement de la qualité des parties lors de l’instance d’appel précédente. La personne intervenue devant les juges du fond possède le droit de se pourvoir contre un arrêt rendu contre les conclusions de son intervention. Cette faculté de recours est toutefois modulée selon que l’intervenant aurait eu ou non la qualité pour former une tierce opposition à l’arrêt. Le Conseil d’État précise ainsi que « dans le cas où elle aurait eu qualité… pour former tierce-opposition, elle peut contester tant la régularité que le bien-fondé de l’arrêt ». À l’inverse, si l’intervenant ne remplit pas cette condition, il ne peut invoquer que des moyens relatifs à la régularité formelle de la décision. Cette distinction garantit la cohérence du système des recours tout en préservant le droit des tiers directement impactés par une décision de justice.
B. Le régime dérogatoire de la tierce opposition en matière environnementale
L’arrêt du 24 juillet 2025 consacre une interprétation libérale de l’intérêt à agir dans le cadre spécifique des installations classées pour la protection de l’environnement. Le juge précise que lorsqu’une juridiction accorde elle-même une autorisation, la voie de la tierce opposition doit rester ouverte pour assurer un recours effectif. Cette procédure permet à un tiers absent de l’instance initiale de contester une décision qui affecte ses intérêts de manière significative et préjudiciable. En matière environnementale, le Conseil d’État écarte l’exigence classique d’un droit lésé au profit d’un simple « intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision ». L’association et les riverains voient ainsi leur pourvoi admis car leur situation géographique ou statutaire leur donne vocation à critiquer l’implantation de l’installation. Cette ouverture procédurale permet d’aborder le fond du litige relatif aux nuisances paysagères et à la commodité du voisinage immédiat.
II. La consécration d’une méthode d’évaluation technique de la saturation visuelle
A. L’exigence d’une analyse des angles d’occupation et de respiration
La haute juridiction administrative confirme que la protection des paysages et la commodité du voisinage constituent des motifs légitimes pour limiter le développement de l’éolien. Le juge de plein contentieux doit impérativement évaluer le phénomène de saturation visuelle lorsqu’une telle argumentation est soulevée par les parties requérantes ou intervenantes. Cette évaluation nécessite une étude précise de l’effet d’encerclement résultant du nouveau projet au regard de l’ensemble des parcs déjà installés ou autorisés. Le Conseil d’État impose désormais de mesurer l’incidence du projet sur les angles d’occupation et sur le « plus grand angle continu sans éolienne ». Cette notion technique définit la respiration visuelle indispensable au maintien d’un cadre de vie acceptable pour les populations vivant à proximité des machines. L’appréciation souveraine des juges du fond doit donc s’appuyer sur des données géométriques et topographiques concrètes plutôt que sur des impressions subjectives.
B. L’insuffisance d’un critère fondé sur la seule distance kilométrique
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse est annulé pour erreur de droit en raison d’une motivation jugée trop sommaire et incomplète. Les juges d’appel s’étaient fondés exclusivement sur l’éloignement des parcs voisins, situés à plus de huit kilomètres, pour écarter tout risque de saturation. Le Conseil d’État censure ce raisonnement en soulignant qu’il appartenait à la cour d’évaluer l’impact visuel depuis des « points de vue pertinents » pour le voisinage. La distance kilométrique ne suffit pas à garantir l’absence d’un sentiment d’étouffement paysager si les éoliennes occupent une part trop importante de l’horizon. La configuration particulière des lieux, incluant les reliefs et les écrans visuels naturels, doit être systématiquement prise en compte dans l’analyse globale. L’affaire est ainsi renvoyée devant la juridiction d’appel qui devra procéder à un examen plus approfondi des angles de vue réels. Cette solution renforce l’exigence de rigueur technique imposée aux juridictions administratives lors du contrôle des projets d’énergies renouvelables.