Tribunal judiciaire de Nanterre, le 13 juin 2025, n°23/03760
Le régime des sociétés civiles d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé soulève des difficultés pratiques tenant à la désignation de leurs gérants. Le tribunal judiciaire de Nanterre, par un jugement rendu le 13 juin 2025, apporte des précisions utiles sur les conditions de cette désignation et sur la responsabilité encourue par ces sociétés.
Un associé de deux sociétés civiles d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé, copropriétaires d’appartements au sein d’un ensemble immobilier situé en Espagne, reprochait à celles-ci d’avoir refusé de provoquer des élections pour désigner leurs nouveaux gérants. Il invoquait l’irrégularité de leur gérance au regard de l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986 et faisait état de fautes de gestion révélées par une expertise judiciaire. Il sollicitait des dommages-intérêts ainsi que le remboursement des frais exposés pour l’expertise et la désignation d’un administrateur provisoire.
Les sociétés défenderesses soutenaient que les fautes invoquées résultaient de celles prétendument commises par leurs anciennes gérantes, lesquelles n’avaient pas été attraites à l’instance. Elles ajoutaient que l’expert ne concluait pas de façon catégorique à l’existence de fautes de gestion et que le demandeur ne démontrait ni l’existence ni l’étendue de son préjudice.
Le tribunal devait déterminer si les sociétés avaient commis une faute en ne soumettant pas au vote des associés la désignation de nouveaux gérants conformément à l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986, si une résistance abusive pouvait leur être reprochée, et si des fautes de gestion étaient caractérisées.
Le tribunal juge que la première société a commis une faute en ne procédant pas à la convocation d’une assemblée générale en vue de désigner un nouveau gérant, la désignation statutaire de son gérant devant être réputée non écrite. Il retient également une résistance abusive de sa part. En revanche, il considère qu’aucune faute n’est établie à l’encontre de la seconde société, dont le gérant avait été régulièrement désigné par assemblée générale avant l’entrée en vigueur des dispositions limitant la durée du mandat. Le tribunal écarte par ailleurs l’existence de fautes de gestion, l’expert n’ayant caractérisé aucune irrégularité comptable.
Cette décision invite à examiner les conditions de régularité de la désignation du gérant d’une société civile d’attribution (I), puis les contours de la responsabilité de ces sociétés à l’égard de leurs associés (II).
I. Les conditions de régularité de la désignation du gérant
L’examen de la régularité de la désignation du gérant suppose de distinguer selon que celle-ci est intervenue avant ou après l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 1986 (A), puis de s’interroger sur l’application dans le temps de la réforme de 2009 limitant la durée du mandat (B).
A. L’exigence d’une désignation par l’assemblée générale
Le tribunal rappelle que l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986 impose que le gérant soit nommé « par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales ». Cette exigence revêt un caractère d’ordre public. L’article 34 de cette loi prévoyait que les sociétés déjà constituées devaient mettre leurs statuts en conformité dans un délai de deux ans. A défaut, les clauses statutaires contraires sont réputées non écrites en application de l’article 500 de la loi du 24 juillet 1966.
En l’espèce, les statuts de la première société désignaient directement le gérant sans qu’aucune décision de l’assemblée générale ne soit intervenue. Le tribunal en déduit que cette clause statutaire doit être réputée non écrite et que le gérant est « dépourvu de tout pouvoir pour représenter la société ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui sanctionne par l’inopposabilité les nominations de dirigeants intervenues en méconnaissance des règles impératives de compétence.
La portée de cette décision est importante. Elle confirme que le défaut de mise en conformité des statuts dans le délai légal n’emporte pas seulement une irrégularité formelle mais prive le gérant de tout pouvoir de représentation. La société se trouve alors dans une situation de vacance de la gérance justifiant la désignation d’un administrateur provisoire.
B. La non-rétroactivité de la limitation de durée du mandat
La loi du 22 juillet 2009 a modifié l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986 en limitant le mandat du gérant à une durée maximale de trois ans renouvelable. Cette réforme ne prévoyait aucune disposition transitoire.
