Tribunal judiciaire de Thionville, le 16 juin 2025, n°25/00429
La prescription acquisitive constitue un mode d’acquisition de la propriété immobilière fondé sur une possession prolongée répondant à des conditions strictes. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Thionville le 16 juin 2025 offre une illustration de ce mécanisme appliqué à une situation d’indivision née d’une succession vacante.
En l’espèce, deux époux étaient propriétaires indivis d’une parcelle cadastrée avec une personne décédée le 17 décembre 1974 sans laisser d’héritier. La Direction générale des finances publiques avait été désignée curateur de cette succession vacante par ordonnances des 14 octobre et 6 novembre 2024. Les époux ont assigné le curateur aux fins de voir reconnaître leur propriété exclusive sur la parcelle litigieuse par l’effet de la prescription acquisitive. Le défendeur n’a pas constitué avocat.
La question posée au tribunal était de déterminer si les demandeurs pouvaient se prévaloir de la prescription trentenaire pour acquérir la quote-part indivise appartenant à la succession vacante.
Le Tribunal judiciaire de Thionville a fait droit à la demande. Il a retenu que les conditions de l’usucapion étaient réunies au regard des témoignages produits établissant une possession « continue, paisible et non équivoque » depuis plus de trente ans. Le jugement ordonne la transcription au livre foncier et condamne le curateur aux dépens.
Cette décision invite à examiner les conditions de la prescription acquisitive appliquées à l’indivision successorale (I), avant d’envisager la portée de la reconnaissance judiciaire de l’usucapion (II).
I. Les conditions de la prescription acquisitive en contexte d’indivision successorale
La prescription trentenaire suppose la réunion de conditions légales précises (A) dont l’appréciation probatoire revêt une importance particulière (B).
A. Le rappel des exigences légales de l’usucapion
Le tribunal vise expressément l’article 2261 du Code civil selon lequel « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ». Il rappelle également l’article 2272 qui fixe à trente ans le délai de prescription acquisitive immobilière.
Ces dispositions traduisent l’exigence d’une possession qualifiée. La continuité implique des actes réguliers de maîtrise sur le bien. Le caractère paisible exclut toute violence dans l’entrée en possession ou son maintien. La publicité suppose que la possession soit apparente aux yeux des tiers. L’absence d’équivoque requiert que les actes accomplis manifestent sans ambiguïté une volonté de se comporter en propriétaire.
La particularité de l’espèce tient à la situation d’indivision initiale entre les demandeurs et la défunte. Or, traditionnellement, la possession d’un indivisaire sur le bien commun est présumée exercée pour le compte de l’indivision. Cette présomption de précarité constitue un obstacle à l’usucapion entre coïndivisaires. Pour prescrire, l’indivisaire doit démontrer une interversion de titre manifestant sa volonté de posséder pour son propre compte de manière exclusive.
Le jugement ne développe pas explicitement cette difficulté. Il se borne à constater que les demandeurs sont « en possession depuis plus de trente ans ». Cette économie de motivation peut s’expliquer par le défaut de comparution du curateur qui n’a pas soulevé ce moyen de défense.
B. L’appréciation souveraine de la preuve de la possession
Le tribunal fonde sa conviction sur trois témoignages dont il cite les auteurs et les dates. Ces attestations émanent de deux particuliers datées du 24 mai 2022 et du maire de la commune datée du 14 février 2011.
La preuve de la possession se fait par tous moyens. Les témoignages constituent un mode de preuve classique en la matière. La qualité des témoins importe particulièrement. Le témoignage d’un maire présente une valeur probante certaine compte tenu de sa connaissance de la situation locale et de sa fonction officielle.
Le jugement relève que ces témoignages établissent une possession « continue, paisible et non équivoque ». On peut observer que la condition de publicité n’est pas expressément mentionnée dans cette énumération. Cette omission paraît toutefois sans conséquence dès lors que la publicité se déduit naturellement des témoignages de tiers qui attestent avoir connaissance de la possession.
La brièveté de la motivation s’explique là encore par le contexte procédural. Le défendeur défaillant n’ayant présenté aucune contestation, le tribunal n’était pas tenu de développer une argumentation détaillée. La jurisprudence admet que le juge apprécie souverainement les éléments de preuve qui lui sont soumis.
II. La portée de la reconnaissance judiciaire de la propriété par usucapion
Le jugement emporte des effets juridiques significatifs tant sur le plan de la publicité foncière (A) que sur celui de la responsabilité du curateur (B).
A. La transcription au livre foncier comme consécration de la propriété
Le tribunal ordonne « la transcription du présent jugement au livre foncier ». Cette mention révèle l’application du droit local alsacien-mosellan. En effet, les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle demeurent soumis au régime du livre foncier hérité du droit allemand, distinct de la publicité foncière applicable dans le reste du territoire national.
