Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°24/00643

Le paiement des charges de copropriété par un État étranger propriétaire de lots au sein d’un immeuble français soulève des questions relatives à l’exécution des obligations propter rem et aux conditions d’indemnisation du préjudice subi par le syndicat des copropriétaires. Le tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement du 19 juin 2025, apporte des précisions sur ces deux aspects.

Un État étranger était propriétaire de plusieurs lots au sein d’un immeuble en copropriété situé à Paris. Le syndicat des copropriétaires, représenté par son syndic, a assigné cet État en paiement d’arriérés de charges s’élevant à 16 301,22 euros, arrêtés au quatrième trimestre 2023. Le syndicat sollicitait également le paiement de frais de recouvrement pour un montant de 202,28 euros, ainsi que des dommages et intérêts à hauteur de 3 500 euros pour le préjudice causé par les manquements répétés du copropriétaire défaillant. L’État assigné, régulièrement cité selon les formes prévues pour les significations à l’étranger, n’a pas comparu.

Le syndicat des copropriétaires soutenait que l’État propriétaire avait manqué de longue date à son obligation de paiement, son compte apparaissant débiteur dès le premier trimestre 2023. Il arguait que ces manquements systématiques causaient un préjudice financier direct à la collectivité des copropriétaires, privée de sommes nécessaires à la gestion et à l’entretien de l’immeuble.

Le tribunal devait déterminer si le copropriétaire défaillant devait être condamné au paiement des charges impayées et, le cas échéant, si les conditions de sa responsabilité indemnitaire étaient réunies au-delà des intérêts moratoires.

Le tribunal judiciaire de Paris a condamné l’État défaillant au paiement de la somme de 16 301,22 euros au titre des charges impayées, avec intérêts au taux légal. Il a retenu une somme de 75 euros au titre des frais de recouvrement. En revanche, il a débouté le syndicat de sa demande de dommages et intérêts, au motif que celui-ci ne rapportait pas « la preuve que le défaut de paiement a été à l’origine de difficultés quelconques » et que la mauvaise foi du débiteur n’était pas démontrée.

Ce jugement illustre le régime juridique applicable au recouvrement des charges de copropriété (I) tout en précisant les conditions restrictives de l’indemnisation complémentaire du syndicat créancier (II).

I. Le régime juridique du recouvrement des charges de copropriété

Le tribunal rappelle l’obligation de contribution aux charges pesant sur tout copropriétaire (A), puis applique un régime strict de qualification des frais de recouvrement (B).

A. L’obligation de contribution aux charges, fondement de la condamnation

Le tribunal fonde sa décision sur les articles 10 et 5 de la loi du 10 juillet 1965, aux termes desquels « les copropriétaires sont tenus de participer aux charges entraînées par les services collectifs, les éléments d’équipement commun en fonction de l’utilité que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot ». Cette obligation revêt un caractère propter rem : elle est attachée à la qualité de propriétaire du lot et se transmet avec lui.

Le tribunal vérifie méthodiquement les conditions d’exigibilité de la créance. Il exige la production des procès-verbaux d’assemblées générales ayant approuvé les comptes et fixé les budgets prévisionnels, ainsi que les attestations de non-recours correspondantes. Cette exigence procédurale traduit le mécanisme de l’article 42 de la loi de 1965 : « lorsque les comptes et le budget prévisionnel ont été approuvés, les copropriétaires qui n’ont pas contesté l’assemblée générale ayant voté cette approbation dans les deux mois de la notification ne sont plus fondés à contester ces comptes et ce budget prévisionnel ».

L’absence de comparution du défendeur ne dispense pas le juge de son office. En application de l’article 472 du code de procédure civile, « si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». Le tribunal procède donc à un examen complet des pièces justificatives avant de prononcer la condamnation.

B. La qualification restrictive des frais de recouvrement

Le tribunal opère une distinction rigoureuse entre les frais imputables au copropriétaire défaillant et ceux relevant d’autres fondements indemnitaires. L’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que « sont imputables au seul copropriétaire concerné les frais nécessaires exposés par le syndicat, notamment les frais de mise en demeure, de relance et de prise d’hypothèque à compter de la mise en demeure, pour le recouvrement d’une créance justifiée ».