Le tribunal applique l’article 2 du code civil selon lequel « la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ». Il en déduit que les dispositions de 2009 « sont sans effet sur le mandat confié antérieurement », dès lors que celui-ci avait été conféré conformément à l’article 5 dans sa rédaction initiale.
Cette analyse mérite approbation. En l’absence de disposition transitoire expresse, le principe de non-rétroactivité conduit à préserver les situations juridiques régulièrement constituées sous l’empire de la loi ancienne. La seconde société ayant désigné son gérant par assemblée générale en 1989, conformément aux exigences alors en vigueur, ce mandat demeurait valable nonobstant l’entrée en vigueur de la limitation de durée. Le tribunal opère ainsi une distinction entre les deux sociétés fondée sur les modalités de désignation de leurs gérants respectifs.
Cette solution présente néanmoins une difficulté pratique. Elle conduit à maintenir indéfiniment des mandats de gérance antérieurs à 2009, en contradiction avec l’objectif poursuivi par le législateur d’assurer un renouvellement périodique des organes de gestion de ces sociétés.
II. La responsabilité de la société envers ses associés
La responsabilité de la société suppose la caractérisation d’une faute (A), laquelle doit avoir causé un préjudice indemnisable (B).
A. La caractérisation des fautes imputables à la société
Le tribunal rappelle que « la société engage sa responsabilité à l’égard de ses associés et des tiers du fait des fautes commises par son ou ses gérants agissant dans l’exercice de leurs fonctions, sans qu’il y ait lieu de démontrer l’existence d’une faute personnelle de la société, distincte de celle commise par son représentant légal ». Cette solution classique, consacrée par la Cour de cassation, permet à l’associé d’agir directement contre la société sans devoir mettre en cause personnellement le gérant.
S’agissant de la résistance abusive, le tribunal précise qu’elle « suppose que soit caractérisée l’existence d’une faute ayant fait dégénérer en abus l’exercice du droit de se défendre et ne peut en conséquence résulter d’une simple résistance à une action en justice ». En l’espèce, le tribunal retient que la première société a abusé de son droit en s’opposant à l’organisation d’une élection régulière tout en tentant de régulariser hâtivement le mandat de son gérant par une assemblée générale convoquée dans des conditions ne garantissant pas aux associés la possibilité de proposer des candidatures concurrentes.
S’agissant des fautes de gestion, le tribunal adopte une approche restrictive. Il observe que l’expert « relève seulement des difficultés dans la planification des dépenses » sans caractériser de dérapage préjudiciable. Les observations relatives à l’organisation complexe des sociétés et à l’absence de mise en concurrence des prestataires constituent selon le tribunal une « appréciation sur l’organisation et la stratégie » qui ne révèle pas de faute de gestion. Cette position illustre la réticence des tribunaux à s’immiscer dans les choix de gestion des dirigeants sociaux.
B. L’appréciation du préjudice indemnisable
Le tribunal accueille la demande indemnitaire au titre du préjudice moral causé par la nécessité de multiplier les actions en justice « pour se faire entendre ». Il fixe cette indemnisation à 2 000 euros. Cette somme, modeste au regard des sommes initialement réclamées, sanctionne la résistance fautive de la société sans constituer une indemnisation excessive.
En revanche, le tribunal rejette la demande de remboursement des frais d’expertise. Il relève que « le paiement de ces sommes ne peut, sauf circonstances particulières, constituer un préjudice indemnisable », la mesure d’expertise constituant une mesure d’investigation destinée à éclairer le juge. L’absence de caractérisation de fautes de gestion conduit le tribunal à considérer que « l’utilité de la mesure d’expertise n’est pas démontrée dans le cadre du présent litige ».
Cette solution appelle une réserve. Le demandeur avait sollicité et financé cette expertise pour établir les fautes qu’il reprochait aux sociétés. Le fait que l’expertise n’ait pas permis de caractériser ces fautes ne devrait pas nécessairement priver le demandeur de tout remboursement, dès lors que la mesure a permis d’éclairer le débat judiciaire. La charge définitive des frais d’expertise pourrait utilement être répartie en équité lorsque la mesure a présenté une utilité, même partielle, pour la résolution du litige.