La transcription au livre foncier confère une opposabilité renforcée au droit de propriété reconnu. Le système du livre foncier se caractérise par une présomption d’exactitude des inscriptions. La transcription du jugement permettra aux demandeurs d’être inscrits comme seuls propriétaires de la parcelle.
Cette formalité constitue l’aboutissement de la procédure d’usucapion. La prescription acquisitive opère de plein droit par l’effet de la loi. Le jugement qui la constate présente un caractère déclaratif et non constitutif. Néanmoins, en l’absence de titre, la décision judiciaire devient indispensable pour obtenir la modification de la publicité foncière.
Le rappel de l’exécution provisoire de droit permet aux demandeurs de procéder aux formalités sans attendre l’expiration des délais de recours. Cette célérité se justifie par la nature du litige qui ne met pas en péril les droits du défendeur défaillant.
B. La condamnation du curateur aux dépens
Le tribunal condamne le curateur de la succession vacante aux dépens sur le fondement de l’article 696 du Code de procédure civile. Cette condamnation appelle deux observations.
D’abord, sur le plan procédural, le curateur est partie perdante au sens de ce texte. Sa défaillance ne le soustrait pas à la charge des dépens. La règle selon laquelle la partie qui succombe supporte les frais du procès s’applique indépendamment de la constitution ou non d’un avocat.
Ensuite, sur le plan pratique, la condamnation du curateur pèsera sur l’actif de la succession vacante dont il a la gestion. Si cet actif est insuffisant, la condamnation pourrait demeurer sans effet. Le législateur a toutefois prévu que le curateur peut solliciter la clôture de la curatelle pour insuffisance d’actif.
On peut s’interroger sur l’opportunité pour l’administration fiscale de comparaître dans ce type de contentieux. La défense de la succession vacante suppose des moyens et une stratégie. Le défaut de comparution laisse le champ libre aux demandeurs dont les prétentions ne sont pas discutées. Cette attitude peut s’expliquer par une appréciation pragmatique des chances de succès au regard des pièces communiquées.
La décision illustre le fonctionnement du mécanisme de la prescription acquisitive dans un contexte particulier. Elle rappelle que l’usucapion permet de purger les situations d’indivision figées par le décès d’un coïndivisaire sans héritier. Le droit offre ainsi une solution à des situations de fait anciennes que le temps a consolidées.
La prescription acquisitive constitue un mode d’acquisition de la propriété immobilière fondé sur une possession prolongée répondant à des conditions strictes. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Thionville le 16 juin 2025 offre une illustration de ce mécanisme appliqué à une situation d’indivision née d’une succession vacante.
En l’espèce, deux époux étaient propriétaires indivis d’une parcelle cadastrée avec une personne décédée le 17 décembre 1974 sans laisser d’héritier. La Direction générale des finances publiques avait été désignée curateur de cette succession vacante par ordonnances des 14 octobre et 6 novembre 2024. Les époux ont assigné le curateur aux fins de voir reconnaître leur propriété exclusive sur la parcelle litigieuse par l’effet de la prescription acquisitive. Le défendeur n’a pas constitué avocat.
La question posée au tribunal était de déterminer si les demandeurs pouvaient se prévaloir de la prescription trentenaire pour acquérir la quote-part indivise appartenant à la succession vacante.
Le Tribunal judiciaire de Thionville a fait droit à la demande. Il a retenu que les conditions de l’usucapion étaient réunies au regard des témoignages produits établissant une possession « continue, paisible et non équivoque » depuis plus de trente ans. Le jugement ordonne la transcription au livre foncier et condamne le curateur aux dépens.
Cette décision invite à examiner les conditions de la prescription acquisitive appliquées à l’indivision successorale (I), avant d’envisager la portée de la reconnaissance judiciaire de l’usucapion (II).
I. Les conditions de la prescription acquisitive en contexte d’indivision successorale
La prescription trentenaire suppose la réunion de conditions légales précises (A) dont l’appréciation probatoire revêt une importance particulière (B).
A. Le rappel des exigences légales de l’usucapion
Le tribunal vise expressément l’article 2261 du Code civil selon lequel « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ». Il rappelle également l’article 2272 qui fixe à trente ans le délai de prescription acquisitive immobilière.
Ces dispositions traduisent l’exigence d’une possession qualifiée. La continuité implique des actes réguliers de maîtrise sur le bien. Le caractère paisible exclut toute violence dans l’entrée en possession ou son maintien. La publicité suppose que la possession soit apparente aux yeux des tiers. L’absence d’équivoque requiert que les actes accomplis manifestent sans ambiguïté une volonté de se comporter en propriétaire.
