Troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 10 juillet 2025, n°24-12.011

La procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique suscite un contentieux nourri devant les juridictions de l’ordre judiciaire. La détermination des indemnités revenant aux expropriés constitue le cœur des litiges soumis au juge de l’expropriation. La décision rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 10 juillet 2025 illustre le sort réservé aux pourvois dont les moyens apparaissent manifestement infondés.

Un établissement public foncier avait engagé une procédure d’expropriation à l’encontre d’une société civile immobilière propriétaire d’un bien situé dans le ressort des Alpes-Maritimes. Un litige est né quant à la fixation des indemnités d’expropriation. Une société de gérance était également partie à l’instance.

Le juge de l’expropriation a statué en première instance. L’établissement public foncier a interjeté appel de cette décision. La cour d’appel de Nîmes, chambre civile – expropriation, a rendu un arrêt le 18 décembre 2023. Insatisfait de cette décision, l’établissement public foncier a formé un pourvoi en cassation. Le commissaire du gouvernement des Alpes-Maritimes était également défendeur à la cassation.

L’établissement public foncier soutenait que l’arrêt d’appel devait être cassé pour des motifs dont la teneur exacte n’apparaît pas dans la décision commentée. La société civile immobilière et la société de gérance concluaient au rejet du pourvoi.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si les moyens soulevés par le demandeur au pourvoi étaient de nature à entraîner la cassation de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes.

La Cour de cassation rejette le pourvoi par une décision non spécialement motivée. Elle énonce que « les moyens de cassation, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Elle met hors de cause la société de gérance et condamne l’établissement public foncier aux dépens.

Cette décision invite à examiner successivement le mécanisme du rejet non spécialement motivé comme instrument de régulation du contentieux de cassation (I), puis les conséquences procédurales attachées à ce type de décision (II).

I. Le rejet non spécialement motivé, instrument de régulation du contentieux de cassation

Le recours à l’article 1014 du code de procédure civile traduit une appréciation souveraine de l’absence de sérieux des moyens (A). Cette technique s’inscrit dans une politique jurisprudentielle de filtrage des pourvois (B).

A. L’appréciation souveraine de l’absence de sérieux des moyens

La Cour de cassation dispose, depuis la loi du 25 juin 2001, de la faculté de rejeter les pourvois par une décision non spécialement motivée. L’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit cette possibilité lorsque les moyens ne sont « manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». La formule employée par la Haute juridiction dans la décision du 10 juillet 2025 reprend exactement les termes du texte.

Le caractère manifeste de l’absence de sérieux constitue le critère déterminant. La Cour procède à un examen des moyens invoqués sans pour autant développer son raisonnement. Cette économie de motivation ne signifie pas absence d’analyse. Les moyens ont été examinés puis écartés comme dépourvus de toute chance de succès.

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 18 décembre 2023 se trouve ainsi consolidé. La juridiction du second degré avait statué sur les questions relatives à l’expropriation. Ses appréciations, qu’elles portent sur la valeur du bien ou sur les indemnités accessoires, échappent désormais à toute remise en cause.

B. Une politique de filtrage assumée des pourvois

Le mécanisme du rejet non spécialement motivé participe d’une politique de maîtrise des flux contentieux. La Cour de cassation, confrontée à un nombre croissant de pourvois, a développé des instruments de sélection. Seules les affaires soulevant une question juridique digne d’intérêt font l’objet d’un arrêt motivé.

Cette orientation répond à la mission normative de la Cour suprême. Son rôle premier consiste à unifier l’interprétation du droit. Les litiges ne présentant pas de difficulté juridique sérieuse peuvent être traités de manière simplifiée. La procédure prévue à l’article 1014 du code de procédure civile répond à cet objectif.

En matière d’expropriation, le contentieux porte fréquemment sur des questions d’évaluation. Les juridictions du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait. La Cour de cassation ne contrôle que la motivation et l’application des règles de droit. Lorsque l’arrêt d’appel apparaît correctement motivé et juridiquement fondé, le pourvoi est voué à l’échec.

II. Les conséquences procédurales du rejet non spécialement motivé

Le rejet du pourvoi emporte des effets sur la situation des parties (A). Il soulève également la question de la transparence du contrôle exercé par la Cour de cassation (B).

A. Les effets du rejet sur la situation des parties

Le rejet du pourvoi confère à l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes l’autorité de la chose jugée. La décision du 18 décembre 2023 devient définitive. L’établissement public foncier devra exécuter les condamnations prononcées à son encontre.

La mise hors de cause de la société de gérance mérite attention. Cette société n’était manifestement pas concernée par le litige au fond. Son intervention dans la procédure relevait probablement de sa qualité de mandataire ou de gestionnaire. La Cour prend acte de cette situation en la mettant expressément hors de cause.

La condamnation aux dépens sanctionne l’échec du pourvoi. L’établissement public foncier supporte les frais de l’instance de cassation. Le rejet des demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile traduit une appréciation d’équité. Aucune partie n’obtient le remboursement de ses frais irrépétibles.

B. La question de la transparence du contrôle juridictionnel

Le rejet non spécialement motivé présente l’inconvénient de priver le justiciable d’explication sur les raisons de son échec. L’établissement public foncier ignore les motifs précis pour lesquels ses moyens ont été jugés manifestement infondés. Cette opacité peut susciter un sentiment d’incompréhension.

La Cour européenne des droits de l’homme a toutefois admis la compatibilité de ce mécanisme avec le droit au procès équitable. L’article 6 de la Convention européenne n’impose pas une motivation détaillée lorsque la juridiction suprême rejette un recours. La condition tient à l’existence d’un examen effectif des moyens soulevés.

La décision du 10 juillet 2025 atteste que la formation de jugement a procédé à cet examen. Le conseiller référendaire a établi un rapport. Les observations écrites des avocats ont été communiquées. Les débats se sont tenus en audience publique le 27 mai 2025. La collégialité a été respectée avec la présence du président, du conseiller référendaire rapporteur et du conseiller doyen. Le délibéré a précédé le prononcé de la décision. Ces garanties procédurales satisfont aux exigences du procès équitable.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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