Le régime des sociétés civiles d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé soulève des difficultés pratiques tenant à la désignation de leurs gérants. Le tribunal judiciaire de Nanterre, par un jugement rendu le 13 juin 2025, apporte des précisions utiles sur les conditions de cette désignation et sur la responsabilité encourue par ces sociétés.
Un associé de deux sociétés civiles d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé, copropriétaires d’appartements au sein d’un ensemble immobilier situé en Espagne, reprochait à celles-ci d’avoir refusé de provoquer des élections pour désigner leurs nouveaux gérants. Il invoquait l’irrégularité de leur gérance au regard de l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986 et faisait état de fautes de gestion révélées par une expertise judiciaire. Il sollicitait des dommages-intérêts ainsi que le remboursement des frais exposés pour l’expertise et la désignation d’un administrateur provisoire.
Les sociétés défenderesses soutenaient que les fautes invoquées résultaient de celles prétendument commises par leurs anciennes gérantes, lesquelles n’avaient pas été attraites à l’instance. Elles ajoutaient que l’expert ne concluait pas de façon catégorique à l’existence de fautes de gestion et que le demandeur ne démontrait ni l’existence ni l’étendue de son préjudice.
Le tribunal devait déterminer si les sociétés avaient commis une faute en ne soumettant pas au vote des associés la désignation de nouveaux gérants conformément à l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986, si une résistance abusive pouvait leur être reprochée, et si des fautes de gestion étaient caractérisées.
Le tribunal juge que la première société a commis une faute en ne procédant pas à la convocation d’une assemblée générale en vue de désigner un nouveau gérant, la désignation statutaire de son gérant devant être réputée non écrite. Il retient également une résistance abusive de sa part. En revanche, il considère qu’aucune faute n’est établie à l’encontre de la seconde société, dont le gérant avait été régulièrement désigné par assemblée générale avant l’entrée en vigueur des dispositions limitant la durée du mandat. Le tribunal écarte par ailleurs l’existence de fautes de gestion, l’expert n’ayant caractérisé aucune irrégularité comptable.
Cette décision invite à examiner les conditions de régularité de la désignation du gérant d’une société civile d’attribution (I), puis les contours de la responsabilité de ces sociétés à l’égard de leurs associés (II).
I. Les conditions de régularité de la désignation du gérant
L’examen de la régularité de la désignation du gérant suppose de distinguer selon que celle-ci est intervenue avant ou après l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 1986 (A), puis de s’interroger sur l’application dans le temps de la réforme de 2009 limitant la durée du mandat (B).
A. L’exigence d’une désignation par l’assemblée générale
Le tribunal rappelle que l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986 impose que le gérant soit nommé « par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales ». Cette exigence revêt un caractère d’ordre public. L’article 34 de cette loi prévoyait que les sociétés déjà constituées devaient mettre leurs statuts en conformité dans un délai de deux ans. A défaut, les clauses statutaires contraires sont réputées non écrites en application de l’article 500 de la loi du 24 juillet 1966.
En l’espèce, les statuts de la première société désignaient directement le gérant sans qu’aucune décision de l’assemblée générale ne soit intervenue. Le tribunal en déduit que cette clause statutaire doit être réputée non écrite et que le gérant est « dépourvu de tout pouvoir pour représenter la société ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui sanctionne par l’inopposabilité les nominations de dirigeants intervenues en méconnaissance des règles impératives de compétence.
La portée de cette décision est importante. Elle confirme que le défaut de mise en conformité des statuts dans le délai légal n’emporte pas seulement une irrégularité formelle mais prive le gérant de tout pouvoir de représentation. La société se trouve alors dans une situation de vacance de la gérance justifiant la désignation d’un administrateur provisoire.
B. La non-rétroactivité de la limitation de durée du mandat
La loi du 22 juillet 2009 a modifié l’article 5 de la loi du 6 janvier 1986 en limitant le mandat du gérant à une durée maximale de trois ans renouvelable. Cette réforme ne prévoyait aucune disposition transitoire.
