Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°23/15312

Le recouvrement des charges de copropriété constitue un contentieux récurrent devant les juridictions civiles. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2025 illustre les difficultés auxquelles se heurte un syndicat des copropriétaires confronté à un copropriétaire défaillant de manière persistante.

Une copropriétaire, titulaire des lots n°54 et 55 au sein d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, avait cessé de régler ses charges. Le syndicat des copropriétaires l’a assignée en paiement le 17 novembre 2023, sollicitant la somme principale de 27 245,62 euros au titre de l’arriéré pour la période du 17 octobre 2016 au 2 octobre 2023, incluant 120 euros de frais de recouvrement. Il réclamait également 3 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice causé à la collectivité.

La défenderesse avait déjà été condamnée par un jugement du 25 janvier 2017, confirmé en appel le 25 mai 2022, à régler 7 277,77 euros de charges impayées outre 1 000 euros de dommages et intérêts. Malgré cette condamnation, elle n’avait ni exécuté la décision ni repris le paiement de ses charges, contraignant le syndicat à engager une nouvelle procédure. Citée à étude, elle n’a pas constitué avocat.

La question posée au tribunal était double. Il lui appartenait de déterminer si le syndicat justifiait de sa créance au titre des charges impayées. Il devait également apprécier si le comportement de la copropriétaire caractérisait une mauvaise foi ouvrant droit à des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires.

Le tribunal fait droit partiellement aux demandes. Il condamne la copropriétaire au paiement de 27 125,62 euros, écartant les frais de recouvrement faute de justificatif contractuel pour la période concernée. Il lui alloue également 2 000 euros de dommages et intérêts, retenant que « le comportement de [la copropriétaire] qui, malgré une première condamnation, persiste à ne pas régler ses charges, sans qu’il ne soit donné aucune explication sur sa situation financière et personnelle pouvant expliquer cette carence », cause un préjudice à la collectivité.

Cette décision permet d’examiner les conditions de la preuve de la créance de charges en copropriété (I), avant d’analyser les critères d’allocation de dommages et intérêts pour mauvaise foi du débiteur (II).

I. Les exigences probatoires du syndicat créancier de charges

L’établissement de la créance de charges obéit à des règles strictes que le tribunal rappelle (A), tout en opérant un contrôle rigoureux des frais annexes réclamés (B).

A. La démonstration de l’arriéré par la production des pièces justificatives

Le tribunal rappelle qu’en vertu des « dispositions conjuguées des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, il appartient au syndicat des copropriétaires de prouver que le copropriétaire est redevable de la somme réclamée dans sa totalité ». Cette charge de la preuve impose au syndicat de produire un ensemble documentaire complet permettant de reconstituer l’historique de la dette.

La décision énumère les pièces nécessaires : « un décompte de la dette depuis son origine ainsi que les appels de fonds et procès-verbaux des assemblées générales correspondantes ayant approuvé les comptes et voté les budgets provisionnels ». En l’espèce, le syndicat avait versé aux débats les procès-verbaux des assemblées générales de 2016 à 2023, les appels de fonds émis et un décompte détaillé. Cette production exhaustive a permis au tribunal de valider la créance principale. Le défaut de comparution du débiteur ne dispense pas le juge de ce contrôle. L’article 472 du code de procédure civile impose en effet au tribunal de ne faire droit à la demande que s’il « l’estime régulière, recevable et bien fondée ».

B. Le rejet des frais de recouvrement insuffisamment justifiés

L’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 permet d’imputer au copropriétaire défaillant « les frais nécessaires exposés par le syndicat, notamment les frais de mise en demeure, de relance et de prise d’hypothèque ». Le syndicat réclamait 120 euros correspondant à quatre mises en demeure facturées entre 2021 et 2023.

Le tribunal écarte cette demande au motif que « le syndicat des copropriétaires ne produit cependant que le contrat conclu avec le syndic pour la période du 29 octobre 2023 au 28 janvier 2025 si bien qu’il n’est pas possible de déterminer le montant contractuellement prévu pour les frais facturés avant la date de prise d’effet du contrat ». Cette solution confirme que les frais de l’article 10-1 ne peuvent être mis à la charge du copropriétaire que si leur montant correspond à celui prévu par le contrat de syndic en vigueur au moment de leur facturation. La rigueur probatoire s’applique ainsi non seulement à la créance principale mais également aux accessoires.

II. La sanction de la mauvaise foi du copropriétaire défaillant

L’allocation de dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires suppose la caractérisation d’une mauvaise foi (A), dont l’appréciation tient compte de l’impact du comportement sur la collectivité (B).

A. La caractérisation de la mauvaise foi par la récidive du manquement

L’article 1231-6 alinéa 3 du code civil dispose que « le créancier auquel son débiteur a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ». Le tribunal retient en l’espèce que « malgré cette condamnation, [la copropriétaire] a persisté dans le manquement à ses obligations de copropriétaires, puisque non seulement le jugement n’a pas été exécuté […] mais de plus aucune charge n’a été réglée depuis cette condamnation ».

La récidive du comportement fautif après une première condamnation judiciaire caractérise la mauvaise foi. L’absence de toute explication de la part de la défenderesse, qui n’a pas comparu, renforce cette qualification. Le tribunal souligne qu’aucun élément relatif à sa « situation financière et personnelle pouvant expliquer cette carence » n’a été porté à sa connaissance. La persistance délibérée dans le non-paiement, sans justification, établit ainsi un comportement dépassant la simple négligence.

B. L’évaluation du préjudice collectif résultant de la défaillance

Le tribunal procède à une appréciation concrète du préjudice subi par la collectivité. Il relève que « la copropriété ne compte que 25 copropriétaires et que la dette […] s’élève à 27 125,62 euros soit plus de la moitié du budget de fonctionnement fixé à 41 500 euros pour l’exercice 2023 ». Cette disproportion entre la dette individuelle et le budget collectif démontre l’impact significatif de la défaillance.

Le tribunal retient également que « l’assemblée générale du 07 juin 2017 a validé un appel de fonds exceptionnel du 19 janvier 2017 d’un montant de 20 000 euros afin de palier aux problèmes de trésorerie liés aux copropriétaires débiteurs ». Cette circonstance établit que les autres copropriétaires ont dû compenser les impayés. La réduction du quantum demandé, de 3 000 à 2 000 euros, traduit néanmoins le pouvoir souverain d’appréciation du juge dans l’évaluation du préjudice, qui doit demeurer proportionné au dommage effectivement subi.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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