La particularité de l’espèce tient à la situation d’indivision initiale entre les demandeurs et la défunte. Or, traditionnellement, la possession d’un indivisaire sur le bien commun est présumée exercée pour le compte de l’indivision. Cette présomption de précarité constitue un obstacle à l’usucapion entre coïndivisaires. Pour prescrire, l’indivisaire doit démontrer une interversion de titre manifestant sa volonté de posséder pour son propre compte de manière exclusive.
Le jugement ne développe pas explicitement cette difficulté. Il se borne à constater que les demandeurs sont « en possession depuis plus de trente ans ». Cette économie de motivation peut s’expliquer par le défaut de comparution du curateur qui n’a pas soulevé ce moyen de défense.
B. L’appréciation souveraine de la preuve de la possession
Le tribunal fonde sa conviction sur trois témoignages dont il cite les auteurs et les dates. Ces attestations émanent de deux particuliers datées du 24 mai 2022 et du maire de la commune datée du 14 février 2011.
La preuve de la possession se fait par tous moyens. Les témoignages constituent un mode de preuve classique en la matière. La qualité des témoins importe particulièrement. Le témoignage d’un maire présente une valeur probante certaine compte tenu de sa connaissance de la situation locale et de sa fonction officielle.
Le jugement relève que ces témoignages établissent une possession « continue, paisible et non équivoque ». On peut observer que la condition de publicité n’est pas expressément mentionnée dans cette énumération. Cette omission paraît toutefois sans conséquence dès lors que la publicité se déduit naturellement des témoignages de tiers qui attestent avoir connaissance de la possession.
La brièveté de la motivation s’explique là encore par le contexte procédural. Le défendeur défaillant n’ayant présenté aucune contestation, le tribunal n’était pas tenu de développer une argumentation détaillée. La jurisprudence admet que le juge apprécie souverainement les éléments de preuve qui lui sont soumis.
II. La portée de la reconnaissance judiciaire de la propriété par usucapion
Le jugement emporte des effets juridiques significatifs tant sur le plan de la publicité foncière (A) que sur celui de la responsabilité du curateur (B).
A. La transcription au livre foncier comme consécration de la propriété
Le tribunal ordonne « la transcription du présent jugement au livre foncier ». Cette mention révèle l’application du droit local alsacien-mosellan. En effet, les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle demeurent soumis au régime du livre foncier hérité du droit allemand, distinct de la publicité foncière applicable dans le reste du territoire national.
La transcription au livre foncier confère une opposabilité renforcée au droit de propriété reconnu. Le système du livre foncier se caractérise par une présomption d’exactitude des inscriptions. La transcription du jugement permettra aux demandeurs d’être inscrits comme seuls propriétaires de la parcelle.
Cette formalité constitue l’aboutissement de la procédure d’usucapion. La prescription acquisitive opère de plein droit par l’effet de la loi. Le jugement qui la constate présente un caractère déclaratif et non constitutif. Néanmoins, en l’absence de titre, la décision judiciaire devient indispensable pour obtenir la modification de la publicité foncière.
Le rappel de l’exécution provisoire de droit permet aux demandeurs de procéder aux formalités sans attendre l’expiration des délais de recours. Cette célérité se justifie par la nature du litige qui ne met pas en péril les droits du défendeur défaillant.
B. La condamnation du curateur aux dépens
Le tribunal condamne le curateur de la succession vacante aux dépens sur le fondement de l’article 696 du Code de procédure civile. Cette condamnation appelle deux observations.
D’abord, sur le plan procédural, le curateur est partie perdante au sens de ce texte. Sa défaillance ne le soustrait pas à la charge des dépens. La règle selon laquelle la partie qui succombe supporte les frais du procès s’applique indépendamment de la constitution ou non d’un avocat.
Ensuite, sur le plan pratique, la condamnation du curateur pèsera sur l’actif de la succession vacante dont il a la gestion. Si cet actif est insuffisant, la condamnation pourrait demeurer sans effet. Le législateur a toutefois prévu que le curateur peut solliciter la clôture de la curatelle pour insuffisance d’actif.
On peut s’interroger sur l’opportunité pour l’administration fiscale de comparaître dans ce type de contentieux. La défense de la succession vacante suppose des moyens et une stratégie. Le défaut de comparution laisse le champ libre aux demandeurs dont les prétentions ne sont pas discutées. Cette attitude peut s’expliquer par une appréciation pragmatique des chances de succès au regard des pièces communiquées.
La décision illustre le fonctionnement du mécanisme de la prescription acquisitive dans un contexte particulier. Elle rappelle que l’usucapion permet de purger les situations d’indivision figées par le décès d’un coïndivisaire sans héritier. Le droit offre ainsi une solution à des situations de fait anciennes que le temps a consolidées.