Le tribunal applique l’article 2 du code civil selon lequel « la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif ». Il en déduit que les dispositions de 2009 « sont sans effet sur le mandat confié antérieurement », dès lors que celui-ci avait été conféré conformément à l’article 5 dans sa rédaction initiale.
Cette analyse mérite approbation. En l’absence de disposition transitoire expresse, le principe de non-rétroactivité conduit à préserver les situations juridiques régulièrement constituées sous l’empire de la loi ancienne. La seconde société ayant désigné son gérant par assemblée générale en 1989, conformément aux exigences alors en vigueur, ce mandat demeurait valable nonobstant l’entrée en vigueur de la limitation de durée. Le tribunal opère ainsi une distinction entre les deux sociétés fondée sur les modalités de désignation de leurs gérants respectifs.
Cette solution présente néanmoins une difficulté pratique. Elle conduit à maintenir indéfiniment des mandats de gérance antérieurs à 2009, en contradiction avec l’objectif poursuivi par le législateur d’assurer un renouvellement périodique des organes de gestion de ces sociétés.
II. La responsabilité de la société envers ses associés
La responsabilité de la société suppose la caractérisation d’une faute (A), laquelle doit avoir causé un préjudice indemnisable (B).
A. La caractérisation des fautes imputables à la société
Le tribunal rappelle que « la société engage sa responsabilité à l’égard de ses associés et des tiers du fait des fautes commises par son ou ses gérants agissant dans l’exercice de leurs fonctions, sans qu’il y ait lieu de démontrer l’existence d’une faute personnelle de la société, distincte de celle commise par son représentant légal ». Cette solution classique, consacrée par la Cour de cassation, permet à l’associé d’agir directement contre la société sans devoir mettre en cause personnellement le gérant.
S’agissant de la résistance abusive, le tribunal précise qu’elle « suppose que soit caractérisée l’existence d’une faute ayant fait dégénérer en abus l’exercice du droit de se défendre et ne peut en conséquence résulter d’une simple résistance à une action en justice ». En l’espèce, le tribunal retient que la première société a abusé de son droit en s’opposant à l’organisation d’une élection régulière tout en tentant de régulariser hâtivement le mandat de son gérant par une assemblée générale convoquée dans des conditions ne garantissant pas aux associés la possibilité de proposer des candidatures concurrentes.
S’agissant des fautes de gestion, le tribunal adopte une approche restrictive. Il observe que l’expert « relève seulement des difficultés dans la planification des dépenses » sans caractériser de dérapage préjudiciable. Les observations relatives à l’organisation complexe des sociétés et à l’absence de mise en concurrence des prestataires constituent selon le tribunal une « appréciation sur l’organisation et la stratégie » qui ne révèle pas de faute de gestion. Cette position illustre la réticence des tribunaux à s’immiscer dans les choix de gestion des dirigeants sociaux.
B. L’appréciation du préjudice indemnisable
Le tribunal accueille la demande indemnitaire au titre du préjudice moral causé par la nécessité de multiplier les actions en justice « pour se faire entendre ». Il fixe cette indemnisation à 2 000 euros. Cette somme, modeste au regard des sommes initialement réclamées, sanctionne la résistance fautive de la société sans constituer une indemnisation excessive.
En revanche, le tribunal rejette la demande de remboursement des frais d’expertise. Il relève que « le paiement de ces sommes ne peut, sauf circonstances particulières, constituer un préjudice indemnisable », la mesure d’expertise constituant une mesure d’investigation destinée à éclairer le juge. L’absence de caractérisation de fautes de gestion conduit le tribunal à considérer que « l’utilité de la mesure d’expertise n’est pas démontrée dans le cadre du présent litige ».
Cette solution appelle une réserve. Le demandeur avait sollicité et financé cette expertise pour établir les fautes qu’il reprochait aux sociétés. Le fait que l’expertise n’ait pas permis de caractériser ces fautes ne devrait pas nécessairement priver le demandeur de tout remboursement, dès lors que la mesure a permis d’éclairer le débat judiciaire. La charge définitive des frais d’expertise pourrait utilement être répartie en équité lorsque la mesure a présenté une utilité, même partielle, pour la résolution du litige.