Le tribunal précise que cette énumération n’est pas exhaustive mais que « la juridiction dispose d’un pouvoir d’appréciation souverain quant au caractère nécessaire de ces frais ». Il exclut expressément du champ de l’article 10-1 plusieurs catégories de frais : les relances antérieures à la mise en demeure, les frais postérieurs à l’assignation, les honoraires de suivi de procédure du syndic, les frais d’huissier pour l’introduction d’instance qui constituent des dépens, et les frais d’avocat qui relèvent de l’article 700 du code de procédure civile.

Cette qualification emporte des conséquences pratiques significatives. Les frais de mise en demeure par avocat, d’un montant de 127,28 euros, sont ainsi requalifiés en frais irrépétibles et intégrés à l’indemnité allouée au titre de l’article 700. Le syndicat n’obtient au titre de l’article 10-1 que la somme de 75 euros correspondant aux seuls frais de mise en demeure par lettre recommandée.

II. Les conditions restrictives de l’indemnisation complémentaire

Le tribunal rappelle les exigences cumulatives pour l’octroi de dommages et intérêts (A), avant d’ordonner la capitalisation des intérêts qui compense partiellement le rejet de la demande indemnitaire (B).

A. L’exigence cumulative d’un préjudice distinct et de la mauvaise foi

Le tribunal applique l’article 1231-6 du code civil selon lequel « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal ». Toutefois, « le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ».

Le tribunal se réfère expressément à la jurisprudence de la Cour de cassation, troisième chambre civile, du 20 octobre 2016, pourvoi n° 15-20.587, pour rappeler que le syndicat « doit en outre démontrer que celui-ci a fait preuve de mauvaise foi, et qu’il a subi un préjudice distinct de celui engendré par le seul retard de paiement ». Cette double exigence est cumulative.

Le tribunal reconnaît que « les manquements systématiques et répétés d’un copropriétaire à son obligation essentielle à l’égard du syndicat des copropriétaires de régler ses charges de copropriété sont constitutifs d’une faute susceptible de causer un préjudice financier direct et certain à la collectivité des copropriétaires ». Cependant, il refuse d’indemniser ce préjudice au motif que le syndicat « ne rapporte pas la preuve que le défaut de paiement a été à l’origine de difficultés quelconques ou qu’elle aurait nécessité le vote d’appels de fonds exceptionnels pour pallier un manque temporaire de trésorerie ».

Le tribunal ajoute que « le seul fait d’être privé de sommes nécessaires à la gestion et à l’entretien de l’immeuble ne constitue pas en soi un préjudice indépendant de celui du retard dans l’exécution de l’obligation ». Cette formulation restreint considérablement les hypothèses d’indemnisation complémentaire. Elle impose au syndicat de démontrer des conséquences concrètes du défaut de paiement, telles que des difficultés de trésorerie ayant contraint à des appels de fonds exceptionnels.

B. La capitalisation des intérêts, mécanisme compensatoire partiel

Face au rejet de la demande de dommages et intérêts, le tribunal ordonne la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil. Cette disposition prévoit que « la capitalisation des intérêts est de droit dès lors que la demande en a été faite judiciairement et qu’il s’agit d’intérêts dus pour au moins une année entière ».

Le tribunal précise le point de départ des intérêts avec rigueur. Il distingue selon les sommes en cause : les intérêts courent à compter du 7 septembre 2023, date de présentation de la mise en demeure, sur la somme de 13 477,17 euros, et à compter du 5 janvier 2024, date de l’assignation, pour le surplus. Cette distinction respecte les dispositions combinées des articles 36 et 64 du décret du 17 mars 1967.

La capitalisation des intérêts constitue ainsi le principal mécanisme d’aggravation de la dette du copropriétaire défaillant. Elle permet au syndicat d’obtenir une compensation du préjudice lié à l’immobilisation prolongée des sommes dues, sans avoir à démontrer les conditions restrictives de l’article 1231-6 du code civil. Ce mécanisme automatique, subordonné à la seule condition d’une demande judiciaire et d’un arriéré d’au moins une année, apparaît comme le véritable instrument de protection du créancier de charges de copropriété.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture